Lukasz Pilch est fan de GTA, mais il ne possède qu’on ordinateur portable franchement merdique. Celui-ci ne devrait en théorie pas être capable de faire tourner GTA V, une petite merveille de technologie. Pourtant, grâce à une série de bidouillages consistant globalement à pourrir les graphismes de GTA V, Lukasz y est parvenu.
“J’ai littéralement fermé les yeux et lancé le jeu en priant pour que ça marche“, raconte-t-il en repensant à la fois où il a décidé de télécharger une copie de GTA V et de la lancer sur sa machine.
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Rapidement, plusieurs menus lui ont indiqué que son ordinateur ne pouvait pas faire tourner le jeu. Mais Lukasz ne s’est pas laissé décourager. Par miracle, le jeu s’est lancé, et Lukasz a failli bondir de sa chaise. Puis la réalité l’a rattrapé : même en abaissant tous les réglages au minimum, c’était injouable. Par moments, le jeu galérait à tourner à 8 fps (images par seconde). Sur PlayStation 4 et Xbox One, GTA V tourne à 30 fps. Autant dire que 8, c’est pas terrible.
“Je vis en Pologne. Les pièces pour ordinateurs coûtent cher ici, explique Lukasz Pilch. C’est beaucoup plus cher de construire un PC correct ici qu’en Europe de l’ouest ou aux Etats-Unis.”
Pilch a donc ratissé l’Internet en quête d’outils qui lui permettraient de… eh bien, de rendre le jeu plus moche, en fait ! En ayant recours à des astuces qui bloquent les effets visuels qui rendent les jeux modernes si jolis, il peut tourner sur de vieilles machines. Les images qui illustrent cet article sont tirées de la partie de GTA V de Lukasz, mais ce n’est pas ce dont rêvaient les développeurs du jeu. Les créateurs de GTA V sont sans doute contents que Lukasz aient acheté leur jeu, mais sans doute moins heureux de le voir aussi moche. Mais au moins, comme ça, il peut y jouer.
Finalement, Lukasz est parvenu à obtenir un frame rate oscillant entre 13 et 27 images par seconde. Bien ? Non. Acceptable pour quelqu’un qui a l’habitude de jouer de cette manière ? Oui. Le jeu était truffé de glitches inattendus – des cinématiques totalement décalées, des routes qui disparaissaient, le jeu qui freezait soudainement – mais ça marchait.
“Le jeu m’a vraiment plu, dit-il. Il était hyper moche et il ramait pas mal, mais l’histoire, les personnages, la BO et la physique du jeu étaient bien là. Peut-être qu’un jour j’y rejouerai sur une plateforme plus adaptée pour en profiter à fond.”
“J’étais très frustré par tous ces gens qui racontaient que les joueurs PC étaient ‘la race des seigneurs’. Ça n’avait rien à voir avec ma propre expérience.”
Lukasz tient à remercier une personne en particulier : la chaîne YouTube LowSpecGamer, spécialisée dans le fait d’aider des gens à faire tourner des jeux sur de vieux ordinateurs.
LowSpecGamer, alias Alex, gère la chaîne depuis son appartement en Espagne (il a demandé à ce que son nom de famille ne soit pas mentionné). Né au Venezuela, Alex s’est vite aperçu qu’il était difficile d’être fan de jeux vidéo dans un pays développement ; il était globalement impossible d’avoir accès aux dernières sorties ou au matériel dernier cri à un prix abordable. Quand Alex est entré à la fac (où il faisait des études d’ingénieur), ses parents lui ont offert un ordinateur portable, mais celui-ci n’était pas suffisamment équipé pour jouer.
Pas découragé pour autant, Alex chercha des solutions à son problème en fouillant un peu sur Internet. Il était sûr que certains auraient trouvé des moyens de faire tourner les jeux. Mais il ne trouva rien d’utile.
Il raconte : “J’étais très frustré par tous ces gens qui racontaient que les joueurs PC étaient ‘la race des seigneurs’. Ça n’avait rien à voir avec ma propre expérience.”
Un jour, Alex a repéré un mec sur le campus qui jouait à un FPS sur son ordinateur portable. Le jeu était très laid et tournait à peine, mais Alex a vu sur son visage qu’il “n’avait pas l’air gêné“. La même semaine, un cousin lui a raconté à quel point il avait galéré pour faire tourner Skyrim sur son ordinateur. Pour Alex, tout cela était un signe.
“Je me suis dit que je n’étais pas le seul à être prêt à descendre aussi bas que possible juste pour pouvoir jouer à tous ces jeux“, se souvient-il.
