Alors qu’un jardin était fouillé à Birmingham, en Angleterre, en novembre 2018, à l’endroit où Suzy Lamplugh, une agente immobilière retrouvée morte, avait été enterrée après sa disparition en juillet 1986, le cas de Penny Bell est revenu dans les esprits.
Contrairement à Lamplugh, la famille de Penny sait où elle repose. Elle a une pierre tombale. Mais comme Lamplugh, son tueur n’a jamais été identifié. Les noms de ces deux femmes hantent les dossiers britanniques. L’assassinat sauvage de Penny – Ruth Penelope Bell de son nom complet –, est toujours synonyme de crime non résolu.
Videos by VICE
« Les gens parlent du meurtre de ma mère comme d’une affaire classée », me dit Lauren, la fille de Penny, au téléphone. Lauren n’avait que neuf ans le 6 juin 1991, date à laquelle sa mère a été retrouvée morte, poignardée une cinquantaine de fois, au volant de sa Jaguar XJS bleue sur le parking d’un gymnase, à Perivale, dans la banlieue ouest de Londres. « Il y a une équipe qui travaille dessus, poursuit Lauren. Je reçois un mail de leur part tous les quatre ou cinq mois. Quand un nouveau meurtre survient, celui de ma mère est temporairement laissé de côté, ce qui est compréhensible, mais très frustrant. »
Née le 28 février 1948 à Burnham-on-Sea, une ville côtière du sud-ouest de l’Angleterre, Penny était mariée pour la seconde fois. Son nouveau mari s’appelait Alistair Bell, un agent immobilier, comme elle. Ils étaient amis avant d’être ensemble. Penny était associée chez Coverstaff Ltd, une agence de placement florissante. La famille vivait dans une belle propriété avec Matthew, 11 ans, le fils de Penny issu de son premier mariage, et Lauren, la fille du couple. Au moment du meurtre, le Sunday Times surnommait le village « La maison des étoiles », rapportant que le magicien Paul Daniels et la chanteuse Cilla Black y vivaient.
« Le meurtre de Penny Bell se distingue non seulement par sa brutalité et ses questions sans réponse, mais aussi par le pouvoir destructeur de la presse et des préjugés »
« Je n’ai aucun souvenir de ma mère, dit Lauren. En découvrant ce qui s’était passé, à neuf ans, je n’ai pas été capable de faire face à un traumatisme de cette ampleur. C’est déchirant. Le processus de deuil implique de revivre des souvenirs, et quand j’étais petite, je me sentais triste, mais je n’avais tout simplement pas de souvenir sur lesquels m’appuyer. J’ai une photo. Je sais que c’est ma mère. Mais je ne me souviens de rien à son sujet. Rien. »
Voilà ce que l’on sait du jour du meurtre de Penny. À 8h30, Alistair est parti au travail, comme d’habitude. La famille était en train de rénover sa maison et les ouvriers étaient déjà là. Penny a quitté la maison à 9h40, disant aux ouvriers qu’elle était en retard pour un rendez-vous prévu à 9h50. Aucun rendez-vous n’était inscrit dans son agenda et il n’a jamais été établi qui Penny avait prévu de rencontrer. Trois jours auparavant, le 3 juin, Penny avait retiré 9 200 euros du compte qu’elle avait en commun avec son mari. Encore une fois, personne n’a jamais su à quoi cet argent avait servi.
On pense que Penny a été assassinée vers 10h30 du matin. Elle a été vue assise immobile sur le siège avant de sa voiture, garée devant un gymnase, à 11 heures. Un passant avait présumé qu’elle dormait. À 12h15, quelqu’un a alerté la police. Il a été établi que Penny avait été poignardée une cinquantaine de fois à la poitrine et aux bras avec une lame mesurant entre 8 et 10 centimètres. D’après le médecin légiste, les blessures indiquaient que Penny avait d’abord été poignardée depuis le siège du passager, puis depuis la fenêtre du conducteur.
Au moment du meurtre, le parking du gymnase était plein, mais la voiture de Penny était garée devant une haie haute qui obstruait la vue. La Jaguar était insonorisée. Mais la question de savoir comment le tueur – qui a dû être gravement ensanglanté par le crime – a pu quitter les lieux sans être vu a laissé perplexe celles et ceux qui se sont penchés sur l’affaire. La police a rapidement écarté le mobile du vol, le sac à main de Penny ayant été laissé intact dans la voiture. La police a également déterminé qu’elle n’avait pas été agressée sexuellement.
En 1992, 4 000 personnes ont été interrogées. Certains témoins ont dit avoir vu une Jaguar XJS aux alentours de 10 heures du matin. Les feux de détresse clignotaient. À l’intérieur, une femme se débattait avec un homme sur le siège passager. Elle essayait d’écarter la voiture de la route, mais l’homme – une quarantaine d’années, cheveux foncés, barbu, portant un blazer foncé et un bracelet au poignet droit – l’en empêchait. Le détail le plus sombre est que six mois après le meurtre, un témoin est venu dire à la police qu’il avait vu Penny arriver sur le parking avec un passager. Elle avait murmuré : « Aidez-moi. » Il n’avait rien fait.
