L’histoire du mec qui court des marathons dans le froid des steppes mongoles

Courir un marathon est déjà une gageure pour la plupart d’entre nous. Mais ajoutez-y un parcours verglacé et des températures avoisinant les -30 degrés, et la grande majorité de vos insupportables amis qui se définissent comme des « runners nés » parce qu’ils ont couru une fois le marathon de Paris refuseront de tenter le coup. Et on les comprend : la neige et les lacs gelés, tout cela ressemble à un bel avant-goût de l’enfer.

Et pourtant, c’est exactement le programme que s’impose la bande de têtes brûlées qui participe chaque année au marathon Genghis Khan, dont le parcours retrace le périple du conquérant mongol et présente au passage quelques obstacles de taille. Le vainqueur des deux précédentes éditions, Andrew Murray, explique que l’une de ses principales inquiétudes est de supporter l’effort à une température de -32 degrés. Car Murray a beau être un ultrarunner accompli, il n’en reste pas moins un humain. Un humain qui a froid.

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Photo DigitalPict

Malgré ce mauvais souvenir thermique, Murray est aussi un grand amoureux de la Mongolie. Il qualifie cette course « d’expérience culturelle authentique », qui dépasse le cadre de la simple compétition. Cela revient à « arpenter des coins ruraux et reculés, côtoyer des nomades, et profiter de cette chance unique de courir sur ces montagnes ou le long de ces rivières gelées qui serpentent dans les vallées. »

« Je cours pour voir de belles choses, rencontrer des gens, expérimenter une nouvelle vie, voilà tout ce qui vaut le coup pour moi », conclut-il, fier de ses convictions.

OK Murray, le Marathon des glaces, c’est cool, mais ça n’en reste pas moins une sacrée galère, un défi sportif immense. Comme son nom l’indique, il s’agit tout de même de courir 42,125 kilomètres dans des conditions extrêmes. Le parcours inclut des passages sur des rivières gelées, des sentiers enneigés, des chemins de randonnée en montagne, et des routes. Etant donné l’énorme investissement, mais aussi le courage et la forme physique irréprochable que cela nécessite, il n’y a rien de surprenant à réaliser que seule une infime partie des concurrents franchisse la ligne d’arrivée.

« Pour moi et pour la majorité des autres participants, l’important sur cette course, ce n’est pas la performance sportive, c’est l’expérience culturelle authentique qu’elle procure, poursuit Murray. On ne trouve ça nulle part ailleurs. Je prends cette course comme une aventure, mais aussi comme l’occasion de retrouver des vieux amis. »

Depuis la capitale Oulan-Bator, submergée par une vague de froid et de gel par -30 degrés, Murray a ensuite fui la civilisation en se dirigeant vers les parcs naturels de Terelj et de Terkhiin. Pour son plus grand bonheur : « Ici, on peut entendre les huskies aboyer en observant les falaises à pic des montagnes », s’enflamme-t-il.

Photo Dr. Andrew Murray

Cette année, Murray a couru le marathon en trois heures et demi, une performance moins belle que celle de l’année précédente, où il avait bouclé les 42 kilomètres en 3 heures et 7 minutes. Quoi qu’il en soit, il reste bien loin du record de la distance, détenu par Eliud Kipchoge : 2 heures 3 minutes et 5 secondes, sur la course de Londres en 2016. Mais la comparaison est absurde, tant les conditions diffèrent. « Cette année, la neige était plus épaisse, souligne d’ailleurs Murray. J’avais l’impression de courir un marathon et demi tellement c’était dur. Tu as beau avoir les meilleures chaussures du monde, sur un sol aussi glissant, tu perds beaucoup de temps et d’énergie. »

