Nos contributeurs à l’âge de l’insouciance
Malgré les préjugés négatifs véhiculés par la culture populaire et les grands noms de l’humour français, je ne me suis jamais méfié des dentistes. Je vais chez le même praticien depuis ma plus tendre enfance, et je l’ai toujours vu comme un Blanc diplômé plus âgé que moi (ce qu’il est) qui passe son temps libre à jouer au golf autour du monde (ce qu’il fait) et qui paie correctement ses « collaboratrices » (ce qui n’est sans doute pas le cas). J’ai aussi toujours bien aimé aller chez l’orthodontiste : elle me foutait un genre de pâte à la noix de coco dans les dents pour me faire une « gouttière » sur-mesure et sa salle d’attente était remplie de consoles de jeux. Je n’ai aucune raison d’en vouloir à cette profession qui accomplit sa tâche comme il se doit.
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Le capital sympathie dont bénéficient les coiffeurs, en revanche, m’a toujours surpris. Sous prétexte qu’ils étaient les confidents des bourgeoises au début du XXe siècle, ces cons vous demandent une blinde pour vous faire une coupe dont vous ne serez pas satisfait et prennent un plaisir sadique à faire exactement l’inverse de ce que vous leur demandez. À moins qu’ils ne soient complètement débiles. Je ne vois pas l’intérêt de nous demander notre avis si c’est pour en avoir rien à foutre.
Je campais sur cette position jusqu’à ce que je passe devant l’un des 130 salons de coiffure du quartier de Château d’Eau, à Paris. Ceux-ci sont remplis d’individus qui ont l’air au pire satisfaits, au mieux enjoués. Comme l’un de ces salons dans lesquels bonne humeur et fantaisie capillaire semblent marcher main dans la main, Maison Mère Coiffure, se situe à trois numéros du bureau, j’ai décidé de donner sa chance à l’ensemble de la profession des coiffeurs-visagistes exerçant sur le territoire français. J’ai amené avec moi Anissa, Julie, Zelda et Loïg, quatre jeunes gens pris au hasard dans nos bureaux, qui avaient tous besoin d’une bonne coupe.
Les mêmes, déjà un peu plus stressés à l’idée de passer entre les mains des visagistes de Maison Mère coiffure
ANISSA
Anissa a été la première à confier son cuir chevelu aux coiffeuses de Maison Mère Coiffure. J’ai essayé d’interagir avec elle pendant que la coiffeuse lui tressait les cheveux mais on avait du mal à communiquer ; les gens autour s’enthousiasmaient au son de cette chanson, qui mêle rythmique entraînante et dénonciation politique. Je cherchais à lui parler parce que j’avais peur qu’elle s’évanouisse, de la même manière qu’on parle à un accidenté de la route en attendant les secours, en se disant qu’on aurait peut-être dû consacrer 3 heures à l’AFPS, après tout. Anissa a souffert dans la dignité et les deux premiers mots qu’elle a prononcés après s’être levée du siège ont été « Sean Paul » et « douloureux ».
JULIE
Julie a d’abord accepté de se faire coiffer puis a passé les deux semaines suivantes à pleurer en position fœtale en répétant qu’on lui avait arraché son consentement. C’était vrai, mais on s’en foutait. Une fois installée sur le fauteuil de la coiffeuse guinéenne, elle n’a plus arrêté de parler. Plus qu’une coiffure à plateau, Julie a trouvé une vraie amie. Elle était tellement en confiance qu’une fois la partie droite de son crâne agrémentée de fines tresses, elle a voulu faire croire aux clientes du salon que la petite fille noire âgée de 5 ans à côté d’elle était sa fille. Peu de gens ont ri.
LOÏG
Le plan de Loïg était de rentrer dans le salon de coiffure et de dire : « Surprenez-moi ! » Les professionnels du salon l’ont pris à la lettre et convaincu sans trop d’effort de se raser la tête et d’y rajouter un motif. Au début, il voulait se faire un ballon de basket, mais il a finalement opté pour deux bandes à la signification aussi imprécise que l’exécution, agrémentées d’une large étoile ornant le côté de son crâne. Un choix audacieux qui lui coûte désormais de se faire insulter trois à dix fois par jour. Il retiendra aussi de ce passage à Maison-Mère Coiffure que le rasage des sourcils « n’est pas une expérience désagréable ».
ZELDA
Au début, on tenait à ce que Zelda sacrifie son chignon noir de jais pour une coiffure « à la Rihanna », mais elle a refusé. On s’en est remis à la visagiste qui, une nouvelle fois, nous a proposé l’option tresses plaquées sur une partie du crâne. Elle a donc décidé de faire partir les tresses depuis la frange, lui assurant que le résultat serait « super ». De loin, ça donnait l’impression que Zelda s’était rasé une partie du crâne, ce qui était en effet super. En s’approchant, on réalisait que les tresses étaient incrustées environ 3 millimètres à l’intérieur de son crâne.
MAXIME
J’ai opté pour une coupe discrète : tresses plaquées sur l’ensemble du crâne, une coiffure qui m’a permis de réaliser mon rêve d’enfance d’appartenir à une minorité visible. À mon arrivée dans le bureau, les éclats de rire ont vite cédé la place à des affirmations mensongères de type « ça te va pas si mal, en fait », « non, je te jure ça passe » ou « je me rappelle plus la tête que t’avais avant ».
Je suis allé en soirée pour voir si cette nouvelle coiffure imposerait ma crédibilité upcore à l’assistance ; l’espace de dix minutes, j’ai cru que ça marchait. Les gens s’écartaient sur mon passage et j’ai pu tracer jusqu’au bar sans problème. En fait, ce n’était pas lié à ma coiffure mais au fait que j’étais dans une soirée remplie de gens polis et de bonne humeur. Lorsque j’ai demandé aux inconnus autour de moi ce que leur inspirait la vision de sillons bruns parcourant mon crâne, ils m’ont certifié « absolument rien ».
En sortant du salon, on pensait tous pouvoir prétendre au statut de mec de rue qui nous avait tous fait rêver à un moment ou à un autre de notre adolescence. Mais après avoir vu les photos, on a dû accepter les faits : on avait l’air d’un groupe de polytoxicomanes de Reims, et de toute évidence, j’étais le bassiste. Depuis, j’ai laissé mes cheveux reprendre leur activité bouclée et j’ai juré de ne plus jamais assouvir mes fantasmes de ma vie.
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