Si la police a le RAID, la gendarmerie a elle aussi son unité d’élite : le Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), qui regroupe en son sein, depuis 2007, les membres de l’Escadron parachutiste d’intervention de la gendarmerie nationale (EPIGN). Ses interventions sur le sol français font les belles heures des chaînes d’infos en continu, mais ces 400 militaires triés sur le volet officient aussi à l’étranger, là où les intérêts et les représentants français sont en danger : Balkans, Afghanistan, Irak, Congo, Colombie, Rwanda…
Protection des diplomates en zones de guerre, traque de criminels et de mercenaires, libération d’otages, poursuites de djihadistes, sécurisation de sites… Leurs missions, très diverses, relèvent souvent du secret d’état. Mais depuis 1996, le journaliste Jean-Marc Tanguy a rencontré plusieurs anciens du GIGN et du EPIGN, qui ont accepté de lui confier les secrets des opérations menées aux quatre coins du monde.
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En est sorti un livre, Missions Extrêmes, le GIGN et l’EPIGN en opération, 1976-2017, paru aux éditions Histoire et Collections. Pour mieux saisir le travail de ces hommes (et femmes) de l’ombre, VICE publie ici le témoignage d’un ancien capitaine du GIGN, à la retraite depuis 2012. Au cours de ses 25 ans de carrière au sein de l’unité d’élite, il a connu l’Algérie, l’Irak, l’Afghanistan, la Macédoine, le Congo, le Venezuela, la Colombie, ou encore la Libye. Extraits.
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Colombie, 1990
La Colombie était l’une des premières missions de l’EPIGN à l’étranger. C’était l’époque des affrontements entre gouvernement et Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), mais également de la guerre des narcotrafiquants. Les carcels de Cali et de Medellin ne se faisaient pas de cadeaux. À cette époque, la corruption n’était pas une option, mais un mode de vie touchant toutes les sphères de la société suivant le principe de plata o plomo (argent ou plomb qui signifie en gros, tu prends l’argent et tu te tais ou tu prends du plomb). Pablo Escobar, prince de Medellin et roi de la cocaïne, était puissant, omniprésent et insaisissable jusqu’en 1993 où il a finalement été arrêté par la police, probablement d’après des renseignements fournis par le cartel concurrent de Cali.
C’est sur ces éléments que le gouvernement français a estimé qu’il y avait de gros risques pesant sur l’ambassadeur et sa famille. Il a donc décidé de protéger sa représentation diplomatique. Une dizaine d’opérateurs de l’EPIGN et du GSPR ont été mis en place, avec des véhicules blindés. À l’époque, nous étions équipés de pistolets automatiques Beretta, de pistolets mitrailleurs H&K MP5K intéressants pour leur discrétion, mais également de Famas et fusils à pompe Remington pour réagir à une attaque d’envergure. Nous avions notre propre réseau radio et des moyens de vision nocturne. C’était le début des missions de protection à l’étranger, mais notre dispositif était cohérent : une équipe de sécurité statique sur le site de l’ambassade et de la résidence et une équipe de protection pour le déplacement des autorités. Je disposais d’une moto d’enduro pour effectuer les différentes reconnaissances d’itinéraires. C’était indispensable, car la circulation dans la capitale était totalement anarchique. L’Avenida Septima était un modèle du genre. Une avenue à quatre voies à double sens qui traversaient la ville du nord au sud. À certaines heures de la journée, la police bloquait les accès pour transformer le double sens en sens unique et, contre toute attente, le concept fonctionnait relativement bien.
On m’a rapidement expliqué qu’en moto, il fallait surtout éviter de porter un casque. C’étaient les sicarios (tueurs à gages), venant en moto depuis les quartiers sud de Bogota, qui portaient des casques pour ne pas être reconnus … et les policiers colombiens, en cas de doute, avaient la gâchette facile. L’ambiance sud-américaine n’est pas une vue de l’esprit dans ce type de pays où l’apparente décontraction masque une véritable violence. J’ai passé deux mois et demi là-bas, mais la mission aura duré de 1988 à 1991.
