Le National Center on Sexual Exploitation (NCOSE), une organisation qui a fait campagne contre la pornographie et célébré la fin de la collaboration des services bancaires avec des plateformes comme Pornhub et OnlyFans, s’attaque désormais à Twitter, l’un des derniers réseaux sociaux où les créateurs de contenu pour adultes peuvent partager leur travail sans être bannis.
Le NCOSE, anciennement connu sous le nom de Morality in Media, a intenté une action en justice contre Twitter au début de l’année, accusant la plateforme de permettre le trafic des êtres humains et d’en tirer profit. La plainte, déposée au nom de deux hommes, allègue que Twitter « a sciemment hébergé du matériel pédopornographique, tirant profit de ce matériel nuisible et du trafic qu’il attire ».
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Grâce à une décision de justice rendue à la mi-août, l’affaire a pu avancer. Dans son action en justice, le NCOSE affirme que lorsque les deux plaignants avaient 13 ans, un trafiquant sexuel les a manipulés pour qu’ils envoient des images sexuelles d’eux-mêmes sur Snapchat ; les vidéos ont ensuite été publiées sur Twitter. Ils affirment que malgré leurs efforts pour faire retirer les vidéos en contactant Twitter et la police, les tweets sont restés affichés pendant neuf jours et ont accumulé 167 000 vues et 2 223 retweets.
« Pour commencer, Twitter devrait se conformer à sa propre “politique de tolérance zéro” en éliminant de sa plateforme tous les contenus relatifs aux abus sexuels sur les enfants », dit Benjamin Bull, avocat général du NCOSE.
Comme le détaille le National Center for Missing and Exploited Children (NCMEC) dans son rapport annuel, les réseaux sociaux comme Twitter et Facebook signalent régulièrement des contenus pédopornographiques sur leurs plateformes. Facebook a signalé à lui seul 20 307 216 occurrences pour la seule année 2020. Twitter en a signalé plus de 65 000 en 2020.
Le NCOSE est hostile à toutes les formes de travail sexuel et de divertissement pour adultes, et affirme qu’« il est pratiquement impossible pour un utilisateur régulier de Twitter d’éviter les contenus sexuellement explicites ». C’est faux : Twitter dispose de contrôles qui permettent aux utilisateurs de filtrer les contenus sensibles, dont les contenus sexuels. Les utilisateurs qui mettent en ligne des contenus sensibles sont tenus de les signaler comme tels, sous peine d’être suspendus ou bannis. La plateforme dispose également de règles contre la nudité non consensuelle, le partage d’informations privées et l’exploitation sexuelle des enfants.
« Twitter a une tolérance zéro pour tout matériel qui présente ou promeut l’exploitation sexuelle des enfants, nous dit un porte-parole de Twitter. Nous luttons agressivement contre la pédopornographie en ligne et avons fortement investi dans la technologie et les outils pour faire appliquer notre politique. Nos équipes dévouées travaillent pour garder une longueur d’avance sur les acteurs de mauvaise foi et pour s’assurer que nous faisons tout ce que nous pouvons pour supprimer le contenu, faciliter les enquêtes et protéger les mineurs contre les préjudices – à la fois en ligne et hors ligne. »
« Twitter est rempli de pornographie qui soutient les mythes du viol, normalise l’inceste et les relations entre adultes et adolescents, et renforce les stéréotypes sexuels dégradants à connotation raciale. Il s’agit notamment d’annonces de prostitution par webcam et de rencontres en personne », indique le NCOSE sur son site, qui promeut également le hashtag #CleanUpTwitter.
L’utilisation de cas d’exploitation sexuelle, et en particulier d’exploitation sexuelle de mineurs, pour faire pression sur les plateformes a permis d’interdire à Pornhub l’accès à Visa et Mastercard, a récemment incité OnlyFans à envisager d’interdire le porno et a conduit à la fermeture de nombreux sites de publicité et de réseautage pour adultes, notamment Backpage et la section des annonces personnelles de Craigslist.
