En 1980, quand je me piquais, le speedball – un shot de coke et d’héroïne – était le trip ultime. Ce mélange mortel est donc devenu ma drogue préférée.
De nos jours, ces cocktails sont souvent pris en plusieurs fois, plutôt qu’en une seule injection. C’est sûrement en partie dû au fait que ces stimulants, mélangés à des opiacés, sont de plus en plus recherchés, pour des raisons pratiques : les gens qui consomment ont besoin de ce mélange pour combattre les effets des drogues plus puissantes.
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On pense souvent que prendre un anesthésique avec un remontant comme de la coke ou de la meth réduit des risques d’overdose, mais en réalité, ces mélanges sont plus mortels que la consommation d’opiacés purs, mais moins dangereux que de mélanger des drogues qui ont toutes les deux des effets anesthésiants, comme les benzodiazépines et autres opiacés.
Une des raisons qui poussent les gens à ignorer les risques mortels, c’est que, dans la grande majorité du pays, les drogues vendues sous le nom d’héroïne sont souvent contaminées par la présence de fentanyl, une catégorie d’opiacés pouvant être cinquante à des milliers de fois plus forte que l’héroïne elle-même. Même quand la puissance notoire de cette dernière ne provoque pas une overdose, elle provoque quand même, assez souvent, un endormissement intense. Selon les experts et les consommateurs, cet effet secondaire pousse les gens à chercher des stimulants, simplement pour rester conscients quand ils se défoncent. C’est un nouveau modèle de consommation de drogues faites maison, qui a des effets néfastes pour la santé, dans un contexte de crise de surconsommation d’opiacés déjà mortels.
Jon Zibbell, un analyste du département de la santé publique de l’organisme à but non lucratif RTI International, s’est entretenu avec des dizaines de consommateurs du Massachussetts, de l’Ohio, de la Virginie de l’Ouest, de la Caroline du Nord, de l’Indiana et du Kentucky. Il explique : « Selon moi, il y a une relation synergique entre la saturation de fentanyl et l’usage de stimulants parmi les consommateurs d’opiacés. »
« On sait que l’épidémie d’overdoses dans les communautés racisées a été largement effacée par l’épidémie blanche » – Jon Zibbell
En 2011, le fentanyl et les drogues similaires ont été identifiées comme les principales responsables des overdoses mortelles de 1 600 personnes dans tout le pays. Mais en 2018, des chiffres provisoires du CDC ont suggéré que ces substances pourraient avoir tué plus de 30 000 personnes. En 2016, le fentanyl était la drogue la plus souvent liée à des overdoses aux États-Unis.
Parallèlement, les overdoses de coke et de méthamphétamines ont considérablement augmenté, et ces morts impliquent également un opiacé. On a trouvé qu’en 2016, sur 41 % des overdoses liées à la coke, le fentanyl était également entré en jeu. Et les chiffres plus récents montrent que le nombre de morts liées à la consommation de coke est égal au nombre de morts dues à l’héroïne, et surpassent même celles dues aux opioïdes prescrits sur ordonnance.
« C’est peut-être une adaptation du corps humain au fentanyl », énonce Dan Ciccarone, enseignant des familles et de la médecine communautaire à l’université de Californie, à San Francisco, en évoquant le nouvel intérêt dans ces stimulants. « En tout cas, c’est une hypothèse viable. »
Bien que la crise actuelle des opiacés ait largement été décrite comme étant un problème de blancs, les personnes racisées en sont aussi très affectées, et un retour de la consommation de speedballs pourrait toucher leurs communautés en particulier. « On sait que l’épidémie d’overdoses dans les communautés racisées a été largement effacée par l’épidémie blanche », explique Zibbell.
Les autorités juridiques, les spécialistes en traitements et les médias ont tous imputé le risque d’overdoses mortelles à la consommation de coke et de méthamphétamine contaminées par le fentanyl, bien qu’une enquête que nous avons menée a pourtant démontré qu’il n’y avait que très peu d’indices prouvant que les dealers ajoutent du fentanyl à leurs stimulants. Les chercheurs supposent que beaucoup de ces morts sont sûrement dues aux speedballs, ou aux goofballs, comme les analyses post-mortem ne peuvent pas déterminer si la victime a volontairement consommé ou non.
Même si cela fait longtemps que l’on connaît les effets dépressifs de la coke, le fentanyl est un somnifère encore plus puissant. (Dans les hôpitaux, on s’en sert pour anesthésier les gens.) Pour certains, s’isoler totalement du monde extérieur est un avantage plutôt qu’un désavantage. Mais la plupart des toxicos doivent passer au moins quelques temps éveillés, ne serait-ce que pour obtenir davantage de drogue.
Michael, un résident de l’Utah âgé de 38 ans, est actuellement en désintoxication. Il a tenu à préserver son anonymat. Il prenait de la meth en plus de l’héroïne. « D’une certaine manière, j’en avais besoin, car autrement, je m’endormais sans arrêt, et je n’arrivais pas à travailler », dit-il.