« À partir du moment où ma mère est morte, dit Lauren, tout est mort. Aujourd’hui, je n’ai plus aucun contact avec mon père. Je vois toujours mon frère, mais ses souvenirs de ma mère sont aussi flous que les miens. Les gens ont tendance à croire qu’un tel drame rapproche une famille. Qu’on fait tous des veillées aux chandelles et qu’on se couvre d’amour. C’est loin d’avoir été le cas pour nous. »
La tragédie du meurtre de Penny Bell n’a pas pris fin le 6 juin 1991. Dix ans plus tard, quand Lauren avait 19 ans, son père, Alistair, lui a dit qu’il « ne pouvait plus aimer » et lui a demandé de quitter le foyer familial. Son frère était parti quelques années auparavant pour un internat.
« Je me sens plus marquée par la rupture avec mon père que par la mort de ma mère, dit Lauren. Ma mère n’a pas choisi de ne plus être là aujourd’hui. Mais quand votre seul parent, celui qui est censé vous aimer de manière inconditionnelle, vous regarde et vous dit qu’il ne veut plus de vous… Il n’y a rien de plus blessant. Il a été acide dans sa manière de faire. Il m’a dit qu’il aurait aimé ne jamais avoir rencontré ma mère pour ne pas être dans cette situation aujourd’hui. Je suis convaincue que ma vie se porte mieux sans lui, mais ça m’a dévastée à l’époque. »
Le meurtre de Penny Bell se distingue non seulement par sa brutalité et ses questions sans réponse, mais aussi par le pouvoir destructeur de la presse et des préjugés. Peu de temps après le meurtre de Penny, il a été révélé qu’avant son mariage avec Penny, Alistair Bell avait été en couple avec un homme pendant onze ans. Ce n’était pas un secret de polichinelle car cet ancien partenaire était présent au mariage de Penny et d’Alistair. Mais après que la presse en a parlé (« Alistair est un homme ordinaire », a rapporté le Sunday Times en citant un électricien qui travaillait pour les Bell. « Il n’est pas du tout efféminé. »), la cellule de crise chargée de l’enquête, qui recevait jusque-là 250 appels par jour, n’en a plus reçu aucun.
Lauren explique que son père est un reclus. Il ne voit personne. Il vit toujours dans la maison familiale, « mais elle ressemble plutôt à une forêt tropicale maintenant ».
« Je crois que si ma mère n’avait pas été assassinée, dit Lauren, mon père nous aurait dit la vérité sur son passé, quand on aurait été assez vieux pour le comprendre. Malgré tous ses torts, je pense qu’il a eu raison d’en parler à la police. Tous nos proches étaient au courant. Mais ça a changé l’enquête pour toujours. Instantanément, les gens se sont mis à dire : “Oh, c’est forcément l’ancien amant gay qui a fait le coup.” Je suis sûre que c’est en partie la raison pour laquelle mon père éprouve tant d’amertume. »
Lauren croit fermement que Penny connaissait son meurtrier, mais refuse de partager sa théorie. « Il y a tellement de choses qui n’ont pas de sens, dit-elle. Ma mère n’était pas une personne secrète, son journal intime était toujours ouvert, mon père et elle savaient toujours ce que l’autre faisait. Mon père disait toujours qu’avant sa mort, ma mère semblait plus stressée qu’elle ne l’avait jamais été. Il dit qu’il a essayé de lui parler, mais elle lui a simplement dit qu’elle était fatiguée. Il y a tellement de détails à régler… »
L’un des détails de l’affaire qui n’a jamais été expliqué, c’est pourquoi, lorsque la police est venue examiner les lieux du crime, des échantillons de papier peint étaient disposés à l’arrière de la voiture.
Pas de théorie, donc, même si Lauren dit qu’elle est convaincue de savoir qui est le tueur. « Ce que je ne sais pas, c’est pourquoi, même si la façon dont elle a été tuée me fait penser qu’il y avait de la passion. »
Et de poursuivre : « Je connais des personnes qui ont perdu leurs parents à un âge précoce et qui se sont tournées vers l’alcool et la drogue, mais grâce à la thérapie, je m’en sors relativement indemne. J’ai pris la décision de vivre. La seule chose que je sais de ma mère, c’est qu’elle aimait la vie, alors j’essaie de vivre ma vie selon cette façon de penser. » Elle fait une pause. « J’ai une fille maintenant », me dit-elle. J’entends un nouveau-né qui babille à l’autre bout du fil. « Je l’ai appelée Penny. »
VICE France est aussi sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard.