Bravo, les cokeheads européens : vous êtes en train de ruiner l’Afrique de l’Ouest

Des sachets de cocaïne saisis par la police au Bénin (Photo via)

À la fin du mois de juin, l’ONU a organisé sa Journée internationale contre l’abus et le trafic de drogue. Yuri Fedotov, le directeur de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC), a clôturé l’événement par un discours à l’issue duquel il a déclaré, sans grande surprise, que l’Afghanistan demeurait le plus grand producteur d’opium au monde. Le discours faisait également état du marché en plein essor des drogues légales et revenait sur la difficulté des gouvernements du monde entier à lutter contre le trafic de drogue mondialisé.

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Cependant, Fedotov a émis une observation intéressante sur le marché émergent de la cocaïne en Afrique de l’Ouest. « En Afrique, la consommation [de cocaïne] est en train de croître », a-t-il annoncé, avant d’affirmer – fait inquiétant – que cela démontrait une augmentation du trafic de drogue dans la région et que « le crime organisé alimente l’instabilité économique et politique sur tout le continent ». Fedotov a ajouté que d’un point de vue global, nous ne pouvions pas permettre aux drogues illicites de ralentir le développement de cette région du monde et que la communauté internationale devait venir en aide à ces pays nouvellement dévastés par la coke et ses effets secondaires : corruption, guerres des gangs, dépendance, crime, propagation du VIH et pauvreté.

Ce que Yuri a oublié de reconnaître – peut-être par inadvertance –, c’est que les politiques de l’ONU étaient partiellement responsables de l’augmentation des problèmes de drogues en Afrique. Les contrôles policiers sur les routes traditionnelles de la cocaïne – Amérique du Sud/océan Atlantique/Europe – ont forcé les contrebandiers à s’arrêter dans les pays africains de la côte atlantique – Ghana et Nigéria notamment – avant de ramener la marchandise en Europe.

J’ai parlé à Adelou Ogunrombi, un membre de la Commission ouest-africaine des drogues, une organisation particulièrement préoccupée par ce nouveau problème. Je lui ai demandé à quoi ressemblait la situation sur le terrain. À voir l’homme ci-dessous avec un regard très sérieux et un énorme fusil, vous comprendrez que tout n’est pas encore gagné.

Des soldats maliens lors d’un exercice d’entraînement avec des troupes américaines. (Photo


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VICE : Bonjour, Adeolu. D’où vient toute cette coke qui arrive en Afrique ?
Adeolu Ogunrombi :
La cocaïne provient d’Amérique latine, comme la traditionnelle marchandise européenne. Mais aujourd’hui, elle traverse l’Atlantique via l’Afrique de l’Ouest, et ce n’est que dans un troisième temps qu’elle finit entre les mains des consommateurs européens.

OK. S’agit-il vraiment d’une nouvelle route pour les contrebandiers ?
La route ouest-africaine est exploitée depuis longtemps mais ces cinq dernières années, nous avons observé une augmentation significative du volume de drogue transitant dans la région. En conséquence, des cartels internationaux collaborent désormais avec des réseaux de criminels locaux, soudoient des officiels de l’État nigérian et même des groupes terroristes, afin que ceux-ci transportent leurs biens vers l’Europe et l’Amérique du Nord. Les routes traditionnelles étant de plus en plus contrôlées, les trafiquants sont obligés de trouver des alternatives.

Cette augmentation a-t-elle des répercussions sur la consommation de cocaïne dans la région ?
Oui, la consommation de cocaïne et celle de plusieurs autres drogues dures augmentent. Ça touche la plupart des pays alentour, du Mali au Cap Vert en passant par le Nigéria, la Sierra Leone, le Ghana et la Guinée-Bissau. Le Rapport mondial sur les drogues en 2013 a montré que le Nigéria était le plus gros consommateur de drogues dures d’Afrique, et plus particulièrement de cocaïne.

