Cet article a initialement été publié sur Tonic.
Il n’est pas rare que les docteurs filment et partagent leurs interventions chirurgicales à des fins éducatives. Malheureusement, certains chirurgiens plastiques poussent l’expérience vidéo vers des extrémités gênantes : ils créent un environnement digne d’un cirque pendant les opérations et diffusent leurs enregistrements sur des plateformes sociales comme Snapchat et Instagram.
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Ces comportements sont peut-être à l’aune de la disparition. Dans un article publié le 29 septembre dernier par la revue scientifique Plastic and Reconstructive Surgery, des auteurs du centre médical Northwestern, dans l’Illinois, proposent un nouveau code d’éthique pour encadrer la diffusion d’images de patients endormis sur la table.
Les chirurgiens utilisent de plus en plus les médias sociaux pour divertir : ils filment et photographient en salle d’opération, ajoutent des légendes, des emojis et des filtres aux images et diffusent le tout.
Cette mode est née il y a quelques années, quand Michael “Dr. Miami” Salzhauer, un chirurgien plastique basé en Floride, a commencé à publier des vidéos provocantes sur ses profils sociaux. Dans l’une d’entre elles, 2Chainz l’accompagne en salle d’opération pour un “Brazilian butt lift”, un lifting du fessier. Le docteur regarde la caméra et lance : “Makin’ that booty !” Le rappeur répond : “That shit gon’ make me fucking throw up.”
“Les médias numériques sont comme des amplificateurs de nature humaine, pour le meilleur et le pire, explique Clark Schierle, chirurgien plastique certifié et auteur principal du papier. Dans la chirurgie plastique, nous ne faisons pas exception.”
Plusieurs imitateurs du Dr. Miami ont émergé ces dernières années. Les contenus qu’ils diffusent sur les réseaux sociaux sont parfois dérangeants et potentiellement irrespectueux. Cet Instagram montre des images d’une liposuccion suivies d’une photographie de la graisse extraite dans un grand cylindre translucide, accompagnée par la légende : “En train de faire du smoothie maison”. Dans une autre vidéo, deux chirurgiens dansent sur de la trap au-dessus de leur patiente encore inconsciente, ses (nouvelles) fesses découvertes.
Il y a pire : dans un de ses précédents articles, Schierle estime que seulement 18% des contenus “chirurgie esthétique” publiés sur Instagram proviennent des chirurgiens certifiés.
“Nous sommes dans une époque où les médias sociaux permettent une transparence et une transmission horizontale de l’information incroyables, explique le chirurgien. Il y a beaucoup de points positifs à ça, mais aussi des points négatifs, comme un intérêt trop prononcé pour le contenu viral, les mèmes et autres.” C’est cette transparence qui a poussé Schierle et ses collègue de la Northwestern University à proposer de nouvelles lignes de conduite pour les chirurgiens actifs sur les réseaux sociaux.
L’American Society of Plastic Surgery (ASPS), le plus grand groupe de chirurgiens plastiques certifiés des États-Unis, a son propre comité et un code d’éthique que ses membres acceptent de suivre. “Nous avons un code d’éthique très clair qui place la sécurité et l’intimité du patient au-dessus de tout”, explique David Song, l’ancien président de l’ASPS.
Le code d’éthique de l’ASPS actuel affirme que des actions disciplinaires menacent les chirurgiens qui diffusent des messages contenant une “affirmation ou déclaration fausse, frauduleuse ou trompeuse”. Les praticiens n’ont pas le droit de dévoiler les “confidences” ou les “caractéristiques” d’un patient, et ils doivent aspirer à “rendre service à l’humanité dans le plus grand respect de la dignité humaine.”
Le code de l’ASPS est assez vague pour permettre aux chirugiens d’affirmer que le contenu qu’ils diffusent sur les réseaux sociaux est conforme à ses directives. Il n’évoque pas spécifiquement les comportements absurdes, comme jouer avec des tissus fraîchement extraits, se moquer de la graisse des patients ou twerker pendant une opération.
Prenons l’exemple du “smoothie maison” : “Je ne sais pas très bien si notre code d’éthique interdit ça”, avoue Schierle. L’auteur de la photographie pourrait rétorquer que son équipe n’a pas compromis le bien-être du patient, qu’ils n’ont d’ailleurs pas identifié, et que la légende a été ajoutée par un collègue qui n’a fait qu’exercer son droit à la liberté d’expression. La zone grise est trop vaste.
L’article de Schierle, qui doit être présenté pendant le meeting annuel de l’ASPS la semaine prochaine, est le premier effort de lutte contre ce genre de comportement. Son auteur a résumé pour nous deux de ses plus grands points.
D’abord, le médecin devrait toujours se concentrer sur le bien-être du patient avant tout. “Si vous êtes en train d’opérer un patient, mieux vaut sans doute s’abstenir de chanter, danser, mutiler ou tripoter leur corps pendant qu’il est inconscient”, explique le chirurgien. Ensuite, le médecin devrait toujours se soucier de l’intérêt du patient, “maintenant et dans le futur”. Brittanny, 21 ans, est peut-être sûre que diffuser les images de son lifting fessier sur Internet est une super idée. Le pensera-t-elle toujours à 31 ans, quand elle cherchera du travail ?
“Je pense qu’il appartient aux chirurgiens de s’assurer que les patients et futurs patients sont pleinement conscients des effets à long terme que peuvent entraîner ce type de vidéo lorsqu’elles sont partagées sur les médias sociaux”, ajoute Song.
Dans la salle d’opération, la sécurité, le confort et le bien-être du patient devraient passer avant tout – y compris la célébrité Instagram et les points Snapchat. “Vous devez vouloir vous conduire de manière à préserver l’intimité de la relation praticien-patient et respecter le décorum et la sainteté de cette relation, explique Schierle. Cela devrait être un principe de base, et ce quelque soit le médium.”