Le mois dernier, la famille de l’ancien attaquant anglais Jeff Astle s’est exprimée sur le lien entre les traumatismes crâniens dans le football et les maladies neurodégénératives. Astle est mort en 2002, à seulement 59 ans, en s’étouffant avec de la nourriture. On lui avait diagnostiqué un Alzheimer précoce et le médecin légiste a immédiatement fait le lien entre sa maladie et la façon dont il a trouvé la mort. Une enquête a montré que les chocs répétés à la tête avec de lourds ballons en cuir sont à l’origine de traumatismes importants du cerveau. Un verdict de mort par maladie professionnelle a été constaté, suggérant que sa maladie avait un lien direct avec sa pratique sportive.
Astle a fait cinq apparitions avec l’équipe nationale vers la fin des années 1960 et au début des années 1970, mais il est sans doute plus célèbre pour son passage à West Bromwich Albion pendant dix ans, avec qui il a disputé plusieurs centaines de matches et marqué plus de 100 buts. Reconnu pour son remarquable jeu de tête, le voir s’élever au-dessus d’un malheureux milieu défensif avant de frapper la balle dans le fond des filets est devenu mythique. Sa carrière s’est étendue sur trois décennies : elle a débuté en 1959 et s’est terminée en 1977 avec un brève période de prêt à Hillingdon Borough.
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À ce moment-là, les multiples mini-traumatismes reçus lors des têtes avaient déjà fait leur mauvais effet.
Les ballons utilisés à l’époque où Astle jouait étaient beaucoup plus durs qu’aujourd’hui. Ils étaient en cuir et étaient exceptionnellement lourds – surtout lorsqu’ils étaient mouillés – et cela demandait donc un effort considérable quand il s’agissait de faire des têtes. Étant sans doute l’un des joueurs anglais avec le meilleur jeu de tête, Astle avait une réputation à tenir. Sans qu’il le sache, ses têtes endommageaient sérieusement sa santé.
Bien qu’Alzheimer lui ait été diagnostiqué avant son décès, un docteur ayant examiné son cerveau, encore intact en 2014, a déclaré qu’il souffrait en fait d’encéphalopathie traumatique chronique (ETC). Plus courante chez les boxeurs et les footballeurs américains, cette maladie est causée par des chocs à la tête et des commotions cérébrales répétés. Dans le cas de Jeff, il y a peu de doute quant au fait que sa mort ait été liée aux coups de tête donnés dans un ballon de foot. C’est en tout cas l’avis de sa famille, qui a fondé la Jeff Astle Association en 2015 dont l’objectif premier est de sensibiliser le public aux lésions cérébrales dans le sport.
À la lumière des récentes nouvelles révélant que trois membres de l’équipe d’Angleterre de 1966 souffraient de démence, la fédération anglaise de football (FA) a annoncé au mois d’avril qu’elle allait demander à la FIFA d’enquêter sur un possible lien entre les maladies neurodégénératives et le football. En réponse, Dawn, la fille d’Astle, a parlé de la lutte de sa famille pour faire connaître le lien entre les traumatismes cérébraux dus à ces coups de tête répétés et les maladies neurodégénératives se déclarant plus tard. Elle s’est exprimée sur la réaction lente de la FA, ainsi que sur le besoin de faire plus de recherches, et elle a assuré connaître près de 250 autres anciens joueurs ayant souffert du même genre de maladies.
Dawn a insisté sur le fait qu’elle était inquiète à propos de la génération actuelle de footballeurs professionnels : « Ce qui m’a été expliqué c’est que les ballons utilisés aujourd’hui sont beaucoup plus légers mais vont beaucoup plus vite et parfois les joueurs beaucoup plus athlétiques les frappent de la tête plus fort », a-t-elle expliqué à la BBC.
« C’est tout simplement physique, on parle ici de quelque chose frappant la tête et envoyant le cerveau valser contre le crâne. J’espère sincèrement qu’on ne pourra pas établir de lien de cause à effet avec les ballons actuels mais je serais très très surprise d’apprendre que les conséquences sur la santé ne sont pas les mêmes. »
S’il s’avère que les conséquences sur la santé sont les mêmes, alors cela deviendra une vraie source d’inquiétude pour les fans, les footballeurs, ainsi que pour la FA. Cependant, la procédure scientifique employée pour identifier un lien clair entre les chocs du ballon sur la tête et les maladies neurodégénératives est très complexe. Bien que le cas de Jeff Astle soit exceptionnel, il est souvent difficile de lier les traumatismes crâniens au foot – et dans n’importe quel sport d’ailleurs – aux maladies neurodégénératives avec un degré de précision satisfaisant.
Pour avoir un avis médical sur la question, je me suis adressé à Steve Gentleman, Professeur en neuropathologie au Département de Médecine à l’Imperial College London. Il m’a bien fait comprendre que, bien qu’il puisse y avoir un lien entre ces deux choses, il est difficile d’en être sûr dans la plupart des cas. « Il faut être prudent, car, comme pour la maladie d’Alzheimer, que quelque chose soit mis en avant comme une conséquence possible de commotions cérébrales est en soi très courant », a-t-il dit.
