“La coupe Intertoto de l’UEFA est peut-être unique dans le monde du sport, peut-on lire sur le site de l’institution, car elle ne comporte aucune finale, aucun trophée, et il n’y a pas de vainqueur.”
OK. Du coup, on s’en fout ?
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Beaucoup de monde n’en avait rien à battre de cette compétition de pré-saison de l’UEFA – abolie en 2008, mais qui, depuis 1995, permettait d’entrer par derrière dans la désormais défunte coupe UEFA. Sa réputation un peu naze est certainement due au fait qu’il s’agissait de l’équivalent d’une invitation de dernière minute à une soirée pas terrible. Genre “Tu ne m’as pas invité dès le départ, donc j’ai pas vraiment envie d’accepter ton invitation juste parce qu’on vient de se croiser dans la rue.”
Ce n’était pas une compétition pour outsiders, mais plutôt une compétition pour gros losers. Les quatre derniers vainqueurs anglais de la coupe Intertoto sont Aston Villa, Newcastle, Fulham et Blackburn : en d’autres termes, la Championship va avoir droit à douze oppositions entre vainqueurs de la coupe Intertoto cette saison. C’était une compétition européenne dans ce qu’elle avait de plus sommaire, un endroit où se rencontraient des clubs de taille moyenne et des presque-vainqueurs amers, et personne ne savait vraiment comment ils avaient atterri là au mois de juillet.
Les origines de la compétition sont bien plus intéressantes que ce qu’elle est devenue, son histoire étant une fresque mélangeant des événements avec les moments et les personnages les plus constants de ce sport. La coupe Intertoto était une chance pour les équipes qui n’affrontaient jamais de clubs étrangers. C’est par exemple le stade des Hawthorns à West Bromwich qui accueille une rencontre entre les Espagnols du Celta Vigo et Aston Villa alors que West Bromwich Albion était un club amateur, ou un Andrey Arshavin adolescent qui fait ses débuts en pro durant un après-midi estival du côté de Bradford.
La naissance du tournoi en 1961. Plusieurs décennies avant l’arrivée des Betclic ou Betwin, la coupe Intertoto a pour but, en partie, de proposer des matches durant les mois d’été pour que les parieurs aient quelque chose à se mettre sous la dent entre deux saisons de championnat. L’absence de compétition pendant trois mois chaque année était une épine dans le pied dans une industrie qui, même dans un monde pré-Internet, était très liée à l’ADN du football. C’était une bonne opportunité pour Karl Rappan, coach autrichien de l’équipe nationale suisse, qui avait besoin d’aide pour lancer un projet qu’il nourrissait depuis quelques temps. Rappan voulait créer une ligue européenne, mais il avait d’abord besoin d’une aide financière pour que cela se fasse. Cela l’a conduit dans un partenariat à trois assez improbable.
Ernst Thommen avait été le trésorier des autorités suisses en 1932, pendant que Rappan était sélectionneur de l’équipe nationale. Dans les années 1950, il était devenu directeur du Swiss Football Pool (SFP), la compagnie suisse de loto sportif. Le deuxième allié de Rappan, le Suédois Eric Persson, était un homme remarquable. Pendant la Seconde guerre mondiale, il faisait partie d’une organisation qui aida les Juifs danois à échapper à l’occupation nazie du Danemark. on lui décerna le plus grand honneur national : le bizarrement dénommé Ordre de l’Eléphant. A l’époque, Rappan évoque l’idée un peu partout en Autriche, en Allemagne de l’ouest et de l’est, et en Suède, où il s’assure le soutien de Persson alors que celui-ci est président de l’équipe de Malmö. Persson sera plus tard une des personnes à l’initiative de la création de la coupe des villes de foires, précurseur de la coupe UEFA puis de l’Europa League. Mais c’est dans son association avec Thommen et Rappan qu’il laisse pour la première fois une empreinte sur le football européen.
Persson est un personnage reconnu à travers le monde du football. // Image via
Au début des années 1960, Thommen est motivé par l’idée de créer une compétition de football durant les mois d’été afin de développer la SFP. Avec Rappan et Persson, des hommes qui connaissaient bien les institutions du football, la coupe Intertoto (dérivée du mot allemand “Toto” qui signifie loto sportif) voit le jour.
Aussi bizarre que cela puisse paraître aujourd’hui, l’UEFA voulait rester à bonnes distances de cette nouvelle compétition à cause de son côté commercial et des liens avec le monde du pari sportif. Les dirigeants donnèrent leur accord pour lancer cette coupe Intertoto, mais c’était à Rappan, Persson et Thommen de s’en occuper et de trouver les financements pour l’organiser, avec le soutien du journal suisse Sport, qui faisait la publicité des matches et était le sponsor de la compétition. Elle fut rapidement reconnue comme la “coupe des sans coupes”, en référence au fait que les équipes qualifiées pour la coupe d’Europe des clubs champions et la coupe des vainqueurs de coupe n’avaient pas le droit d’y participer. Finalement, ce surnom semble plutôt approprié.
