« C’est comme si tu draguais une meuf pendant super longtemps sans qu’elle te calcule jamais ! » Lino a sa façon bien à lui de résumer sa relation avec la célèbre ligne de vêtements de papy René. Pourtant, difficile de nier l’impact de l’imagerie développée par Ärsenik sur la popularisation du croco Lacoste. Vu que finalement, nous n’avions pas tout dit hier, l’ancien kapo du Secteur Ä et d’Ärsenik nous a donné son avis sur l’évolution de la mode dans le rap.
Noisey : Que représentait Lacoste pour toi à l’époque ?
Lino : C’était la marque du ghetto qui faisait un peu classe. Elle avait l’avantage d’être une marque française. Il y avait beaucoup de marques américaines, les baggys, Helly Hansen… Nous non, on ne voulait pas non plus le faire dans le cadre du rap. Entre potos, on se mettait une petite concurrence, on exagérait, Lacoste de la tête aux pieds pour un peu se mettre à l’amende entre nous, et on l’a accentué une fois qu’on a commencé la musique.
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C’était spécifique à Villiers-Le-Bel ?
Pas vraiment, c’était surtout moi et ma bande de potes. On voulait le dernier survêt Roland Garros : celui qui l’avait pas, il était mort ! Fallait qu’il se démerde… On poussait très loin : chaussures, chaussettes, même le caleçon. Les plus dangereux avaient le parfum ! Ce qu’on dépensait, ça a dû chiffrer au total. Pas de pièce préférée, on prenait tout, c’était la quantité qui importait ! Tout ce qui était bon et qui sortait, on chopait.
Pour la pochette, vous aviez pensé au côté pub ?
Non, on voulait ce schéma blanc, brut, avec le jean 501 et la pompe blanche. En plus les gens avaient identifié le groupe Ärsenik avec le Lacoste, donc ça faisait sens.
Tu penses avoir influencé une partie du public ?
D’après ce qu’on m’a dit, pas que dans le public ! Les gens ont plus largement porté du Lacoste après. Mais je dis ça parce que… même aujourd’hui on en parle, c’est bien qu’il y a eu un problème ! M6 sont venus nous voir pour ça, pourtant on n’a jamais été sponsorisés par Lacoste. On a aussi eu un article dans L’Événement du Jeudi je crois, avec nos photos et leur réaction à côté : « Lacoste n’a pas besoin de ce genre d’artistes, on est bien avec les sportifs, etc » Ils disaient qu’ils avaient conscience que ça amenait des jeunes à porter la marque, mais qu’ils n’allaient pas pour autant s’afficher avec des gens comme nous. À partir de là, il y a eu de nouveaux modèles. Au départ, c’était des polos classiques, un style de quadragénaires. Après nous : des modèles fluos, des trucs plus jeunes ont débarqué. La marque gagnait dans les deux sens. C’est la loi du marché qui prime : fallait draguer les mecs de quartiers, c’est comique… Sauf qu’on n’a jamais rien touché pour ça ! Enculés ! [Rires]
Comment s’est faite cette approche ?
En réalité, on n’a jamais voulu être sponsorisés. On restait les même, sauf qu’on gagnait plus, donc on achetait sans doute plus. Ce sont des gens autour de nous, de la maison de disque, qui nous ont dit « ce que vous portez leur fait de la pub, essayons de négocier un deal ». Ils y sont allés et rien ne s’est passé.
Ce n’est pas du tout parti de Kenzy, en fait ?
Je ne suis pas sûr, je pense que c’est plus l’équipe de Hostile avec Benjamin [Chulvanij] enfin je pense, je veux pas dire de conneries. Il y avait aussi un mec qui tenait un magasin où on prenait des pièces, je crois qu’il y était allé aussi.
Qu’est-ce qui a coincé ?