Dans ce genre de course en conditions extrêmes, l’équipement peut faire la différence. Une mauvaise paire de chaussures et vous finissez sur une civière. En revanche, un manteau adapté peut vous aider à faire partie des rares athlètes à finir la course. « Il faut se couvrir de plusieurs couches de tissu assez fines, comme un oignon, plutôt que de porter des gros vêtements. L’autre détail, c’est la qualité de vos chaussures. J’achète toujours une taille au-dessus pour pouvoir enfiler une double paire de chaussettes à l’intérieur. Parfois, vous vous enfoncez dans la neige fraîche, mais vous vous retrouvez aussi sur de la glace, ce qui vous amène à passer pas mal de temps sur le cul. J’ai l’habitude de porter des chaussures en Gore-Tex, avec des petites pointes sous la semelle qui permettent d’éviter de passer sa vie à tomber », nous conseille Murray aka Cristina Cordula.

Aussi dures que soient les conditions de course, Murray est vraiment tombé amoureux de la Mongolie. C’est un pays dont on entend peu parler, si ce n’est à travers son histoire et son héros tutélaire, Gengis Khan. Pourtant, à en croire l’Ecossais, les habitants sont géniaux. « J’adore venir ici. La capitale est le seul endroit un peu moderne, avec des infrastructures et Internet. Mais dès que vous en sortez, cela devient très rare de rencontrer des gens. On a le sentiment de vivre de la même manière qu’il y a des siècles. »

La Mongolie est un pays aussi vaste que peu peuplé. Le tiers de la population est d’ailleurs regroupé à Oulan-Bator, la capitale // Image via Flickr user yeowatzup

« Il y a quelques années, en été, alors que je courais en Mongolie, j’ai participé à une course de 250 kilomètres. J’ai pu mesurer à quel point les gens étaient généreux, ça m’a beaucoup marqué. Je transportais mon barda avec ma nourriture, mais très souvent les gens m’invitaient à m’arrêter dans leurs yourtes pour manger de la chèvre ou du fromage. Je me suis dit qu’à mon tour, il fallait faire quelque chose pour eux. Alors j’ai lancé une campagne pour collecter de l’argent en m’engageant à courir depuis la pointe nord des Highlands écossais jusqu’au Sahara. J’ai dû faire ces 3 000 kilomètres, mais j’ai récolté 80 000 £ pour la Mongolie. Depuis, j’aime revenir ici, voir comment les projets que j’ai aidés à financer avancent. » Le plus étonnant là-dedans, c’est que Murray trouve encore le temps d’exercer son métier de médecin généraliste et d’avoir une vie de famille.

Le « doc » s’en tient à sa philosophie faite d’ouverture sur l’autre, de grands espaces et d’exercice physique, même confiné dans son cabinet : « Dans mon métier aussi, j’essaye de faire prendre conscience à mes patients de la valeur des grands espaces et de leurs bienfaits, souvent plus souverains que les médicaments ou les opérations. Faire de l’exercice régulièrement est la meilleure des cures pour s’assurer de rester en bonne santé. Si quelqu’un qui ne fait jamais rien se met à faire du sport régulièrement, il gagne en moyenne sept ans d’espérance de vie. Et surtout, il sera plus heureux ! Cela permet aussi de prévenir les maladies chroniques, comme les diabètes de type 2 ou les attaques cardiaques. Bien sûr, cela risque de vous donner des ampoules ou quelques blessures, mais qui s’en inquiète ? »

Le sport, une thérapie de choc pour Murray, qui « travaille aussi pour différentes organismes de recherche en sciences et médecine du sport à l’université d’Edimbourg. »

Murray est passionné par la « gymnastique verte », la meilleure des médecines selon lui. Photo de Colin Henderson

Après avoir parlé avec Murray, qu’avons-nous appris ? Que cet homme, profondément passionné de sport, est le genre de mec à s’engager à fond dans ses expériences. La preuve, il a remporté deux fois ce marathon des glaces, en en redemandant encore. « Après le marathon de l’année dernière, j’ai pris un jour de repos, puis j’ai recouru 115 kilomètres pour rentrer à Oulan-Bator. Mais cette année, je me suis cantonné au seul marathon. » C’est grave, docteur ?