Soutenu par un oreiller, avec un tube à oxygène dans le nez, Muhammad Ipandi jette un oeil dans la pièce.
En face de lui, une demi-douzaine de personnes sont allongées sur des brancards, faisant penser à ceux de l’armée. Les jouets des enfants sont éparpillés dans un côté de la pièce. Devant, après le bureau des infirmières, une photo encadrée du président indonésien Joko Widodo lui sourit.
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« Je suis là à cause du brouillard », dit l’homme de 56 ans, en puisant dans ses forces pour respirer — un luxe après des mois à avoir inhalé des fumées toxiques. « Je ne peux pas m’arrêter de tousser ».
Ces trois derniers mois, des centaines d’habitants de Palangkaraya, la capitale de la province du Kalimantan central sur l’île de Bornéo, ont été obligées de trouver refuge dans des centres de secours à oxygène comme celui-ci.
À cause d’une longue saison sèche et de l’impact particulièrement intense du phénomène climatique El Niño, les feux de forêts annuels indonésiens ont été particulièrement destructeurs cette année.
Des centaines d’habitants de la province du Kalimantan central, dont Muhammad Ipandi (ci-dessus), ont eu besoin de l’aide de centres de secours à oxygène à cause de l’épais brouillard causé par des feux intentionnels destinés à libérer des espaces occupés par les forêts pour de l’huile de palme, de la pâte à papier ou des plantations de bois. Ipandi dit qu’il se bat pour respirer — et qu’il a très peu travaillé — depuis plus d’un mois.
De grandes parties du Kalimantan et de l’île de Sumatra — tout comme Singapour et la Malaisie voisine — ont été recouvertes d’un épais brouillard causé par les techniques de brûlis utilisées pour libérer des terres pour l’agriculture.
Des écoles ont été fermées, des vols annulés, et un état d’urgence a été décrété dans six provinces.
À Palangkaraya, où l’indice de pollution dans l’air a atteint 1 900 (tout ce qui se situe au-dessus de 300 est considéré comme dangereux), les scientifiques ont enregistré des niveaux inquiétants de monoxyde de carbone, de cyanure, d’ammoniaque et de formaldéhyde dans l’air.
Depuis le 1er juillet, plus de 500 000 cas de maladies respiratoires ont été enregistrés sur les deux îles indonésiennes, selon l’Agence de la prévention des catastrophes de l’Indonésie (BNPB), et les médias locaux ont fait état de 19 personnes décédées à cause de maladies liées à ces phénomènes.
Réponse politique tardive
L’Agence de météorologie et de climatologie a déclaré que plus de 40 millions de personnes avaient respiré les fumées dangereuses des feux, ce qui a conduit le porte-parole de l’Agence, Sutopo Puro Nugroho, à qualifier cette crise de « crime contre l’humanité ».
Le président Widodo a envoyé près de 21 000 hommes pour combattre les feux, et déployé des avions pour larguer de l’eau les zones les plus difficiles.
À la fin de la semaine dernière, Widodo a également annoncé une plus grande protection pour les tourbières riches en carbone — une mesure qui arrive très tardivement, selon les défenseurs de l’environnement. Beaucoup critiquent le gouvernement, qui ne fait pas assez selon eux.
« Je vois les efforts, mais c’est un peu trop tard », dit Bustar Maitar, le chef de la campagne pour la forêt indonésienne chez Greenpeace. « Les experts nous avaient avertis à propos d’El Niño ».
Le phénomène d’EL Niño cette année, qui provoque un temps plus sec qu’habituellement à travers l’Indonésie et d’autres parties du Pacifique, est bien parti pour être le plus puissant depuis la période 1997-1998.
À l’époque, on avait vu de larges feux de forêts et un brouillard similaires à ceux d’aujourd’hui en Indonésie.
Les Orangs-outans menacés
Et si la pollution de l’air menace l’homme, les feux font payer un lourd tribut à la faune sauvage.
À environ 30 kilomètres de Palangkaraya, au centre de réadaptation pour orangs-outans de Nyaru Menteng, le personnel se bat pour gérer l’afflux de ces singes.
Monterado Fridman est le coordinateur pour la communication du centre de Nyaru Menteng, et selon lui ce centre qui est fait pour soigner 350 orangs-outans maximum en accueille actuellement 100 de plus.
Depuis que les feux ont commencé il y a trois mois, des orangs-outans forcés de sortir de leur forêt sont arrivés presque chaque jour, dit-il, et beaucoup d’entre eux souffrent à cause des fumées.
« Les orangs-outans affectés ont les mêmes symptômes que les humains — de la toux, des larmes, et parfois des symptômes asthmatiques », explique Monterado.
Comme pour souligner la menace causée par ces feux, à moins d’un kilomètre du centre — séparé par une forêt — une partie de la terre vient d’être brûlée pour y planter de l’huile de palme.
« Nous n’avons aucun pouvoir », dit Monterado. « Seul le gouvernement peut les faire cesser. Le gouvernement n’a pas fait assez pour stopper ces feux. »
El Niño complique la situation
Des modèles climatologiques multiples ont prédit qu’El Niño allait se poursuivre jusqu’en 2016. Cela va exacerber l’impact des feux de forêts et de tourbières et conforter l’Indonésie dans sa place parmi les plus grands émetteurs de gaz à effets de serre cette année.
Si l’on analyse les bases de données des émissions globales dues aux feux, l’Institut des ressources mondiales (WRI) a calculé que les émissions produites par les 100 000 feux de Sumatra et Kalimantan, qui ont rejeté 1,62 milliard de tonnes de CO2, ont propulsé l’Indonésie de la sixième à la quatrième place dans la liste des plus gros émetteurs au monde, en seulement six semaines.
Les émissions quotidiennes ont substantiellement baissé depuis le 26 octobre après de fortes pluies, mais les diplomates indonésiens ne pourront pas pour autant fanfaronner à la conférence sur le climat à Paris en décembre, selon Bustar Maitar.
« La seule manière pour l’Indonésie de sauver la face à la conférence de Paris, c’est que le président Jokowi appelle à la protection complète des forêts et à la restauration des tourbières, » dit-il.
Environ 60 pour cent des émissions de gaz à effet de serre de l’Indonésie sont causées par la transformation des forêts en terres agricoles, et le plan du gouvernement pour le climat a été qualifié d’inadéquat par certains observateurs.
Maitar soutient qu’un engagement fort de l’Indonésie pourrait venir de leçons tirées de ces feux et être composé de mesures qui assurent que ceux-ci ne se répètent pas.
D’ici là, les habitants de Palangkaraya continueront de devoir composer avec les conséquences du brouillard, et attendre plein d’espoir les nouvelles pluies.
La plupart des locaux que VICE News a interrogés nous ont dit qu’ils espéraient plus de la part du gouvernement, et certains, comme Ayu Puspita Sari, une étudiante en architecture à l’université de Palangka Raya, se sont révélés sensiblement frustrés.
« Ce ne sont que des paroles en l’air. Je veux que le gouvernement se préoccupe plus de ce problème [et] j’espère qu’ils vont arrêter ceux qui provoquent ces feux. »
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Photos par Nyimas Laula