Dans la plainte, les avocats du NCOSE affirment que Twitter est « devenu un havre de paix et un refuge pour les pédophiles, les trafiquants d’êtres humains et les discussions sur l’exploitation sexuelle des enfants, y compris le commerce et la diffusion de matériel d’abus sexuel ». Ils affirment notamment que la plateforme devrait être tenue responsable en vertu de la loi sur la lutte contre le trafic sexuel en ligne, qui rend les plateformes responsables de tout discours à caractère sexuel qui pourrait être interprété comme un trafic sexuel au sens de la loi.
Twitter a déposé une requête pour rejeter le procès ; un juge a décidé de rejeter toutes les plaintes contre la plateforme qui était protégée en vertu de l’article 230 de la loi sur la décence des communications, mais a accordé la plainte selon laquelle Twitter était un « bénéficiaire » de la traite des êtres humains.
« Il s’agit d’une évolution troublante pour les plateformes en ligne qui luttent contre les abus commis par leurs utilisateurs sur leurs réseaux, explique l’avocat Lawrence Walters, dont le cabinet Walters Law Group est spécialisé dans les services juridiques liés au divertissement pour adultes. À l’origine, la section 230 a été conçue précisément pour empêcher cette notion de “bénéficiaire”. Mais, en grande partie à cause de la loi FOSTA, des plaintes civiles pour trafic sexuel peuvent désormais être déposées contre des plateformes en ligne qui n’ont aucune implication directe avec le trafic sexuel ou les victimes. Twitter supporte désormais la charge de la communication préalable, de la préparation au procès et potentiellement d’un procès puisque la FOSTA a éliminé l’immunité sur laquelle les fournisseurs de services en ligne s’appuyaient auparavant pour rejeter rapidement ces plaintes. »
Même si Twitter n’a pas activement sollicité le matériel abusif, ou directement participé au trafic sexuel, dit Walters, le tribunal a permis à cette plainte de se poursuivre quand même.
Cette affaire survient au milieu d’une période déroutante pour les travailleurs du sexe qui dépendent des plateformes en ligne pour gagner leur vie. Le 19 août, OnlyFans a annoncé vouloir interdire les contenus sexuellement explicites à partir d’octobre. La plateforme est revenue sur sa décision six jours plus tard. Dans un premier temps, le NCOSE s’est réjoui de l’interdiction des contenus explicites, alors que de nombreux travailleurs du sexe se sont exprimés sur Twitter et dans la presse pour expliquer que cette mesure les exposait à un risque accru de préjudice et d’exploitation. L’organisation a ensuite décrié la décision d’OnlyFans de suspendre l’interdiction, demandant à nouveau au ministère de la Justice d’enquêter sur la plateforme.
Étant donné qu’OnlyFans ne dispose d’aucune fonctionnalité de découverte sur son site et que de nombreux créateurs de contenu pour adultes utilisent diverses plateformes pour vendre leurs œuvres, Twitter est un lieu central pour se faire connaître. C’est l’une des dernières plateformes grand public qui permet au porno et au discours sexuel de coexister avec tout le reste ; on peut y trouver une communauté, s’organiser politiquement, partager des informations importantes sur ce qui se passe dans le secteur, mais aussi promouvoir son travail et trouver un public pour celui-ci, tout cela au même endroit.
En 2020, le NCOSE a soutenu une campagne d’Exodus Cry, une organisation de lutte contre la traite des êtres humains, visant à « fermer » Pornhub ; après cette campagne et un article de Nicholas Kristof dans le New York Times sur les allégations de trafic sexuel sur la plateforme, Mastercard et Visa ont arrêté de collaborer avec le site pornographique. Quelques jours après l’annonce de l’interdiction d’OnlyFans, alors que les travailleurs du sexe en ligne s’efforçaient de trouver une nouvelle place sur d’autres plateformes, Laila Mickelwait (fondatrice de la campagne de fermeture de Pornhub) a tweeté que Twitter était leur nouvelle cible : « Pendant que nous parlons d’OnlyFans, tout le monde devrait savoir que Twitter distribue également de la pornographie illégale », a-t-elle écrit.
Facebook et Instagram ont sévi avec des règles incroyablement strictes contre le matériel pour adultes ou tout ce qui est vaguement suggestif, mais le matériel pédopornographique prolifère toujours sur ces sites alors que le contenu adulte légal est interdit. « Les organisations de lutte contre la traite des êtres humains demandent maintenant la même chose pour Twitter, et les travailleurs du sexe sont épuisés et effrayés, explique Envy Us, qui utilise Twitter pour promouvoir son travail. Est-ce que ça va s’arrêter là ? Est-ce que je vais pouvoir trouver une autre plateforme et me reconstruire ? »
Les pratiques de modération de Twitter sont loin d’être parfaites ; l’entreprise est souvent trop lente à traiter les abus, semble préférer l’ajout de nouvelles fonctionnalités tape-à-l’œil à la résolution de problèmes réels comme le harcèlement et les discours de haine, et supprime les comptes des travailleurs du sexe sans explication. Mais si Twitter cédait un jour à la pression des organisations de lutte contre la traite des êtres humains et sévissait contre les contenus explicites, les répercussions sur les personnes qui utilisent le site pour promouvoir leurs marques seraient très dommageables.
« Twitter est vraiment le seul réseau social mainstream qui autorise les contenus explicites. C’est pourquoi il constitue un outil formidable pour convertir les internautes en fans payants, confie la créatrice de contenu pour adultes Ella Barnett. Je peux pousser les adeptes d’autres plateformes vers Twitter, car je peux y poster messages et des liens. Sur des plateformes comme TikTok ou Instagram, je dois être incroyablement discrète pour éviter que mon profil ne soit supprimé, alors plutôt que de dire quelque chose comme “Allez voir mon OnlyFans” ou “Lien dans la bio”, je peux dire “Suivez-moi sur Twitter pour en savoir plus”. » Ella dit que son Snapchat a été supprimé, qu’elle a été temporairement bannie de TikTok et qu’elle a été bannie pendant 30 jours sur Facebook à plusieurs reprises, malgré le respect des règles sur chacune de ces plateformes. « Twitter est le seul site où je peux vraiment faire de la promotion auprès de followers non payants sans risquer de voir mon compte supprimé. »
« Twitter est vraiment la dernière ressource dont disposent la plupart des travailleurs du sexe. Le site nous permet de rester connectés à notre base de fans et sans lui, nous serions encore plus loin dans les méandres d’Internet, là où le NCOSE veut nous envoyer », dit Envy Us.
Le fait que des journalistes et des travailleurs du sexe utilisent la même plateforme aide également les communautés marginalisées à faire passer leur message lorsqu’elles sont attaquées. « Avec l’affaire OnlyFans, c’était la première fois que certains médias nous écoutaient vraiment, poursuit Envy Us. Ces organisations anti-pornographie comptent sur le fait que les gens n’écoutent pas les travailleurs du sexe. Elles comptent sur l’image sociétale qui a été peinte de nous depuis des siècles. Que nous sommes un groupe de personnes malhonnêtes qui ont besoin de personnes extérieures à notre communauté pour parler en notre nom. Alors qu’en réalité, nous sommes propriétaires de petites entreprises, nous sommes des leaders communautaires, des contribuables et, en général, nous sommes plus instruits que quiconque sur la façon de modérer les espaces en ligne. Nous aimons nos emplois et nous voulons simplement les garder comme tout le monde. »
Rien ne prouve pour l’instant que ce procès débouchera sur une purge du contenu sexuel sur Twitter, ou que le porno sera interdit en conséquence. Mais comme nous l’avons vu avec Pornhub, OnlyFans, et toutes les autres plateformes que les organisations de lutte contre le trafic et le travail du sexe attaquent avec des accusations légales et des pressions publiques, il est utile d’examiner comment les précédents juridiques affectent les réalités matérielles des communautés marginalisées en ligne.
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