Congo, 1997
« Cette mission a duré de fin juin à fin octobre. Notre projection s’est faite dans l’urgence… Je me souviens avoir été rappelé de vacances, on venait d’arriver la veille dans l’appartement que nous avions loué en bord de mer. Ma femme acceptait les contraintes de ce métier, ma fille de six ans comprenait moins de devoir quitter ce moment familial qu’elle attendait avec impatience depuis plusieurs mois. Retour rapide donc et en famille vers la région parisienne pour préparer cette nouvelle mission. Départ le 20 juin : on a fait deux escales (en Corse je crois, puis dans un pays d’Afrique) avant d’arriver sur place et, connaissant déjà la situation, on avait déconditionné le matériel afin d’être prêt à l’utiliser immédiatement une fois débarqué de l’avion.
Quand nous sommes arrivés, une opération militaire française, Pélican, était déjà présente sur place. Pour nous, il s’agissait d’une ouverture de mission, pas d’une relève. J’étais simple équipier, nous étions une douzaine de l’EPIGN, renforcés de gendarmes mobiles chargés de la sécurité statique. Notre dispositif devait sécuriser les deux emprises diplomatiques françaises : la Case de Gaulle, résidence de l’ambassadeur située dans un quartier appelé Bacongo, non loin du fleuve, et l’ambassade implantée dans le centre-ville où s’affrontaient les milices de Sassou Nguesso et celles du président Lissouba. L’ambassadeur devait rester sur place, car la France ne pouvait pas pratiquer la position de la chaise vide alors que commençait une période de négociations politiques. Seulement, l’opération Pélican quittait le territoire au moment où nous arrivions. Elle avait stabilisé la situation. À son départ, les hostilités ont repris de plus belle et nous ne bénéficions plus d’aucun appui militaire. Notre armement comprenait des pistolets mitrailleurs HK, des fusils d’assaut Famas, des armes d’appui Minimi, FRF2 pour le tir sélectif, ainsi que le Barrett que j’avais déjà au Rwanda. Nous disposions aussi du lance-grenades HK69 de 40 mm. Nous avions un gros volume de feu, car il fallait pouvoir tenir longtemps sur les deux sites. Nous avions bien entendu des moyens de vision nocturne et l’équipement radio qui nous permettait de couvrir notre zone d’évolution.
Afin de permettre à l’ambassadeur d’effectuer son travail, nous avions réparti notre détachement de façon à passer deux à trois jours sur chaque site. De cette façon, si la situation se dégradait et nous coinçait sur un site, l’autre dispositif pouvait venir appuyer une potentielle extraction. Nous avions une 605 blindée pour l’ambassadeur et un parc hétéroclite de différents véhicules récupérés principalement sur le parc automobile des expatriés qui étaient rentrés en France. La 605 avait été volée avant notre arrivée dans le pays ; on l’avait retrouvée avec un trou énorme dans la vitre d’une portière, et un homme mort sous la voiture. Il n’y avait plus beaucoup de personnel diplomatique sur l’emprise, avec le détachement de gendarmes nous devions être moins de trente. Si la situation était devenue intenable, le volume du parc automobile disponible nous aurait permis d’organiser une évacuation dans l’urgence. On n’avait pas d’autre solution que la route pour quitter les lieux. On était seuls. La France préparait alors une opération depuis le Gabon, mais temporisait, ne voulant pas prendre l’initiative de précipiter une dégradation de la situation qui nous aurait immédiatement et probablement définitivement exposés et, surtout, elle n’avait pas la maîtrise de l’aéroport. Cela aurait pu être un largage para mais plutôt à l’ouest du pays, du côté de Pointe-Noire ; les paras de Libreville s’y préparaient. Je ne l’ai su que par la suite, un officier de l’armée de Terre que j’avais croisé au retour m’ayant raconté qu’il avait été obligé de choisir dans sa compagnie les soldats qui devaient faire partie de l’opération et que l’un d’eux avait pleuré de ne pas en être, car passant à côté de l’opération de sa vie.
Les choses se sont corsées quand le président Lissouba et le maire de Brazzaville, Kolélas, ont uni leurs milices, menaçant directement Sassou. Tous étaient très équipés, avec des lance-roquettes BM 21 de 122 mm, des types 63 de 107 mm, du 82 SR, des 14,5, des RPG. Le rond-point de Poto-Poto, proche de l’ambassade, était l’un des lieux d’affrontement. La ligne de combat s’approchait dangereusement de nous et les tirs traversaient régulièrement notre espace vital : des munitions explosaient dans l’enceinte, des tirs atteignaient les murs de notre bâtiment, notamment l’étage et le bureau de l’ambassadeur qui avait été heureusement évacué à temps. Bref, on était pris entre deux feux. Il y avait aussi parfois du tir direct d’artillerie, de RPG, et l’on a même retrouvé par la suite des RPO, des lance-roquettes à charge thermobarique peu courants à cette époque et à cet endroit. Les tirs allaient croissant de jour en jour. Nous étions la dernière ambassade ouverte. À la Case de Gaulle, il y avait bien une cave qui aurait permis d’abriter temporairement nos diplomates, mais elle était rudimentaire et aurait pu se transformer rapidement en piège. Par contre, à l’ambassade, il n’y avait rien, juste une sous-pente d’escalier entre deux vitres blindées qui permettait de s’abriter un peu, mais qui n’aurait pas résisté longtemps aux armes de nos agresseurs. L’entrée avait été renforcée pour constituer un poste de combat.
