Faute de preuve, seulement deux des 28 policiers de la Sûreté du Québec (SQ) faisant l’objet d’une enquête feront face à des accusations criminelles. Les allégations d’agressions d’Autochtones, investiguées en 37 dossiers distincts, se seraient déroulés principalement dans la région de Val-d’Or.
Le tout avait été déclenché à la suite d’un reportage de Radio-Canada, diffusé l’an dernier, dans lequel des femmes autochtones affirmaient avoir été abusées et agressées par des membres des forces de l’ordre. Les six policiers de la SQ de Val-d’Or suspendus le temps que la police de Montréal (SPVM) mène l’enquête sont désormais blanchis.
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Les deux seuls accusés sont retraités. Alain Juneau, un ancien policier de la SQ, est accusé d’agression sexuelle et de voies de faits pour des événements survenus à Shefferville entre 1992 et 1994. L’autre suspect est un ex-policier de la police Amérindienne de Shefferville, Jean-Luc Vollant. Il est accusé de viol, d’atteinte à la pudeur et d’agression sexuelle pour des actes commis entre 1980 et 1986. Les accusés sont présentement en liberté, et sont appelés à comparaître le 19 janvier au palais de justice de Sept-Îles.
On vous doit des explications
Chose rare, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a tenu à expliquer pourquoi il ne poursuivait pas tous les policiers visés par les enquêtes, assurant que « cela signifie que l’événement n’est pas survenu », et qu’il ne favorise pas « une version plus qu’une autre ».
Le fardeau de la preuve est au centre cette décision. Pour porter des accusations, le procureur doit être « en mesure d’en établir la preuve hors de tout doute raisonnable lors d’un procès », insiste le DPCP. Ainsi, la preuve réunie dans les 35 autres dossiers était insuffisante pour déposer des accusations criminelles.
Des suspects non identifiés
Les procureurs ont jugé « la preuve d’identification insuffisante pour permettre des accusations criminelles » dans 19 cas. Les descriptions fournies par les témoins ou victimes n’étaient pas suffisamment précises, la victime n’a pas su reconnaître un suspect parmi d’autres, ou encore les crimes ont été rapportés trop longtemps après les événements pour que les suspects puissent être identifiés.
Le DPCP souligne l’importance de prouver « hors de tout doute raisonnable » que les accusations soient portées sur la bonne personne, en rappelant que la preuve d’identification est la principale source d’erreurs judiciaires au pays.
De multiples raisons invoquées
Au total, le DPCP relève que 16 des dossiers ne permettait pas d’établir la culpabilité des suspects, après avoir « examiné de façon exhaustive l’ensemble de la preuve ». Aussi, dans 10 cas, le DPCP juge que les actes rapportés n’étaient pas criminels, ou encore qu’il s’agissait de fautes civiles ou déontologiques commises par des policiers.
On dénombre trois dossiers qui n’ont pas eu de suite, car les allégations qui étaient faites par une tierce personne ont été niées par la présumée victime. On précise également qu’un policier n’a pas été accusé car il est décédé. À noter que plusieurs raisons pouvaient être invoquées par le DPCP pour ne pas porter d’accusations.
Une communauté qui gronde
« Nous nous sentons trahies, humiliées et notre cœur est brisé en mille morceaux. Comme si devant la justice de ce pays nous n’étions pas importants, nous ne comptions pas, nous n’avions pas été écoutées », a déclaré jeudi Jacqueline Michel, qui parlait au nom d’une douzaine de femmes autochtones réunies au Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or.
Comme d’autres membres de leur communauté, ces femmes réclament la tenue d’une commission d’enquête sur les relations entre Autochtones et policiers du Québec. La vérificatrice indépendante de l’enquête du SPVM juge elle aussi important de s’attarder au « racisme systémique » des policiers envers les Autochtones. Le gouvernement du Québec ne compte pas déclencher d’enquête publique pour l’instant.
En entrevue avec Radio-Canada, Ghislain Picard, le chef de l’assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador s’est dit « extrêmement déçu » de la réponse du DPCP, qui donne « l’impression de frapper un mur ». Il a évoqué les limites du système de justice, qui n’est selon lui pas adapté aux communautés autochtones.
Picard a souligné l’importance de poursuivre la lutte. Il espère « que les femmes qui sont là aujourd’hui en inspirent d’autres ». « C’est pas ici que ça va arrêter », a-t-il assuré.
Des dossiers à suivre
Les dossiers mentionnés ci-haut font partie de la « phase 1 » de l’enquête du SPVM, déclenchée en novembre 2015. Une « phase 2 », lancée en avril, vise à enquêter sur toutes les plaintes d’Autochtones visant tout corps policier autre que le SPVM.
Le DPCP étudiera ces dossiers dans les prochaines semaines. Rappelons qu’une des enquêtes de la « phase 1 » a été transférée dans la « phase 2 », pour que les policiers aient le temps de la terminer.
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