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Photo : Francesco Carta fotografo pour Getty.   
Santé

De l’importance de passer du temps avec soi-même

Le « manque de solitude positive », est le reflet de la solitude négative, qui désigne le manque de contact avec les autres, et il est tout aussi néfaste pour la santé.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

Un an après le début de la pandémie, je suis de plus en plus reconnaissante d'avoir des habitudes de sommeil très différentes de celles de mon copain. Je me réveille vers 6 ou 7 heures du matin et je me couche vers 23 heures. Il va au lit à 2 heures du matin et rejoint le monde à 10 heures. Dans la journée, il y a donc plusieurs heures où l'autre dort, ce qui nous laisse à chacun un peu de temps pour nous.

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Avant le Covid-19, accaparés par nos vies sociales animées et nos emplois du temps chargés, nous avions du mal à nous ménager des moments en tête-à-tête. Mais maintenant, comme nous ne voyons pratiquement personne d'autre et que nous travaillons depuis notre petit appartement de Brooklyn, le bien-être de notre relation dépend avant tout de notre capacité à passer du temps séparément.

Nous savons que nous avons de la chance. La solitude s'est avérée être un problème croissant pendant cette pandémie : une étude menée en 2020 auprès de plus de 1 000 personnes a révélé que 65 % d'entre elles se sentaient de plus en plus seules. Une autre étude indique que les jeunes adultes, âgés de 22 à 29 ans, ont récemment connu une augmentation de ce sentiment, et que les personnes qui y étaient déjà exposées se trouvent dans une situation encore pire. En février, le Premier ministre japonais a ajouté un « ministère de la Solitude » à son conseil des ministres afin d'accorder une attention particulière à ce problème qui entraîne de nombreuses conséquences sur la santé mentale et physique.

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Mais alors que de nombreuses personnes se sentent seules pendant cette période de pandémie et de confinement, d'autres souffrent alternativement (ou simultanément) de quelque chose appelé « aloneliness », un état ainsi nommé par Robert Coplan, psychologue à l'Université Carleton au Canada, et ses collègues, en 2019. Ce concept désigne un manque de solitude positive, c’est-à-dire de temps passé avec soi-même. Il est le reflet de la solitude négative, ou forcée, qui désigne le manque de contact avec les autres.

Nous sommes nombreux à ressentir ce sentiment, même sans savoir qu'il existe un mot approprié pour le décrire. Au cours de l'été 2020, Kate Morgan a écrit dans Elemental que le fait de passer toute la journée avec son partenaire peut créer des situations de conflit. « Si vous passez tout votre temps libre ensemble, voire tout votre temps tout court, vous allez commencer à vous sentir déconnecté avec vous-même », explique Veronica Monet, coach en relations humaines.

En avril 2020, le MIT Tech Review a rapporté que la pandémie avait entraîné un tel déluge d'événements et d'activités virtuels que les gens n’avaient plus le temps de décompresser un peu par eux-mêmes. Un étudiant new-yorkais en droit a expliqué s’être senti « tellement vidé après trois longues journées de conférences Zoom, de réunions virtuelles extrascolaires et d'appels téléphoniques tardifs avec ses amis et sa famille » qu’il a arrêté de répondre à qui que ce soit. Il avait simplement besoin d'un peu de temps seul. 

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La plupart des travaux sur la solitude se concentrent sur ses aspects négatifs. « Le fait d’être seul est vu d’un mauvais œil, dit Coplan. Historiquement, la société a toujours associé la solitude à l’isolement, au désespoir et à la dépression. Ce sont des questions sérieuses qui ne doivent pas être sous-estimées. »

Mais Coplan et ses collègues constatent qu’un manque ou un excès de solitude peuvent entraîner des sentiments similaires : stress, dépression ou humeur négative. Il s'agit d'un domaine qui prend de plus en plus d'importance compte tenu du vide social persistant dans lequel nous nous trouvons. « Je dois dire que pour moi, qui étudie l'isolement social et la solitude, cette période est du pain béni », fait remarquer Coplan. 

Certaines personnes se sont retrouvées dans des situations où elles sont seules la plupart du temps et cela les rend mélancoliques. « Mais d'autres personnes, et je pense en particulier aux jeunes parents qui travaillent désormais à domicile et qui doivent faire l'école aux enfants, n'ont soudain plus une seconde à eux », explique Coplan.

Les êtres humains ont besoin d'un sentiment de connexion et d'interactions sociales significatives. Pourtant, le temps passé seul peut avoir un effet bénéfique et vous rendre plus apte à gérer des émotions plus complexes, tout en vous permettant d'explorer votre créativité. Plusieurs études ont indiqué que les adolescents qui passent environ 25 ou 30 % de leurs heures d'éveil seuls ont de meilleures notes et de meilleures évaluations comportementales de la part des enseignants.

