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L’Or Du Commun n’a franchement rien de banal

2017 restera clairement comme l’année où le rap belge a explosé. Damso, Caballero, Jeanjass ou encore Roméo Elvis : autant de noms qui sont venus remettre les arrogants français à leur place et confirmer que Bruxelles était une des places chaudes du hip-hop en Europe. Il serait toutefois injuste de circonscrire le phénomène à une poignée de blockbusters, car ils sont nombreux à oeuvrer, parfois dans l’ombre la plus totale, pour faire connaitre Ixelles, Schaerbeek et la place Flagey. À commencer par Swing, Loxley et Primero, plus connus sous le nom de L’Or Du Commun. Avec 3 EPs sous le bras et un album en préparation pour 2018, cette équipe de Bruxelles sud, proche de Roméo Elvis, a récemment confirmé qu’elle faisait partie des valeurs sûres de la scène wallonne. Surtout depuis la sortie de Zeppelin, leur dernier maxi, qui a mis la barre nettement plus haut – à la fin de l’été, L’Or du Commun a d’ailleurs pour la première fois dépassé le million de vues sur Youtube avec le très décomplexé « Apollo ».

Nous sommes allés passer un moment chez eux, à Ixelles, dans les bureaux du collectif La Brique, auquel ils sont affiliés, pour voir de quoi il en retournait. Assis autour d’une table, avec boissons fraiches et pilons, on est revenu sur l’évolution de leur textes et de leurs productions depuis leur premier EP L’Origine, sorti en 2013.

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Noisey : Que ce soit au niveau de productions ou des textes, Zeppelin se démarque complètement de vos deux premiers projets. Vous êtes sortis des sonorités 90’s et de l’utilisation de personnages pour parler de vous, de votre quotidien.
Primero : Quand on a commencé le rap, nos influences musicales étaient effectivement tournées vers les 90’s. À nos débuts en 2011, moi, je n’écoutais quasiment pas de rap. C’est venu parce que je me suis plongé dans ce milieu. Aujourd’hui, on écoute beaucoup plus de sons récents. Ça dépend aussi du producteur avec qui tu travailles. Pour Zeppelin, on avait Vax1 avec nous. Il arrive assez bien à allier des sonorités old-school à des textures plus modernes. Il a fallu aussi qu’on trouve nos marques parce qu’on a démarré de façon un peu naïve, sans expérience.

Swing : Il faut bien commencer quelque part. J’ai l’impression que notre porte d’entrée dans le rap, c’était les personnages. Ça nous permettait de ne pas parler de nous-mêmes ou de le faire de façon détournée. De cette manière, on se mouillait moins. Mais depuis nos débuts, il y a 6 ans, on a évolué et grandi. On assume désormais de dire ce qu’on pense, sans se cacher derrière des personnages.

Loxley : On est plus ouverts qu’avant. Je me rappelle de conversations qu’on pouvait avoir où je disais que je ne ferais rien d’autre que du storytelling,mais au bout d’un moment tu te dis « tranquille mec », t’as la vie pour essayer des choses.

C’est peut être juste parce que vous vous sentez plus légitimes, que vous vous étiez fait une place ?
S : J’ai pas l’impression que ce soit réellement réfléchi, ça s’est fait spontanément. Primero est très friand de storytelling. D’ailleurs, il prépare un projet solo qui sera dans cet esprit là. Moi et Loxley, on est moins touchés par ça et pour le dernier projet on avait moins le gout de faire ça. Je suis sur qu’on en fera encore mais on a un peu levé le pied à ce niveau.

L : Je ne suis pas tout à fait d’accord. Je pense que les choses se sont faites naturellement mais je sais qu’on y a pensé. On s’est dit qu’on voulait mettre un fin au storytelling. Ça part quand même d’une décision collective.

Faire du rap plus engagé, ça vous tenterait ?
P : Tu prends direct un autre cap quand tu commences à mêler ça à la musique…

Après, ça peut aussi se faire de manière subtile…
P : Ouais, c’est pas faux. Nekfeu a fait ça assez bien dans le morceau « Saturne » où il parle de Netanyahou. Il faudrait qu’on soit vraiment engagés dans quelque chose qui nous touche pour en faire un morceau. Pour moi, ça tient plus à ça.

S : J’aurais plutôt tendance à dire qu’on part dans le sens inverse, qu’on a envie d’aborder des sujets plus terre à terre. On n’a jamais utilisé notre musique comme un outil de contestation. Sur Zeppelin, le seul texte où on parle d’un truc dans le genre c’est « 1000 », où je parle un peu des attentats. On peut glisser une phase, comme ça, mais on ne va pas y consacrer un texte entier.