Et cette augmentation est forcément due au transit dans la région ?
Oui. Tandis que les drogues transitent par ces pays, une partie du produit trouve inéluctablement son chemin vers les fournisseurs locaux. Selon l’UNODC, environ 30 % des drogues qui transitent dans la région sont consommées sur place. À cause de leur disponibilité, les drogues sont de moins en moins chères et touchent de plus en plus de gens. Par exemple, ici une dose de crack coûte l’équivalent de 2 euros – un prix adapté à la région.

Ceci a créé toutes sortes de problèmes, y compris une augmentation du nombre de personnes dépendantes et du nombre de consommateurs par injection. Les jeunes sont également de plus en plus touchés.

Un message de sensibilisation au VIH dans le village de Simonga, en Zambie. (Photo


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Du fait des injections, les risques de propagation du VIH sont décuplés. Pensez-vous que l’Afrique de l’Ouest a les capacités de faire face à une augmentation du nombre de toxicomanes causée par ces nouveaux itinéraires du trafic ?
Il s’agit d’un défi important aujourd’hui, parce que les infrastructures nécessaires n’existent pas encore ; de même, les services de réduction des risques sont quasi-inexistants. Les forces de l’ordre de la région adoptent encore une approche strictement punitive. Il y a eu un cas récent au Ghana, rapporté par la presse écrite, d’un jeune homme qui s’est fait prendre en train de fumer de l’herbe ; la police l’a tué par balles en essayant de l’arrêter.

Merde. Qui est à l’origine du trafic ?
Je ne peux pas vraiment vous dresser une liste de tous les gens concernés, mais on a constaté à plusieurs reprises la présence de gens originaires de Colombie, de Bolivie et du Brésil. Les cartels de ces pays rencontrent, à raison d’une à deux fois par an, leurs contacts locaux dans les pays ouest-africains.

Quand on voit la violence générée par la dope au Mexique – guerres de cartels, civils assassinés et l’intégralité de la vue politique ébranlée – la situation ouest-africaine vous inquiète-t-elle ?
Bien sûr. Nous devons nous baser sur la situation sud-américaine ; tout le monde se bat pour le contrôle de la région, se dispute les postes hauts placés à cause de l’énorme somme d’argent en jeu. Une telle situation pourrait émerger en Afrique de l’Ouest si les mesures nécessaires n’étaient pas mises en place. Gardez aussi à l’esprit que la valeur de la cocaïne qui passe à travers la région est plus importante que le PIB de certains des pays de transit eux-mêmes.

Pensez-vous, comme Yuri Fedotov, que les organisations telles que la vôtre ont besoin de plus de financements ?
Absolument, mais ce n’est pas tout. Alors que beaucoup de gens parlent des défis croissants que représentent le trafic et la consommation de drogues dans la région, il ne s’agit toujours pas de priorités pour les gouvernements d’Afrique de l’Ouest. Peu de gens sont au courant de la gravité de la situation, la manière dont elle ébranle la sécurité, la gouvernance et le développement dans l’ensemble – personne n’en parle.

Il vous faut donc de l’argent afin de sensibiliser les gens ?
Oui, et pour mettre en place la bonne approche vis-à-vis du contrôle des drogues dans la région. Pour le moment, nous nous en tenons à la tactique traditionnelle, à savoir se baser sur le nombre d’arrestations, de saisies de drogues, etc. Mais notre progrès devrait être mesuré par rapport à des choses telles que le nombre de gens ayant besoin de traitements, leur capacité à y accéder, et au nombre de nouveaux cas de VIH dus aux drogues évités – il s’agit de choses qui ont rapport à la santé plutôt qu’au crime.

Donc la préoccupation principale n’est pas la drogue, mais plutôt les lois qui déclenchent des problèmes plus graves ?
Oui. Quand vous forcez le consommateur à devenir clandestin en rendant d’une part sa dépendance illégale et de l’autre, en mettant entièrement le trafic dans les mains de groupes criminels armés, les dégâts sociaux qui en résultent sont bien plus graves que les dégâts provoqués par les drogues elles-mêmes.

Merci, Adeolu.

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