(*La vie de la Jungle)
Près de la gare de l’Est à Paris, il y a un petit jardin squatté par une centaine de réfugiés afghans qui dorment sur les pelouses pouilleuses, été comme hiver. Je passe devant tous les matins, et tous les matins je me dis que c’est quand même loin l’Afghanistan, et je me demande comment ils ont bien pu arriver jusque là et jusqu’où ils ont l’intention d’aller comme ça. Et puis, il y a quelques semaines, je suis tombé sur un article de presse qui racontait le viol d’une journaliste anglaise dans la Jungle de Calais. Calais, c’est l’anus de l’Europe, le dernier bout de terre ferme avant l’Angleterre. C’est là que convergent des milliers de réfugiés afghans, d’Irakiens, d’Iraniens, de Somaliens qui fuient les guerres et les dictatures d’Asie et d’Afrique, et qui s’imaginent que l’herbe est plus verte de l’autre côté de la Manche. La Jungle est leur base provisoire, un campement illégal et insalubre caché dans une forêt de ronces et coincé entre une usine de produits chimiques et le port où embarquent les camions pour l’Angleterre.
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On n’arrive pas à les reconnaître comme elles se ressemblent toutes, alors elles en profitent. sales Arabes Et maintenant, tu vas faire quoi ? » « Je ne sais pas, je n’ai plus de famille, ils sont tous morts en Afghanistan, je n’ai pas de femme, pas d’enfants, pas de travail, et je suis coincé ici. Si je pars en Angleterre, en Italie ou en Allemagne, je serai expulsé au premier contrôle. Je dois rester en France, en prison j’ai fait une demande de nationalité française, mais je reste expulsable en attendant que ça aboutisse. J’ai une petite allocation et je dors dans un foyer à Calais pour quelques semaines, mais je ne sais pas quoi faire après – Tu songes à bosser à nouveau avec les passeurs ? – Non, prison plus jamais, j’ai compris maintenant, mais qu’est-ce que je voudrais réellement faire ? Je sais vraiment pas. Ce sont les passeurs qui foutent le bordel, ce sont eux qui font la loi par ici, . La plupart sont des Kurdes, ce sont des charognards, je peux pas les saquer. » « Mafia ! Business ! Mafia ! La première fois que je l’ai vue, c’était en décembre 2006, elle m’a demandé de l’emmener dans la Jungle, elle voulait faire une série de portraits de réfugiés pour son portfolio de fin d’études. Elle est venue trois fois et puis, la quatrième fois, elle s’est tenue à distance des bénévoles, probablement pour s’attirer la confiance des réfugiés. Je l’ai vue un lundi, elle est partie dans la Jungle vers minuit, . Dans le coin, les gens disent que son agresseur est peut-être un passeur maghrébin, puisqu’il parlait très bien français, mais personne ne sait vraiment ce qui s’est passé. » « Il est sûrement déjà parti loin d’ici, C’est dangereux pour une femme seule de passer la nuit là-bas. Même en pleine journée, la Jungle est un endroit dangereux. » « On va d’abord passer chez moi chercher un sac de vêtements à leur offrir, précise-t-il. Vous devriez mettre des bottes, le sol est glissant, c’est tout tapissé de merde.