L : Le problème, c’est que soit tu considères que tu dois être compris par tout le monde et tu balances des noms de façon grossière, comme Macron, Le Pen, Trump… mais c’est pas très pertinent parce tout le monde en parle ; soit tu vas dans quelque chose de plus spécialisé. Après, si je commence à parler du CDH [Centre Démocrate Humaniste] à Bruxelles, toi en tant que Français, tu t’en bats les couilles! Je ne suis pas sur que les noms soient utiles pour parler de politique ou d’enjeux humains. On préfère parler d’autres réalités.

Peut-être que vous avez aussi besoin de rouler votre bosse ?
S : Il y a un peu de ça. Nekfeu par exemple, on sent que ça l’intéresse. Ce n’est pas mon cas.

L : Je pense aussi que la jeunesse française est beaucoup plus politisée que la jeunesse belge. Et puis, la politique française est bien plus spectaculaire ! Avoir des avis tranchés sur la politique belge, se situer par rapport à des orientations données ou des partis, c’est finalement très difficile. Il n’y a pas un homme politique qui ait vraiment l’air méchant, ils sont tous un peu nuls en fait. C’est notre quotidien, le fait que l’on parle de nous, qui va faire qu’on s’engagera plus dans nos textes, sans pour autant faire du rap engagé.

Quels sont les sujets qui vous intéressent ?
S : Plein de choses, c’est juste qu’on ne creuse pas toujours. On ouvre à chaque fois une petite porte de connaissances. C’est ce qui s’est passé avec mes études dans le bio-médical. Ça m’intéressait, mais je n’étais pas passionné par le truc.

P : Ce qui est chaud, c’est qu’on a démarré la musique au moment où on entrait à l’université. Moi, ça m’a empêché de me mettre à 100 % dans les études. C’est important d’en faire, histoire d’avoir une sécurité mais je sentais que mon esprit était vraiment dans la musique.

S : Ça rend presque schizophrène. On passait des week-ends à faire des concerts, je pétais un plomb sur scène et le lundi quand je retournais en cours, c’était un peu le choc des cultures. Je n’avais pas les mêmes sapes, pas les mêmes potes, ça matchait pas. T’as le sentiment d’être deux personnes et c’est pas sain.

D’où vient Vax1, le producteur avec qui vous avez bossé sur Zeppelin ?
L : De Lyon. Il vient de la Mégafaune, un collectif qui est assez proche de la scène underground Lyonnaise. Il a travaillé avec Hippocampe Fou, notamment sur son avant dernier projet Aquatrip.

P : Il a sorti deux projets, Acubens et Nucleus.

L : Il a aussi sorti Dans mes Veines, un projet rap, parce qu’à la base il est plus interprète que beatmaker. Il va aussi dans l’electro. Il bosse avec Panda Dub, avec qu’il forme le groupe Patient Zéro. Il a un univers vraiment galactique, sur lequel on accroché. Je trouve qu’il arrive à allier les éléments modernes de la musique hip-hop à des sonorités, des tonalités, un peu organiques des 90’s.

Zeppelin a-t-il changé votre regard sur vos deux premiers EP?
L : C’est le premier projet que j’aime vraiment. C’est un peu particulier à dire. J’apprécie les autres mais au niveau de la musicalité, c’est le premier que je pourrais écouter si j’étais un simple auditeur.

P : Je suis très content des projets précédents même si je comprends ce que Loxley veut dire. Des morceaux comme « Edgar Lespri » ou « À Notre Époque » sont vraiment bien foutus mais je considère ça comme de l’entrainement. Il y a une fracture nette, on le sent. Il y a eu une période d’un an et demi durant laquelle on a quasiment rien produit. On est revenus avec du recul et de l’expérience en plus.

S : Sur Zeppelin, quand j’écoute la manière dont on rappe et la musique qu’on fait, je trouve qu’on a atteint quelque chose qui est convenable. On aurait pas pu rester au même niveau que L’Origine et L’Odyssée, ce n’était pas suffisant. S’il avait été proche de L’Odyssée, ça m’aurait vraiment mis un coup à la gueule.

On retrouve encore un côté naïf dans certains de vos textes, chose qu’on a déjà pu vous reprocher, notamment dans le morceau « Mellowman » qui figure sur L’Odyssée. Vous assumez ?
L : Peut être qu’on l’est un peu! Après, je ne pense pas qu’on soit immatures pour autant.

S : On va grandir à notre vitesse. C’est notre petit côté Bigflo et Oli !

L : J’aurais tellement préféré dire qu’on était un peu bobos [Rires]. Ils sont quand même plus forts que nous, malheureusement.

S : Non, faut pas se leurrer ! On a vraiment un côté Bigflo et Oli, sur « Jeu » par exemple, je retrouve ce côté là.


L’Or Du Commun sera en concert ce jeudi 19 octobre à Paris, au Folie’s Pigalle, avec Hamza, Krisy et Isha.