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Les Pygmées d’Ouganda doivent faire semblant pour les touristes

Perché sur une échelle faite de branches et apposée contre un arbre massif, le chasseur pygmée lève doucement son arc en direction de l’épaisse canopée de la forêt équatoriale. Il est prêt à laisser partir la flèche et tuer pour le repas du soir. Seulement aujourd’hui, la faune sauvage est en sécurité. Cette partie de chasse n’est que du pur spectacle.

Le jeune homme, qui appartient à la communauté pygmée des Batwa, dans le sud-ouest de l’Ouganda, rejoue les techniques traditionnelles de chasse dans la forêt pour une famille de touristes allemands qui a décidé de suivre le « Circuit Batwa » pendant leurs vacances. Avant ça, ils étaient allés observer les gorilles des montagnes — mondialement connus — dans le parc national de Mgahinga, aussi situé en Ouganda. 

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Les affiches vantant cette « expérience authentique » avec les Pygmées sont disséminées dans tout Kisoro, une ville d’Ouganda située à la frontière avec la République démocratique du Congo. À Kisoro, une foule de touristes se presse pour aller découvrir l’habitat naturel des gorilles. En revanche, peu d’entre eux savent que, lorsque les « parcs nationaux impénétrables » de Mgahinga et de Bwindi ont été créés au début des années 1990, ses habitants originels, les Batwa, ont été expulsés par les Autorités de protection de la faune et de la flore d’Ouganda (UWA pour Uganda Wildlife Authorities).

« C’était tellement violent, » se souvient Francis Sembargari, un aîné de la communauté Batwa, qui est né à Mgahinga. « L’un des frères de mon père a été tué par les soldats qui nous expulsaient. Tout le monde courait, tombait, et prenait tout ce qu’il était possible de porter. Le gouvernement a utilisé des armes contre nous, qui n’en avions pas. »

Chasseurs et cueilleurs depuis des générations, les Batwa ont été déplacés non loin de là dans la ville de Kisoro, où ils ont eu beaucoup de mal à s’adapter à la société moderne. Ils n’ont pas été indemnisés pour leurs pertes et ont été réduits à l’état de squatteurs, sans terre, vivant dans ce qui s’apparente à des bidonvilles. Ils n’ont pas non plus le droit de retourner dans leur habitat ancestral.

« Depuis le début des années 1990, aucun Batwa n’a le droit d’aller dans la forêt. Si tu essayes d’y entrer, tu es capturé et arrêté pour des raisons que nous ne connaissons pas. Nos droits sont piétinés, la forêt nous appartient, » dit Sembargari.

Des responsables de l’UWA ont expliqué à VICE News que l’expulsion a largement été exagérée par les Batwa. Selon le directeur du parc national de Mgahinga, Deusdedit Twinomugisha, la pression démographique autour de la forêt rendait impossible toute exception pour les Pygmées. « D’autres personnes de l’extérieur rejoignaient les Batwa pour chasser, à tel point que certains animaux ont disparu, » a-t-il déclaré.

Mais pendant que l’UWA gagne des millions grâce au tourisme chaque année, les Batwa payent chaque jour leur expulsion. La communauté a été réduite à seulement quelques milliers de membres qui vivent dans l’extrême pauvreté, avec moins de 75 centimes par jour (comparé au revenu journalier moyen qui est de 1,65 euro en Ouganda). Pendant trois décennies, ils ont lutté pour la reconnaissance de leurs droits, en vain.

Le circuit Batwa, une reconstitution plutôt grotesque de la vie dans la forêt qui s’apparente à une tragicomédie, est joué par trois Batwa. Ils simulent des scènes de chasse — dont une scène dans laquelle l’un d’entre eux fait semblant d’être un chien — et portent des peaux de chèvre avec fermetures éclair à la place de leurs traditionnelles peaux d’animaux sauvages (qui ont été considérées comme politiquement incorrectes). Le circuit se déroule sous l’oeil attentif des gardiens du parc. C’est le seul moment où un Batwa est autorisé à revenir dans le parc.

L’UWA paie chaque « acteur » 2 dollars pour le spectacle, et explique avoir créé un fonds dans lequel la moitié des revenus du circuit sont transférés pour bénéficier ensuite à la communauté Batwa. Les chefs Batwa précisent qu’ils n’ont jamais été consultés, et ne savent pas quand et comment cet argent leur sera transmis.

Le circuit Batwa a été lancé dans le cadre d’une initiative menée par Arthur Mugisha, un ancien responsable de l’UWA, qui a ensuite rejoint l’ONG Faune et Flore International (FFI). Mugisha voulaient que les Batwa deviennent une partie intégrante de la gestion des parcs et a entamé des négociations avec l’UWA et une organisation de défense des droits Batwa nommée OUBDU. « Le principe était de dire “Ne les regardez pas comme des animaux ou des attractions pour touristes, regardez-les comme des savants.” Nous voulions leur redonner du pouvoir, » a-t-il déclaré à VICE News.

Même si l’initiative a amené des résultats positifs et donné du travail à trois Batwa qui sont désormais employés par le parc national de Bwindi, la relation entre OUBDU et l’UWA s’est terminée de manière brutale après que l’organisation Batwa a déposé une plainte, contre l’UWA, relative aux droits territoriaux.

Avec l’UWA aux commandes, le circuit Batwa est devenu une attraction touristique profitable comme tant d’autres. « L’UWA n’était pas censée toucher un centime, » a dit Mugisha, qui déplore la rupture du dialogue entre les deux organisations.

Selon lui — et d’autres sources — la plainte pourrait ne déboucher sur rien. Les dispositions légales concernant la propriété territoriale sont insuffisantes pour déterminer comment indemniser la communauté Batwa. Les Pygmées restent donc bloqués dans un vide juridique — et condamnés à revivre leur passé sous le contrôle strict de ceux qui le leur ont volé, pour des étrangers à la recherche de la « vraie expérience Pygmée. »

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Suivez Melanie Gouby sur Twitter : @melaniegouby