Le rap est basané qu’on le veuille ou non. Quand on parle du rap, il a toutes les caractéristiques du banlieusard : bronzé, baskets… On était des gros vendeurs mais c’était pas leur problème, parce que Lacoste, c’était une marque « de luxe ». Ils s’en sortaient très bien sans nous. C’est une mentalité stupide. Quand tu vois aux États-Unis, des Louis Vuitton ou Nike qui bossent avec Kanye West… Mais ici non, parce que le rap reste mal vu. Jusqu’à aujourd’hui, c’est encore « guignol » le rap.
Tu penses quoi de l’évolution de la mode dans le rap ?
Là je vais commencer à être méchant [Rires]. En France, on n’a pas le niveau des Américains, heureusement. Ça commence par des mecs qui sortent des styles bizarres. Je vois des coupes de cheveux, des trucs, des blousons, des pantalons un peu suspects. Mais les Américains j’en peux plus, c’est trop, ils mettent des robes les mecs ! Kanye, A$ap Rocky mettent des robes ! Young Thug je crois, il avait une robe de petite fille ! Sérieux… « Young Thug » : Tupac doit se retourner dans sa tombe ! Mais qu’est-ce que c’est que ça ? Dernièrement, j’ai vu Snoop avec une french manucure ! Qu’est-ce qui se passe ? Le rap est une musique spé, y’a un look, un univers… Le rap a le complexe du banlieusard ou de l’immigré : à vouloir s’intégrer il finit par trop en faire. T’intègres pas, c’est plus intéressant de laisser les gens venir au rap. Je ne demande pas au reggae de ressembler à la pop ! C’est ce que les mecs oublient : ils veulent tellement être dans le moule qu’ils font n’importe quoi.
Lil Wayne en skinny jeans ou Cam’ron en fourrure rose ?
Ah, Wayne, je l’avais oublié lui ! Son fute zèbre ou léopard là… Non, non, non. Après, Cam’ron, c’est vrai que c’était du rose… C’était de la sape, on peut contester la couleur mais il était dans le classique. Ça avait fait polémique à l’époque d’ailleurs. Il était juste dans son délire.
Jay-Z en costard ou Eminem en survet ?
Jay-Z en costard, oui. Eminem, j’ai toujours trouvé qu’il s’habillait mal. Je sais pas pourquoi. [Rires]
Lui je crois que c’est l’inverse, c’est le mec qui voulait à tout prix s’habiller comme un rappeur.
Voilà, il cherche trop le truc et ça devient de la caricature.
Toi tu te situes où aujourd’hui ?
Déjà niveau pompes, c’est resté la même chose : Nike, Jordan, des Timb. Classique. Du Levi’s… Après on peut mettre des trucs type Dolce, Gucci, mais sans exagérer comme ils font maintenant.
Un rappeur qui rentrait son jogging dans ses chaussettes est-il meilleur qu’un rappeur qui arbore un foulard Vuitton ?
Un mec peut rapper avec un sac poubelle sur lui, si c’est un tueur, c’est un tueur. Tu prends le premier clip du Wu-Tang, ils sont habillés comme des clodos, frère ! Avec des cuirs dégueulasses, on dirait qu’ils sont en skaï, tu vois leur dégaine : on croirait des crackers.
Un mot sur Dia ?
Mohammed Dia était un mec qui était en 6ème avec moi, on se connaissait depuis longtemps. Il a commencé à monter sa marque et avait besoin d’artistes comme vitrine, il a pris ceux du Secteur Ä vu qu’on se connaissait tous. Quand la marque a bien décollé, on parlait de sommes considérables par mois pour en porter, donc on a dit nique sa mère Lacoste ! [Rires] Mais c’était juste en photos, pour les trucs officiels.
Finalement t’as jamais été trop street wear ?
Pas trop. Nous à Villiers, on n’a jamais été là-dedans, on était plus classiques. Les 501 étaient un peu moins larges, y’avait les Reebok classiques, baskets blanches… C’était ça notre style.
Yerim porte toujours des baggys. Il est sur Twitter.