À l’époque, Alex venait d’installer Batman : Arkham Origins sur son ordinateur, mais surprise : il ne marchait pas très bien. Après avoir bidouillé les réglages cachés dans les profondeurs du jeu, ces trucs auxquels les développeurs ne veulent pas que vous touchiez, il est parvenu à rendre le jeu jouable. Le processus consiste en une longue série de tests pour voir ce qui marche ou non, au cours duquel Alex modifie la résolution, les textures, les ombres et bien d’autres paramètres du jeu – y compris ce qui se cache dans les fichiers .ini et dans les dossiers les plus inaccessibles. Même avec beaucoup d’expérience, il est difficile de prévoir ce qui va faire la différence.
C’est moche, mais ce n’est pas la question. Au moins, on peut jouer ! “J’ai découvert que quand on joue à un jeu très laid, on s’intéresse davantage à d’autres aspects“, dit-il.
Certains jeux sont plus faciles que d’autres, vu que tous les jeux ne vous laissent pas modifier leurs réglages. Certains, comme Mad Max, sont programmés de manière à ce que chaque modification les rendent injouables. Alex attend souvent que les modders crackent un jeu, révélant au passage de nouvelles façons de le modifier. Il y a même des jeux, comme Batman : Arkham Knight, qui sont de véritables causes perdues. Arkham Knight est connu pour être sorti sur PC alors qu’il était totalement bâclé, et incapable de tourner même sur les meilleurs ordinateurs.
“Ce jeu, c’est ma baleine blanche, dit Alex. Je n’ai toujours pas renoncé. Même après tout ce temps, je bosse toujours dessus. Je sens que je suis tout près de découvrir un truc qui a échappé aux autres… Il faut que j’y arrive pour être enfin en paix.“
Son dur labeur est jusqu’ici récompensé par près de 100.000 abonnés sur YouTube, assez pour qu’il envisage de faire des vidéos à plein temps. À la convention Gamescom en Allemagne, il y a quelques mois, un fan a donné à Alex quelques vieilles pièces d’ordinateur à tester.
Mais une autre rencontre faite à la Gamescom l’a davantage fait réfléchir. Alors qu’il jouait à un jeu, un designer et un artiste qui avaient travaillé dessus se sont approchés de lui (il ne souhaite pas dire quel jeu). Alors qu’Alex commençait à expliquer en quoi consiste sa chaîne YouTube, le designer hochait la tête en signe d’approbation.
L’artiste, lui, n’avait pas envie de rire.
“Il me regarde et me demande : ‘pourquoi tu fais ça ?’, raconte-t-il. Je venais de lui demander comment désactiver certains éclairages. Il m’a regardé d’un air horrifié… Cette dichotomie au sein d’une équipe est intéressante, parce que certains voient leur jeu comme une oeuvre d’art et ne supportent pas que quelqu’un y touche.”
D’autres se sont montrés plus coopératifs. Quand un fan a demandé à Alex de se pencher sur Oddworld: New ‘n Tasty, un remake de L’Odyssée d’Abe, les développeurs lui ont non seulement fourni une copie du jeu, mais lui ont en plus indiqué les emplacements des réglages cachés qu’il cherche toujours à débusquer.
Alex affirme que les développeurs devraient s’intéresser à ce problème ; ses vidéos montrent bien qu’il y a des tonnes de gens qui veulent jouer à des jeux mais ne le peuvent pas. Overwatch, par exemple, est un jeu spécifiquement conçu pour tourner sur un maximum de machines. Quand un nouveau jeu sort, Alex étudie quelle configuration est nécessaire pour le faire tourner. Il a été choqué de voir à quel point Overwatch était peu gourmand.
“Personne n’en parle, c’est fou, dit-il. Je pense que ça explique une bonne partie de son succès.”
Aujourd’hui encore, le PC d’Alex n’est pas très puissant. Il a récemment emprunté un ordinateur portable plus performant à un ami, mais seulement pour monter ses vidéos plus vite. Même sa carte graphique n’est pas terrible. Il reste fidèle à ses principes et espère répandre la bonne parole.
Avec presque 100.000 abonnés sur YouTube, Alex a de toute évidence trouvé son public. Même si les jeux PC sont souvent présentés comme supérieurs à leurs équivalents sur consoles, la customisation d’un ordinateur n’est jamais, par définition, que ce que chacun en fait. Parfois, cela signifie être capable de faire tourner un jeu en 4K à 120 fps. Et parfois, cela revient à massacrer les graphismes d’un jeu pour en revenir à l’essentiel : jouer, tout simplement.