En 2050, les sushis seront remarquablement moins attirants qu’aujourd’hui, de l’une ou l’autre de deux façons, à cause des changements climatiques : soit ils seront hors de prix — en particulier si vous aimez le thon, soit vous goberez des sushis composés en grande partie de dérivés de poissons méconnaissables.
Une baisse de la qualité et une hausse des prix des sushis n’auront pas les conséquences qu’aurait par exemple l’augmentation du niveau des océans jusqu’à l’inondation de toutes les villes côtières, mais ce sera agaçant. Ce que la perte de ce petit luxe symbolise, c’est que le monde de demain ne sera pas que dévasté par des catastrophes environnementales d’une envergure jamais vue : il sera aussi composé d’un million de petites contrariétés.
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William Cheung, professeur agrégé et chercheur à l’unité de recherche sur les changements océaniques de l’Université de la Colombie-Britannique, a recoupé les statistiques des stocks de poissons et les données des changements climatiques pour un rapport prévisionnel allant jusqu’en 2055. « Après avoir compilé les données, la première chose qui nous a frappés, c’est qu’on verra de très différents poissons dans les restaurants de sushis dans deux décennies, dit-il. On aura du mal à trouver des poissons qu’on trouve aujourd’hui facilement dans la plupart des restaurants de sushis, parce qu’ils deviendront vraiment chers. »
Les changements dans les stocks de poissons au fil du temps ne sont rien de nouveau pour le professeur. « À Hong Kong, où j’ai grandi, des poissons qu’on mangeait tous les jours sont devenus rares. Par exemple, le yellow croaker était l’un poisson parmi les plus abondants. Maintenant, il est devenu si cher qu’il est très difficile d’en trouver, même au restaurant. »
Avec ses collègues de la Nippon Foundation-Nereus Program, il a créé un guide pour les marchés de sushis japonais. Leur vidéo est en japonais, mais, grâce aux images, on comprend le message. Beaucoup d’espèces sont en danger : les pieuvres, thons, crevettes, saumons, presque tout le menu des restaurants de sushis.
Le réchauffement et l’acidification des océans — deux indicateurs des changements climatiques selon l’Agence américaine de protection de l’environnement — feront la vie dure aux poissons et mollusques que le monde aime manger avec du riz gluant et de la sauce soya. À ces menaces s’ajoutent la surpêche et la destruction d’habitats marins qui raréfieront encore plus la vie aquatique.
Le réchauffement de l’océan est la partie des changements climatiques la plus simple à comprendre : la planète entière se réchauffe. Mais l’effet du CO2 rejeté dans l’atmosphère a aussi une grande incidence sur les océans. « En ce moment, il est en grande partie absorbé par les océans », dit Prosanta Chakrabarty, ichtyologiste à l’Université Louisiana State. « C’est ce qui rend l’eau plus acide. »
L’acidification rend petit à petit la vie impossible dans les océans. Les coraux en payent déjà le prix. « Les coraux sont blanchis : ils deviennent blancs et meurent parce qu’ils ne peuvent pas maintenir leur relation symbiotique avec les invertébrés », explique-t-il. Ils sont si vite décimés qu’ils seront rayés de la carte marine avant longtemps. Mais, sauf pour ceux qui visitent à l’occasion ces paysages sous-marins, c’est une des conséquences invisibles des changements climatiques.
Par contre, elle sera inévitablement visible bientôt dans votre assiette de sushis. On aime surtout les gros poissons comme le thon rouge et certaines variétés de maquereau. Selon Prosanta Chakrabarty, ils sont indirectement affectés. « Ils sont au sommet de la chaîne alimentaire et dépendent des récifs coralliens. »
Daniel Pauty, chercheur principal de Sea Around Us, un groupe de recherche de l’Université de la Colombie-Britannique, doute cependant que la pénurie de thon cause des désagréments aux clients des restaurants de sushis avant 2050, car les thons sont opportunistes. De plus, comme il sont en forte demande, les pêcheurs vont les poursuivre, peu importe où ils décideront d’aller.
Par contre, une récente étude montre que l’acidification des océans pourrait nuire à leur reproduction. On a découvert que la morue — pas un poisson à sushis — peine à se reproduire à cause de l’acidification. Peut-être en sera-t-il de même pour le thon. « Je ne sais pas quels sont les effets sur les œufs de thon, précise le chercheur, mais je ne miserais pas sur une abondance de thon à partir de 2050. »
Ses prévisions pour les mollusques ne sont plus réjouissantes. Selon lui, les palourdes et les pétoncles ont déjà du mal à produire le carbonate de calcium nécessaire pour fabriquer leur coquille. Les propriétaires de fermes d’aquaculture du nord-ouest pacifique — créées pour produire des mollusques en quantité industrielle — voient que leurs palourdes n’arrivent pas à s’épanouir. Une indication que les jeunes mollusques partout dans l’océan peine sans doute aussi à créer leur coquille. « Ce n’est pas seulement plus tard qu’ils auront la vie dure, c’est le cas maintenant », assure Daniel Pauty. Ce qui se traduira par une augmentation fulgurante du prix des pétoncles et des palourdes, entre autres, dans un avenir très proche.
S’il y a de l’espoir pour les sushis, il repose sur la créativité. « On pourrait créer de nouveaux sushis avec les poissons qui seront disponibles », estime William Cheung.
Pour compenser la disparition de poissons populaires, des chefs comme Bun Lai, du restaurant de sushis Miya au Connecticut (regardez la vidéo ci-dessus), a abandonné les poissons pêchés en excès, comme le saumon et le thon, et va lui-même prélever ces ingrédients dans des écosystèmes locaux. Parmi les choix écologiques et les fruits de la pêche durable, il y a des variétés locales de crabe ou de carpes asiatiques. Mais il utilise aussi des plantes du Connecticut et même des insectes.
Le réveil sera un jour brutal pour les chefs qui n’auront pas suivi la voie que trace Bun Lai, selon Prosanta Chakrabarty. Dans les marchés qu’il visite pour ses recherches, les tendances sont de mauvais augure. Les thons rouges atteignent aujourd’hui des prix exorbitants : un poisson a été récemment payé 600 000 $. Entre-temps, les pêcheurs sondent les profondeurs de plus en plus abyssales pour trouver des poissons qui étaient auparavant abondants près des côtes. Ce faisant, ils remontent à la surface des quantités croissantes de poissons moins populaires, comme le monstrueux poisson-pêcheur. « On voit qu’ils vont de plus en plus creux, et c’est l’avenir de la pêche à long terme. »
D’après William Cheung, l’autre ressource pour alimenter les restaurants de sushis est le « surimi ». Il encourage les chefs japonais à l’utiliser, car c’est un « un produit à très bas prix pour les sushis ». Tout le monde connaît ce dérivé d’un poisson sans goût : on en fait ces produits à base de chair de poisson qu’on vend sous le nom de « bâtonnets de crabe » — l’équivalent dans les fruits de mer de la saucisse à hot-dog.
Dans le futur qu’entrevoit le professeur, les chefs devront se montrer plus que jamais créatifs pour rendre intéressants des sushis faits de surimi et des autres ingrédients qui auront depuis remplacé le poisson.