Ludovic-Hermann Wanda : « le Français n’est pas la langue des seuls Blancs »

Au premier regard, impossible d’imaginer que Ludovic-Hermann Wanda a un passif de petit délinquant. Le trentenaire d’origine camerounaise est un pur dandy. Ses tenues raffinées, venues d’un autre temps, en témoignent : veste sur-mesure, chemise légèrement déboutonnée dévoilant un torse chargé de bijoux clinquants, pantalon à pince parfaitement repassé, des sneakers d’un blanc immaculé – et un tribly orné d’une plume. Les regards alentours sont irrésistiblement attirés par son allure princière, comme ils le seraient face à une œuvre d’art.

Chez Ludovic-Hermann Wanda, le goût du beau (et le perfectionnisme qui va avec), trouvent un prolongement dans le langage, lui aussi subtil et délicat. Car le dandysme ne se vit pas seulement à travers un look – il est aussi intérieur, comme aime à le répéter l’intéressé. Ses interlocuteurs s’en rendent vite compte : ses phrases sont nourries d’un vocabulaire riche et souvent agrémentées de citations de Charles Baudelaire ou… Emile Durkheim.

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Seuls les innombrables tatouages qu’il arbore sur les mains et le visage trahissent son passé sulfureux. Des petits larcins, rackets, rixes à Châtelet et trafic de drogue ont ainsi conduit Ludovic-Hermann de son domicile de Vigneux-sur-Seine à la prison. À sept reprises. C’est son dernier séjour derrière les barreaux qu’il raconte dans Prisons, son premier livre, qui paraît ce 23 août aux éditions L’Antilope. Celui où il a compris que ce seraient la lecture et la quête acharnée du savoir qui lui permettront de pas se faire avaler par les murs de Fleury-Mérogis. Rencontre.

VICE : Quel est ce « mur de Molière », dont vous parlez dans votre livre ?
Ludovic-Hermann Wanda : La France est divisée en deux, séparée parce que ce « mur de Molière ». Il y a, d’un côté, la France des villes et des campagnes, et de l’autre celle des cités et des ghettos. Dans mon livre, je voulais les mettre face-à-face et exposer ce que l’une pense de l’autre. Ce « mur de Molière » symbolise la distance linguistique qui ne cesse d’éloigner ces deux France. À partir du moment où une personne ne parle pas le même langage qu’une autre, elle vit dans son propre univers. Et quand elle est confrontée à quelqu’un qui parle Français – la langue des cités n’est pas du Français – une hiérarchie s’installe. Elle est parfois subie comme une hiérarchie raciale et ça crée des problèmes.

A quel moment avez-vous pris conscience de l’importance des mots qui, comme vous l’écrivez dans le livre, « éloigne l’homme de l’animalité » ?
Juste avant d’entrer en prison, quand j’étais face au juge qui m’a notifié mon incarcération. Il m’a demandé de m’expliquer sur les faits qui m’étaient reprochés et je n’avais pas le vocabulaire pour m’exprimer. J’avais bien conscience qu’il ne fallait pas que je parle comme avec mes potes du quartier, sauf que je ne pouvais pas élever mon niveau de langage, je ne pouvais pas utiliser des mots que je pensais maîtriser. J’ai alors vécu la même chose que beaucoup de jeunes détenus issus des quartiers : un silence subi qui reflète un handicap verbal. Il suffit d’aller en comparution immédiate pour s’en rendre compte.

Vous avez donc « moins subi » l’univers carcéral que d’autres détenus ?
Je me suis dit que mon séjour en prison devait l’occasion de m’élever. Cette « élévation » fut graduelle. Lors de mes échanges avec mon codétenu, Richard, j’ai pris conscience de l’importance de la culture générale, du savoir. J’ai ensuite réalisé qu’il fallait que je change ma manière de parler. Pour tout cela, il fallait lire des livres, encore et encore. Au final, je me suis rendu compte de l’impact que ça avait auprès des surveillants. Leur regard sur ma personne avait changé.

Il s’est d’ailleurs passé la même chose avec Richard, qui a changé grâce à la lecture…
Quand Richard est rentré en prison, il était une seringue sur pattes. Je l’ai incité à lire et au bout de deux ou trois semaines, la machine était lancée. Je me souviens de sa réaction lorsqu’il a lu la biographie de Louis XIV. Il a découvert un roi guerrier – pas seulement intéressé par la fête, les femmes et les plaisirs de la vie. On ne pouvait plus l’arrêter de lire. Lorsque j’allais en promenade, il restait dans la cellule à lire, encore et toujours.

Pour moi, Richard a été le moyen de montrer que la renaissance par la conquête du verbe n’était pas exceptionnelle, surtout en prison. Il avait d’autres sources de plaisir pour passer le temps, mais il a choisi la lecture. Sa métamorphose a été très vite perceptible, même physiquement, il était moins recroquevillé sur lui-même. L’administration l’a remarqué et lui a proposé un accompagnement après sa libération, qui n’est pas du tout prévu au départ.

Mais ce « mur de Molière » n’est-il pas trop haut pour beaucoup de détenus ?
Mon cas et celui de Richard montrent bien qu’il y a une porte dans ce mur et qu’il est possible de changer. La lecture est un outil pour y arriver. J’ai envie de dire aux détenus de choisir deux ou trois ouvrages, de les lire, et je suis sûr que leur vie peut changer au fil des lectures. Ils se sentiront enrichis et ils auront envie de partager cet enrichissement, notamment avec les filles qu’ils chercheront à courtiser. Ils ne seront plus prisonniers de ce désert verbal. Ils doivent prendre conscience que la langue française n’est pas seulement la langue des Blancs. Elle facilite leur intégration et donc leur sentiment d’appartenance à la France qui est leur pays. Je veux inciter les jeunes à aller à la conquête du verbe. Les études montrent que les jeunes des cités ne maîtrisent que 300 mots de vocabulaire lorsqu’il en faut au minimum 1 500. Forcément, ça réduit la liberté linguistique et ça a des conséquences comportementales et psychologiques.

Mais, à l’image de l’argot de Michel Audiard, le langage des cités l’est tout autant, et il a un véritable intérêt littéraire…
Bien sur, mais quand on ne possède que cette langue, elle devient une prison. Il faut impérativement savoir utiliser la langue la plus acceptable socialement. Cet argot peur créer de la distance et des inimitiés. Certains sont prisonniers de cette langue. On le voit en prison.

Le goût du raffinement qu’est le dandysme a-t-il dopé votre envie de lire ?
Lorsque je dealais, je servais la jeunesse dorée parisienne et un de mes clients était un dandy. Je voyais ce qu’il se passait autour de lui, cette magie, cette élégance. Ça installe une atmosphère de convivialité. En prison, je n’étais pas encore complètement un dandy, mais c’est à ce moment-là que je suis entré dans le réacteur nucléaire du dandysme. J’y ai trouvé le vocabulaire et la culture générale et tout cela m’a permis de ne plus seulement briller par mon style vestimentaire, mais par la connaissance.