Pour établir ce lien chez une personne, il faudrait être certain de comprendre parfaitement l’historique clinique du patient ainsi que tout le reste. C’est compliqué d’expliquer une maladie neurodégénérative par un traumatisme crânien particulier. « Alzheimer, actuellement, atteint environ une personne sur 20 chez les gens âgés de 65 ans, précise le spécialiste. Et arrivé à 85 ans c’est une personne sur cinq. »
Étant donné qu’il y avait 22 joueurs dans l’équipe d’Angleterre lors de la Coupe du monde de 1966, le fait que trois d’entre eux souffrent de démence n’est pas nécessairement anormal en comparaison avec la population générale. Le taux de maladies neurodégénératives parmi eux n’est pas anormalement élevé. Contrairement à Jeff Astle, il serait très dur de relier directement leur maladie au football, sans plus de preuves en tout cas. Ça ne veut pas dire que les décennies passées à faire des têtes avec les anciens ballons en cuir n’ont rien à voir avec leurs maladies, mais cela montre plutôt qu’il y a besoin de faire plus de recherches avant de pouvoir tirer des conclusions solides.
Pour que ces recherches soient efficaces, elles doivent être réalisées sur le long terme et être détaillées. Il n’est pas suffisant d’étudier les anciens footballeurs au moment où ils deviennent malades. Il est nécessaire d’observer un large échantillon de joueurs sur une durée prolongée. Comme me l’a dit Steve : « Lorsque quelqu’un souffre d’un traumatisme crânien, il va aux urgences. Il est soigné à l’hôpital et y reste pendant un long séjour. »
« Cependant après qu’il a été traité, il sort de l’hôpital et rentre chez lui. Si tout se passe bien, il n’est plus suivi. Mais ensuite, s’il commence à montrer des signes de troubles cognitifs – comme des pertes de mémoire, ou des difficultés à prendre des décisions 10 ans plus tard – on ne fait pas toujours le lien avec le traumatisme. »
« Il n’y a vraiment pas assez de suivi. On doit continuer à suivre les patients tout le long de leur histoire – de leur voyage si vous voulez – depuis leur carrière sportive, au moment de toutes les blessures qu’il peuvent avoir ou ne pas avoir eu et, ensuite, déterminer s’ils ont ou pas des problèmes cognitifs plus tôt que les autres personnes, s’ils ont des problèmes différents etc.»
« Il y a beaucoup de questions qui restent sans réponse. On peut observer ces problèmes chez les anciens joueurs, mais leurs causes et leurs effets ne sont pas toujours entièrement clairs. »
Steve est l’auteur d’un travail très important sur les pathologies des boxeurs. Étant donné la nature de leur sport, il est beaucoup plus facile d’identifier des traumatismes crâniens répétés comme les causes de n’importe quelle maladie neurodégénérative dont ils pourraient souffrir plus tard. « L’essentiel c’est que la pathologie des boxeurs est très très similaire à ce qui est rapporté aux Etats-Unis, chez les footballeurs américains, où l’on est clairement en présence d’encéphalopathie traumatique chronique, ou CTE », explique Steve Gentleman.
« On confirme encore cette évolution dégénérative associée au sport, qui est passée au premier plan aux Etats-Unis depuis que la NFL a commandé des études. Des scientifiques ont tenté d’identifier la progression de cette évolution du cerveau et de l’assimiler à divers facteurs cliniques. »
« Le travail avec les boxeurs est d’ailleurs plutôt utile, parce qu’il aide à renforcer cela [l’évolution dégénérative liée au sport] comme une entité pathologique. C’est quelque chose qui est discret et qui est presque certainement dû à des traumatismes répétés. De la boxe, il n’y a qu’un pas pour que les autres sports réalisent que des coups répétés à la tête sont un problème. »
« Naturellement, le lien entre un traumatisme crânien et une maladie neurodégénérative est loin d’être évident pour les footballeurs modernes. Alors que les boxeurs prennent de violents coups à la tête, faire une tête au foot est moins destructeur dans l’immédiat. Néanmoins, c’est la nature répétitive de l’activité, à la fois à l’entraînement et pendant les matches, qui rend le problème aussi important. »
J’ai demandé à Steve s’il pensait que les conséquences de têtes répétées avec un ballon moderne étaient similaires à celles de têtes avec un lourd ballon en cuir de l’époque de Jeff Astle. En bref, la réponse est que l’on ne peut pas en être certain. Pour Steve, les chocs entre les têtes de joueurs est le problème à propos duquel il faudrait d’abord s’inquiéter. Mais il m’a bien fait comprendre qu’il était nécessaire de faire plus de recherches.
La Jeff Astle Foundation est parvenue à la même conclusion. Pour que des études longitudinales et étendues soient efficaces, les chercheurs vont avoir besoin de financements durables de la part des instances gouvernantes du football. Que ces instances puissent être persuadées de commander une enquête appropriée et détaillée reste à voir.