Pour se faire une idée de la place qu’occupent les polpette – les fameuses boulettes de viande – dans la culture culinaire et populaire italienne, il suffit de se remater cette scène du Parrain : alors que Don Vito vient de se faire cartonner et comate à l’hosto, la famille se retrouve pour une petite bouffe. C’est Peter Clemenza, le fidèle homme de main, qui s’occupe de la popote et raconte à Michael Corleone comment faire un plat pour 20 bonhommes bien costauds. Et bien sûr, les polpette en sont la clé de voute – en plus des saucisses, des tomates, de l’huile, de l’ail et « un peu de vin et de sucre, c’est ça mon secret ».
Sachant que la plupart des mafieux sont fascinés par les films qui parlent de mafieux et qu’on est dans un pays qui fait preuve d’un goût certain pour le crime organisé – les Italiens préfèrent à raison binge-watcher Gomorra que Game of Thrones – il n’était qu’une question de temps avant de retrouver les petites boulettes locales au centre d’un gros trafic de stups. Finalement, c’est dans une conversation téléphonique interceptée par les Carabinieri, entre un membre de la Camorra, la mafia napolitaine, et un joueur de Serie B (la division 2 italienne), qu’elles apparaissent.
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À l’époque des faits (lors de la saison 2013-2014), Salvatore Russo, dit « Geremia », est un proche d’Antonio Accurso, gros bonnet du clan des Vinella Grassi. C’est lui qui est chargé de négocier avec Luca Pini, ancien joueur du club d’Avellino, le score d’un match sur lequel les mafieux veulent se faire un paquet de biffetons.
Après quelques textos pour faire connaissance – « Combien ça coûte un match de foot ? », « Ça dépend de la côte en fait » – les deux interlocuteurs rentrent dans le vif du sujet : « On doit manger, je dirais, 3 polpette. On doit manger 3 polpette. Je te confirme ça. J‘ai la panse bien pleine. » L’accord vient d’être trouvé ainsi que le résultat. Les boulettes de viande correspondent ici au nombre de buts. Et quelques jours après, Avellino s’impose effectivement contre la Reggina. Le score ? 3 polpette à 0.
L’enquête de longue haleine menée par la police napolitaine anti-mafia a permis d’arrêter en mai 2016 plusieurs personnes liées à cette affaire. Elles sont accusées d’entretenir « des rapports qui ont entraîné la constitution d’une association de délinquants financiers manipulant différents matchs de football pour obtenir des bénéfices ensuite versés dans les caisses du clan rapporte », explique Il Tempo. Lors d’un interrogatoire, Accurso avait même avoué aux magistrats : « Moi le premier, j‘ai influencé les résultats de plusieurs parties. » Le clan des Vinella Grassi avait aussi dans sa manche le capitaine d’Avellino, Francesco Millesi qui a rencontré le « boss » dans un resto pour discuter d’un match contre Modène lors de la même saison.
Cela fait plusieurs années maintenant que les criminels de Scampia et d’ailleurs s’intéressent au Calcio, pariant de fortes sommes sur des matchs dont ils connaissent le score à l’avance. En 2006, le scandale du Calciopoli avait déjà jeté un sombre voile sur le foot italien mais à l’époque, l’organisation mafieuse, c’était la Juventus de Turin.
De leur côté, les Carabinieri ont visiblement décidé de ne plus se faire avoir par la bouffe après avoir laissé filer 785 000 euros de Parmigiano Reggiano. En avril dernier, ils arrêtaient Roberto Manganiello, autre « boss » de la Camorra, en le chopant à domicile. Les policiers s’étaient déguisés en livreurs de pizza.