Parfois, les tirs tombaient de l’autre côté du fleuve, chez les Zaïrois, qui ripostaient. Aucune des parties ne s’interdisait de coups tordus. Un jour, l’une des milices a sollicité une médiation française pour organiser un cessez-lefeu. Nous avons alors accepté d’aller chercher une délégation de Sassou avec deux de nos véhicules, pour la ramener à l’ambassade afin d’entamer les négociations. À l’aller, nous avons passé un premier checkpoint tenu par des forces loyalistes, puis un deuxième, sur l’unique route possible pour aller jusqu’au camp adverse. La délégation de Sassou était au point de rendez-vous initialement fixé et nous avons pris la route inverse pour un retour vers l’ambassade. Au premier checkpoint, les miliciens vus un quart d’heure plus tôt nous ont alors arrêtés ; ils ne voulaient plus nous laisser passer sans nous avoir désarmés (par sécurité disaient-ils). Ils étaient armés et devenaient de plus en plus menaçants malgré les consignes établies et auxquelles ils avaient adhéré quelques minutes plus tôt. Nous nous préparions discrètement à faire feu, à forcer le barrage et à nous engager dans une voie parallèle pour échapper aux tirs et éviter le checkpoint suivant. Nous savions que nous aurions peut-être l’avantage sur ce barrage, mais que nous ne pourrions jamais passer les autres, nous attendant de pied ferme. L’ambassade n’était qu’à 3 ou 4 km de là, mais nous avons vite compris qu’il était trop risqué de persister. Nous avons alors décidé d’annuler la mission et de rebrousser chemin pour ramener la délégation dans son camp. Au retour, les deux checkpoints avaient été désertés ; on a viré les barrières pour passer. On a su par la suite qu’on devait être pris à partie dans une embuscade destinée à éliminer l’encadrement de Sassou et qui ne nous aurait laissé aucune chance.
Lissouba avait recruté des mercenaires de l’Est, équipés de Mi-24. Leurs hélicoptères faisaient régulièrement des passages bas au-dessus de notre résidence, puis faisaient demi-tour sur le fleuve pour s’aligner sur leur cible du centre-ville. Quand les roquettes quittaient l’appareil, nous avions toujours la crainte qu’elles nous soient destinées. J’ai essayé à plusieurs reprises de trouver un poste adapté à l’utilisation de mon Barrett, mais sans succès, les machines étant trop rapides et leurs passages imprévisibles.
L’alimentation du groupe ne posait pas de problème en début de mission grâce à un important stock de rations, mais celui-ci a rapidement fondu pour faire face à l’impossibilité d’approvisionnement. Nous avons dû économiser et trouver une solution pour durer. On a réussi à acheter des sacs de riz de 50 kg pour les mélanger aux rations et, à la fin, on partageait une ration par jour entre quatre personnes. Les cartons de ration nous servaient également au début à masquer la multitude d’ouvertures du péristyle de la Résidence de France destinées à créer des courants d’air, mais qui, compte tenu des circonstances, nous exposaient aux vues et aux tirs.
Un jour, lors d’une convocation de notre ambassadeur à la présidence, le dispositif de protection rapprochée a été pris à partie par une milice incontrôlée. Le chef d’équipe a été sorti de force de la voiture suiveuse non blindée et roué de coups de crosse de kalachnikov. Une rafale est partie et il s’en est fallu de peu qu’aucun Français ne soit tué ou blessé. L’immunité diplomatique ne sert jamais de gilet pare-balles. L’équipe a réussi à récupérer son chef inerte avec un nez cassé, et à s’extraire du site, toujours sous la menace des armes. Par chance, on avait un toubib militaire avec nous depuis le début, ce qui était extrêmement rare.
