Les trottinettes électriques vous enverront tout droit en enfer

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Impossible de passer à côté. Les rues de Bruxelles sont colonisées. Vous vous baladez tranquillement le nez en l’air, quand soudain un éclair vert et blanc pénètre brusquement votre champ de vision, vous faisant sursauter. Vous essayez ensuite de doubler ce couple de vieux, mais un engin lâchement abandonné par un roi de la glisse s’étant visiblement cru dans GTA obstrue le trottoir. Bloqué. Par une trottinette. Électrique. La haine qui gravite autour de ces machines est proportionnelle à l’expansion des sociétés de free-floating. Mais qu’ont-elles fait pour mériter une telle hostilité ?

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Quand j’étais petite, la trottinette en aluminium représentait ce dont j’avais toujours rêvé : un moyen rapide pour aller à l’épicerie, un prétexte plus ou moins valable pour traîner près du skatepark, ainsi qu’une arme radicale contre un potentiel Marc Dutroux. Bref, la Liberté. À cette époque, j’imaginais le futur avec des voitures volantes, des appareils électriques sans câble et du Nutella blanc. Visiblement, je m’étais plantée. Dans le futur, les voitures ressemblent à des pots de yaourt, les multiprises sont inévitables et le Nutella saccage la planète. Et comme si ce n’était pas suffisamment déprimant, voilà que les êtres humains évolués trottinent à qui mieux mieux.

À quel moment la notion de liberté associée à ces deux roues s’est-elle évaporée ? De 2005 à 2015, on n’en croisait plus que des colorées sous les sandalettes des enfants. Voilà qu’en 2019, c’est trottinettes par-ci, trottinettes par-là. Sur le papier, l’idée n’est pas si mal et on peut facilement leur concéder quelques avantages : allègement du trafic, empreinte carbone zéro, tarif plus ou moins attractif, rapidité. Bravo les trottinettes, dix sur dix. La Belgique est conquise : Lime, Bird, Tier et Flash sont partout sur les trottoirs. Sur nos trottoirs.

Tout le monde s’accorde à les détester : les piétons, les cyclistes, les automobilistes, les motards, et même les bichons maltais.

Parce que oui, tout le monde les déteste. Les piétons, les cyclistes, les automobilistes, les motards, les bichons maltais. La planète bleue possède enfin un bouc émissaire universel. Mais si le problème existe, il ne vient pas forcément de l’engin. Allons plutôt chercher du côté de l’amas de chair qui le pilote. Amas de chair qui, bien souvent, porte une sous-doudoune, une sacoche en bandoulière et un petit pantalon dans les plus abjectes teintes de beige. Ils sont légion; ils sont multi-modaux; ils sont micromobiles. Ils sont l’Avenir. « Depuis que j’ai ma trott’, je ride, mais je ride les mecs ! Tiens Annabelle, je t’ai croisée Chaussée de Charleroi, coincée dans ta Twingo ! So 2017 ! ».

Le même genre d’individu qui, il y a quelques années, était devenu absolument incontrôlable quand un Segway avait été mis à disposition dans l’open-space. Le même encore qui, fraîchement auto-promu fun manager, brisait les couilles de ses collègues pour tourner un Harlem Shake. Majoritairement des vieux ados persuadés que la trottinette est le nouveau longboard.

Et il faut les voir, fendant l’air et battant vaillamment le pavé. On les entendrait presque siffloter « Boum » de Charles Trenet, l’air béat, la jambe droite négligemment repliée sous la gauche et le pied arrière délicatement cambré, comme des aristocrates pédants tout droit sortis d’une peinture du Louvre. Depuis des mois, une question perdure : pourquoi les gens en trottinette ont-ils l’air si heureux ?

La surprise fit vite place à l’inquiétude. Je n’attendais pas du tout ce potentiel d’accélération.

J’ai donc décidé, sous le couvert de l’investigation et de l’impartialité, de chevaucher l’un de ces instruments malfaisants. En moins de deux, l’app était installée et la trott’ débloquée. La légende raconte que c’est à ce moment-là que mes jambes et mon cerveau ont délibérément décidé de cesser de fonctionner. La surprise fit vite place à l’inquiétude. Je n’attendais pas du tout ce potentiel d’accélération, ces vibrations dans tout mon corps, cet équilibre précaire, ces bourrasques de vent pernicieuses accompagnées de freinages d’urgence. Mais encore moins cette avalanche de haine, que j’ai accueillie sans ciller, trop occupée que j’étais à essayer de ne pas mourir au combat. Parce que oui, oh oui, rassurez-vous, vous le sentez bien, que la ville entière vous déteste. Seulement 2,5 km parcouru sur l’avenue Louise et déjà, je me sentais plus haïe que Joke Schauvliege égarée en pleine manif pour le climat.

Cela dit, ces coups de klaxon et appels de phares rageurs n’ont que très peu entamé mon enthousiasme. L’expérience s’est avérée délicieusement transgressive. J’ai carrément a-do-ré fanfaronner ainsi les cheveux au vent. Je me sentais libre, je me sentais intrépide, je me sentais folle, je me sentais désinvolte. J’étais même à deux doigts de m’inscrire pour devenir juicer.


Non, je déconne.

J’étais tellement soulagée de poser pied au sol que je peux presque comprendre pourquoi les utilisateurs les abandonnent n’importe où, et c’est uniquement afin de se débarrasser le plus rapidement possible de ces infâmes appareils. C’était atroce, et je ne veux plus jamais remonter sur ces trucs. Surtout que cette petite escapade de trois kilomètres m’a coûté 2,80€, plus le regard narquois des passants et de mon ancien moi qui m’attendait confortablement installée dans le métro.

Maintenant, il ne me reste plus qu’à rêver d’un monde meilleur où les êtres humains sensés utiliseraient leurs jambes pour se déplacer et où les tristes amas de trottinettes encastrées sur les trottoirs ne seraient plus que le lointain souvenir d’une année où l’humanité a complètement perdu la tête. Ah, et aussi, amadouer le service client pour tenter de récupérer les 7,20 euros de crédit trott’ qui, si je n’agis pas, resteront moisir sur mon compte.

Allo, Lime, nous entends-tu ? Nous sommes légion, nous sommes bipèdes; nous sommes l’Avenir.

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