Sa petite amie lui avait fait découvrir l’héroïne quelques années plus tôt. Il réparait des voitures pour subvenir à leurs besoins. Il s’est mis à prendre de la meth après qu’il se soit endormi au volant en se rendant à son travail. « Je dépensais tellement en drogues », se souvient-il.
Diagnostiqué avec un trouble de déficit de l’attention pendant son enfance, Michael possédait aussi une ordonnance légitime pour de l’Adderall, dit-il, mais ce n’était pas suffisant. « J’ai dû continuer à prendre de la meth pour rester éveillé, sinon je restais là à m’endormir. »
Tandis que son addiction empirait, sa petite amie a rompu avec lui, et il a perdu sa maison. Malheureusement pour lui, c’était d’autant plus de raisons de consommer de la meth. Être sans abri, c’était être vulnérable, et comme tous les objets personnels, les espèces, bref tout ce qui était physique, la drogue disparaît facilement quand on est inconscient. Et en hiver, Michael ne pouvait jamais s’arrêter de bouger, car, comme il le dit : « Si on s’endort en plein trip, on peut ne jamais se réveiller. »
Les travailleurs sociaux et les chercheurs qui étudient l’épidémie voient des gens comme lui tous les jours. Ciccarone affirme : « On peut dire que le speedball est de retour sur la côte Est. », tout en ajoutant que la meth est plus répandue dans la côte ouest que la coke, et que les goofballs prévalent.
Ciccarone souligne que les nombreuses personnes qui disent consommer de la meth pour compenser la sédation des opioïdes prennent les drogues à des moments différents, plutôt que dans une même injection. Ce n’est pas ainsi que les gens qui préfèrent le trip dû au mélange le font. L’intensité d’un speedball est généralement liée à sa rapidité d’effet par séquences. (Pour une raison que l’on ignore, l’effet stimulant du speedball précède celui de l’opiacé, même dans une injection simultanée, ne serait-ce que de quelques secondes.)
Consommer les deux drogues séparément permet cependant à l’effet stimulant de se faire ressentir au moment le plus opportun, et empêche d’interrompre l’effet sédatif recherché. Pour Zibbell : « On voit les deux cas. Certains s’en servent de façon contradictoire, et d’autres l’une après l’autre. »
Tout ça provoque un effet de mode dangereux. Comme le trip au fentanyl dure beaucoup moins longtemps que le trip à l’héroïne, les consommateurs en prennent moins fréquemment. S’ils y ajoutent une piqûre de stimulant séquentiel, c’est une injection supplémentaire. Et comme l’effet de la coke est particulièrement court, et parce que les stimulants ont tendance à générer un manque rapide, les consommateurs peuvent tomber dans une spirale infernale.
« Les piqûres de coke et de meth régulières peuvent aussi provoquer une paranoïa et une psychose, surtout chez les gens qui passent des jours sans dormir »
En effet, les injections de coke sont particulièrement liées à l’expansion de maladies transmises par le sang, parce que ses effets de courte durée poussent les gens à se piquer régulièrement, presque toutes les quinze minutes jusqu’à ce qu’ils soient à sec.
S’il s’agit d’aiguilles partagées, cela augmente évidemment le risque de contracter le VIH et l’hépatite C. Si l’endroit n’est pas parfaitement stérilisé, il y a un risque d’infections de la peau, d’abcès et d’infections systémiques. Zibbell développe : « Les ouvrages à ce propos montrent que cela arrive. Plus on se pique, plus on devient vulnérable. »
Louise Beale Vincent, coordinateur de la santé des consommateurs de drogues de la North Carolina Harm Reduction Coalition [Coalition de réductions des dangers de la Caroline du Nord] ajoute que quand on se pique fréquemment, on pense moins à se laver souvent les mains, ou à nettoyer les lieux de pique : « Il y a plein d’abcès et d’infections. »
Leurs vies peuvent aussi se compliquer, car le fait de se piquer régulièrement prend beaucoup de temps. Il leur faut aussi beaucoup de temps pour trouver de quoi consommer. Les piqûres de coke et de meth régulières peuvent aussi provoquer une paranoïa et une psychose, surtout chez les gens qui passent des jours sans dormir.
Pire encore, il n’y a aucun traitement médical disponible pour lutter contre les stimulants, et consommer les deux peut alors compliquer la guérison. Selon Vincent : « En fait, vous mélangez tout ce qui peut la rendre encore plus dangereuse. »
Si on veut empêcher une augmentation de morts liées à la crise des opiacés, il faut comprendre comment la saturation de Fentanyl modifie le mode de consommation des gens. Se piquer plus et mélanger plus de drogues signifie se rendre encore plus vulnérable aux virus et aux overdoses, ce qui augmente davantage le besoin de programmes de prévention ou de réductions des dommages, comme la création de programmes d’échanges d’aiguilles et de salles dédiées.
Cela démontre de nouveau l’inutilité de tenter d’enrayer la consommation de drogues en coupant l’accès aux sources d’approvisionnement. Les consommateurs qui mélangent les drogues ont déjà trouvé d’autres alternatives pour contrer la pénurie des ingrédients. Il faut arrêter de chasser les drogues les unes après les autres, et plutôt se concentrer sur le fait de sauver des vies.
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