Sur l’un de nos déplacements entre la résidence et l’ambassade, on a failli se faire tirer au RPG sur un barrage. On avait bien sûr remarqué le lance-roquettes posé contre un mur à quelques mètres des miliciens en poste … Ils ne voulaient ni nous laisser passer ni nous laisser repartir. Nous arrivions parfois à négocier grâce à un énorme stock de cigarettes récupérées dans un hangar de l’aéroport, mais ce jour-là, les miliciens étaient tellement remontés que tout le tabac du monde n’aurait pas suffi.
La seule solution était donc de forcer le barrage. Au bout d’une cinquantaine de mètres, l’un des opérateurs de la suiveuse a crié à la radio « RPG, RPG » ! Le temps que le milicien récupère son arme et nous aligne, on a pu disparaître juste à temps derrière une haie d’arbres, ce qui nous a probablement sauvés. Conscients d’avoir échappé au pire, nous n’étions pas pressés de prendre le chemin inverse. Du coup, on a attendu quelques jours en misant sur une relève des miliciens.
On était parfois confrontés à des scènes hallucinantes. Sur un checkpoint, un chef de poste en Ray Ban était installé derrière un bureau sur lequel trônait un téléphone, comme pour se donner de l’importance. Le fil du téléphone en question pendait dans le vide, mais compte tenu de l’armement déployé et du niveau de tension des miliciens en poste, pas question d’éclater de rire.
Un jour, lors d’affrontements, on observait un combattant tirer à l’angle d’un bâtiment. Il portait une vieille Mae West en guise de gilet pare-balles ! Je ne sais pas s’il a survécu. Un autre portait des gants de vaisselle en caoutchouc rose fluo ; un autre encore, une perruque blonde. On avait l’impression d’être sur une autre planète … En tout cas, seuls au monde, sans personne pour nous appuyer, contrairement aux opérations militaires. On était juste au milieu de deux milices très équipées et prêtes à tout, même si je pense que Sassou n’avait aucun intérêt à se mettre la France à dos.
La situation a continué à se dégrader et l’ambassade a fini par être directement ciblée au point de devenir intenable. Après plusieurs jours d’un feu intense, nous avons finalement réussi à organiser l’extraction de l’équipe en place et son évacuation définitive vers la résidence de la Case de Gaulle, non sans avoir préalablement détruit les moyens sensibles que l’on ne pouvait pas déplacer et qui auraient pu être exploitables par une force adverse.
La Case de Gaulle est alors devenue un camp gaulois retranché jusqu’à la mi-octobre. Sassou a réussi à reprendre l’aéroport grâce à un bombardement préalable de l’aviation angolaise, ce qui a permis l’arrivée de renforts et de notre relève, plus quelques médias, dont la jeune journaliste de France 2 Dorothée Olliéric. Un soir, on discutait avec elle à la résidence et nous avons essuyé des tirs depuis un bosquet voisin. Le camarade assis à côté de moi a été touché à la jambe. Heureusement que notre doc était là et que la balle est entrée puis ressortie sans toucher un os. Dans les derniers temps, nos contacts avec Paris étaient limités au strict minimum et l’on ne pouvait plus communiquer avec nos familles. Ceci, jusqu’à l’arrivée des médias avec leurs téléphones satellites qui nous ont permis de donner quelques nouvelles.
Au final, le Congo aura sans doute été l’une de mes missions les plus éprouvantes. On aurait eu du mal à tenir longtemps face à l’armement lourd en présence, et on aurait été obligés d’évacuer la résidence. On avait prévu pour cela un plan de défense, mais aussi la possibilité de s’exfiltrer quand la situation serait devenue intenable. On avait fragilisé l’un des murs d’enceinte sur l’arrière de la résidence et un camion militaire récupéré devait servir de bélier pour ouvrir une brèche qui nous aurait permis de déboucher dans une partie du quartier où n’allaient pas les milices.
Contre toute attente, la mission s’est assez bien terminée pour nous, mais le danger n’était pas pour autant écarté, car quelques semaines après notre départ, un gendarme français en poste à la Résidence a malheureusement été victime d’un tir à bout portant d’un soldat incontrôlé. Il est décédé sur place. Déployé au Congo pour huit semaines, j’y suis finalement resté cinq mois.
Missions Extrêmes, le GIGN et l’EPIGN en opération, 1976-2017, Jean-Marc Tanguy, éditions Histoire & Collections.