C’est un peu triste que cette compétition, qui fut tellement moquée, ait été la création de deux hommes de football parmi les plus exceptionnels. En plus de ses courageuses activités en temps de guerre, Persson est connu comme l’un des messies sportifs de sa Suède natale. On lui doit d’avoir fait passer Malmö d’équipe de deuxième division en 1937 à un club finaliste de la coupe d’Europe (perdue face au Bayern Munich en 1979), un an après avoir quitté le club. Par ailleurs, que ce soit lié ou pas, Malmö est l’équipe la plus titrée de l’histoire de la coupe Intertoto avec dix victoires.
Rappan quant à lui, en plus d’être l’entraîneur le plus décoré de la sélection suisse, a une place à part dans les annales du football. Au début des années 1930, alors qu’il travaillait comme coach dans les équipes du Servette, puis du Grasshopper, il met en place un système défensif connu comme le “verrou suisse”, qui préfigurera le catenaccio. En se basant sur la liberté de mouvement d’un défenseur supplémentaire derrière trois joueurs, le verrou est exporté vers l’Italie où l’entraîneur de Padoue Nereo Rocca devient son principal avocat, avant que la grande équipe de l’Inter des années 1960 ne l’érige en socle de la réputation du football comme défensivement impeccable.
Le catenaccio fut l’une des grandes avancées tactiques du XXe siècle. Alors quand on se dit que son inventeur est le même homme qui a envoyé le Zénit Saint-Pétersbourg jouer contre Bradord City un samedi après-midi de l’été 2000 dans le but de gratter un strapontin pour la coupe UEFA, c’est un peu comme découvrir que Mathieu Flamini a inventé la source d’énergie du futur.
La coupe des sans coupes était au départ une compétition avec un vainqueur, avec une phase de groupes qui menait à une phase à élimination directe puis une finale. Mais au bout de six ans, les organisateurs se sont rendus compte qu’il était difficile de caler tous les matches dans le temps imparti, sûrement parce que les clubs et les joueurs ne voulaient pas sacrifier une partie de leur trêve estivale pour participer à une compétition toute pétée qui n’intéressait que les gens qui remplissaient l’équivalent des grilles de Loto Foot de l’époque. Du coup, ils ne gardèrent que la phase de poules.
A ce moment-là, on s’attend à des changements radicaux. On ne se dit pas que les organisateurs vont laisser cette compétition sous cette forme-là après s’être rendus compte qu’ils avaient là un obstacle assez difficile à contourner. Ils allaient sûrement retravailler cela ou arrêter complètement le projet.
Eh bien non. Entre 1967 et 1995, la coupe Intertoto continua d’année en année, les équipes allant joyeusement se jeter dans une impasse vers le néant : pas de finale, pas de trophée, pas d’intérêt. Ce n’est qu’au milieu des années 1990 que l’UEFA reverra son positionnement envers cette compétition, et la ramènera sous son aile. Le but final est alors de grappiller une place pour le premier tour de la coupe UEFA, et cela donne à la coupe Intertoto un nouveau souffle et surtout un peu plus de sens pour les équipes que de jouer uniquement pour les amateurs de loto sportif.
On peut voir ce nouveau souffle dans le calibre des vainqueurs avant et après 1995. Avant ce changement, les vainqueurs de la phase de poules venaient d’un large panel de nations européennes : de Suède, de République tchèque, de Suisse, d’Autriche, de Hongrie, de Slovaquie ou de Bulgarie. Une fois que l’UEFA en a fait une passerelle vers ses propres compétitions, les seules équipes qui gagneront l’Intertoto viendront des pays européens traditionnellement plus dominants : l’Angleterre, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et la France. A l’exception de l’Allemagne, aucune de ces nations n’avait connu de vainqueurs de l’Intertoto depuis 1972, alors qu’entre 1995 et 2005, elles pouvaient revendiquer les 33 places disponibles sur 33.
Mais l’idée resta que l’Intertoto était une option un peu naze, la route des losers vers les compétitions européennes, qui en plus faussait les préparations d’avant-saison et débordait sur le temps dévolu au repos et à la récupération. Plusieurs équipes ne prendront même pas la peine de participer, ce qui en fit une compétition encore moins noble.
De manière assez ironique, la refonte des compétitions européennes par l’UEFA à la fin des années 2000, qui conduira à l’abolition de la coupe Intertoto, a exacerbé pas mal de problèmes que la coupe Intertoto avait créé pour les clubs du continent. Le chemin pour arriver en Europa League est ainsi devenu un chemin compliqué, avalant les programmes de pré-saison des clubs, avec pas moins de huit matches nécessaires pour arriver au début de la vraie compétition. En un sens, l’héritage de la coupe Intertoto a donc survécu à sa disparition. Heureusement, les grands hommes qui ont permis de mettre en œuvre cette idée il y a un demi-siècle resteront célèbres pour autre chose.