Parce que je suis un vrai boy-scout dans l’âme, je ne peux pas envisager de passer une journée sans accomplir une bonne action, . Tiens, regarde là, à droite, ce sont trois passeurs, ces enfoirés dorment à l’hôtel bien au chaud pendant que les autres crèvent de faim. Clean, hein ? Good hotel, good ? Business ? Mafia ? des taupes qui percent des galeries dans un jardin Soit ils ont réussi à ramer les trente kilomètres qui les séparaient de l’Angleterre, soit un bateau de la police les a embarqués, soit ils se sont noyés. Tenez, là, c’est le parking des Africains, , c’est là qu’ils essayent de monter de jour comme de nuit. Un peu plus loin c’est celui des Afghans, et juste derrière, c’est la Jungle. Il ne faudrait pas qu’ils nous prennent pour la police. Tous les matins, les CRS débarquent avec des chiens et balancent des lacrymo. Ils embarquent généralement une dizaine de personnes pour remplir leur quota, puis ils les emmènent à la police de l’air et des frontières, notent leurs identités et les relâchent. Ils n’ont plus qu’à se taper les trente bornes du retour à pied. J’aimerais me laver, mais il n’y a que huit douches pour des centaines de gens, donc je peux une fois par semaine. » « Certains sont du côté des Américains, d’autres avec les talibans. Même le président Karzaï a des problèmes pour assurer sa protection, alors comment les pauvres peuvent-ils se sentir en sécurité ? Ma famille a dû quitter le Pakistan, Quand mon père est mort, ma mère m’a dit d’aller en Europe. Mon voyage a démarré. En Iran tout allait bien, j’avais du travail. Ensuite, en Turquie, j’étais avec un agent ( ) qui ne m’a pas demandé d’argent. Je suis resté deux mois à Istanbul, puis j’ai pris un bateau pour la Grèce, mais le bateau n’était pas en bon état, alors j’ai nagé. Je suis resté dans l’eau pendant tellement longtemps ! Huit heures. Jusqu’à ce que je voie un hélicoptère, la police grecque. Ils m’ont embarqué à Athènes. De tous les pays que j’ai traversés, la Grèce a été le pire. C’était trop difficile. Il y avait du travail, oui, mais parfois tu travaillais et ensuite les gens, ils te disaient que tu ne pouvais pas avoir l’argent, que tu avais mal travaillé. Ils te donnent rien, ils se comportent comme des chiens, ils t’insultent tout le temps en disant “ .” C’est un très gros mot vous savez. Les gens en France sont très amicaux et en Italie aussi, mais en Grèce, ils sont très méchants. Dès que je serai en Angleterre et que j’aurai un petit peu de temps, j’écrirai quelque chose là-dessus sur Internet, dans ma langue, je ferai un livre aussi. Je peux écrire vous savez ? J’ai été à l’école pendant douze ans. Je suis tailleur, aussi. En une seule journée j’allais à l’école, puis j’apprenais la couture, puis le kung-fu. Je veux que les gens sachent ce qui se passe en Grèce, parce que les Grecs te crient dessus, et parfois ils te frappent. Je ne pourrais pas tuer un taliban, et je n’aime vraiment pas les talibans, mais un Grec… Les Grecs ne sont pas gentils avec nous. Là, ça fait deux mois que je suis à Calais, et j’essaie de franchir le tunnel CHAQUE NUIT.
On attend que la nuit tombe pour faire un tour dans la grande zone industrielle, derrière le port. Des centaines de réfugiés se cachent où ils le peuvent, sous les ponts, dans les arbustes sur les ronds-points, en attendant qu’un camion ralentisse assez longtemps pour pouvoir monter dedans. On aperçoit deux garçons noirs très jeunes qui courent le plus vite possible. Derrière eux, une fourgonnette de la police les prend en chasse au ralenti, les deux mômes ont le temps de disparaître dans un coin sombre. On gare notre voiture sur le « parking des Afghans », dans un endroit discret. Une trentaine de camions venus de toute l’Europe stationnent en attendant les prochains ferries. Pendant plus d’une heure, il ne se passe pas grand-chose. Les routiers fument des clopes en faisant le tour de leur véhicule. Soudain, on aperçoit deux ombres accroupies sous le camion le plus proche de nous. Moustache nous explique qu’ils vont se glisser entre deux roues, dans les essieux du camion. Le camion démarre, les deux garçons sont planqués, mais Moustache nous assure que leur chance d’arriver cette nuit en Angleterre est plus que faible : « La douane contrôle systématiquement chaque véhicule. Ils sont équipés des dernières technologies. Ils ont des chiens, et si jamais les chiens ne sentent rien, ils ont aussi des appareils qui peuvent détecter la chaleur ou les battements du cœur humain. » En fait, leur seule chance de passer, c’est de tomber sur un douanier négligent, où sur une période où le gouvernement français décide de laisser filtrer quelques réfugiés, quand ils sont trop nombreux dans la région. Halimi est persuadé qu’il n’a pas eu de chance jusque-là, mais qu’un jour ou l’autre il atteindra l’Angleterre : « Parfois un conducteur m’aperçoit et me dit qu’il est désolé, qu’il n’y a pas de place pour moi. Alors j’attends ma chance, et je sais qu’elle arrivera, parce que je prie le Ciel, que je sais me servir de mon cerveau et que j’ai de l’espoir. Des questions ? »