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« Des personnalités religieuses, des philosophes et des psychologues soutiennent depuis longtemps que les gens ont occasionnellement, voire souvent, besoin d'un peu de temps seul pour avoir l'espace et la liberté de penser à des choses qui sont importantes pour eux, de faire quelque chose de créatif ou de spirituel, de se reconnecter avec la nature ou de faire tout ce qui leur est difficile de faire lorsqu'ils sont entourés d'autres personnes », explique Christopher Long, professeur de psychiatrie à l'université d'Arkansas pour les sciences médicales.

De nombreux écrivains ont vanté les bienfaits de la solitude, la convoitant alors qu'ils n'y avaient pas accès. Comme Virginia Woolf l'a écrit dans La Promenade au phare : « Elle pouvait être elle-même, à elle-même. Et c’était de cela que maintenant elle éprouvait souvent le besoin : penser, non pas même penser, se taire, être seule. »

Les chercheurs appellent cette contradiction apparente le « paradoxe de la solitude » : le temps passé seul peut avoir des effets positifs, mais un excès de solitude peut avoir un impact négatif sur le bien-être.

Au début de sa carrière, alors qu'il étudiait le développement de la timidité et de l'anxiété sociale chez les enfants, Coplan a passé du temps à observer les enfants jouer à la récréation, cherchant ceux qui se tenaient à l’écart. Certains de ces enfants étaient vraiment timides, tandis que d'autres semblaient tout simplement bien se débrouiller seuls ; ils préféraient cela. « Ils semblaient tout à fait satisfaits de jouer seuls et ne semblaient montrer aucun signe d'inquiétude, d'anxiété ou de malaise habituellement manifesté par un enfant timide », explique Coplan.

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Ses collègues et lui ont ensuite réalisé d'autres études impliquant des étudiants de différents âges et des adolescents âgés de 15 à 17 ans, dont les résultats ont été publiés en janvier de cette année. Dans ces groupes aussi, ils ont trouvé des personnes qui aiment passer du temps seules et qui, lorsqu'elles ne le peuvent pas, ressentent ce « manque de solitude ». Pour la mesurer, les chercheurs ont mis au point une échelle spéciale, la « Solitude and Aloneliness Scale », qui demande aux participants de confirmer ou non des phrases comme : « Ce serait bien si je pouvais passer plus de temps seul chaque jour. » 

La solitude est tout simplement l'état d'être seul, mais les gens peuvent en faire des expériences extrêmement différentes. Il existe quelques différences essentielles entre « se sentir seul » et « être seul », explique Virginia Thomas, professeure de psychologie au Middlebury College. « Le plus important est le caractère involontaire de cette condition », souligne-t-elle.

Long est d'accord et dit avoir constaté dans ses recherches que la principale différence entre une expérience d'isolement positive ou négative réside dans le degré de choix de la personne. Les personnes ayant une expérience positive ont explicitement choisi d'être seules et, ce faisant, ont pu faire ce qu'elles voulaient de leur temps.

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« D'autre part, les personnes qui ont fait une expérience négative de la solitude – et qui se sont senties isolées, ennuyées ou ont éprouvé d'autres sentiments désagréables – souhaitent souvent passer davantage de temps avec d'autres personnes ou n'ont aucun moyen de s'adonner à une activité qu'elles souhaitent poursuivre », ajoute-t-il.

La motivation est un autre facteur important, ajoute Thomas. Lorsque les gens passent du temps seuls dans un but constructif (comme la créativité ou la réflexion personnelle), ils se sentent mieux seuls que ceux qui choisissent de l'être à cause de leur anxiété sociale ou parce qu'ils se sentent rejetés par les autres. « Dans la solitude, vous vous retirez intentionnellement de toute interaction sociale dans un but précis – peut-être pour vous connecter à vous-même, pour vous ressourcer après une journée particulièrement chargée, ou pour travailler sur un projet personnel qui vous procure du plaisir », explique-t-elle.

Bien que le désir d'être seul soit un trait de caractère supposé des introvertis, Thomas soutient que ce n'est pas nécessairement le cas et qu'il existe également de nombreux extravertis pour lesquels la solitude est précieuse. « Les facteurs circonstanciels sont importants, quelle que soit votre personnalité, dit-elle. Par exemple, nous sommes tous confrontés au stress, et l'un des effets bénéfiques évidents de la solitude est son effet réparateur. » Peu importe qui vous êtes, il semble que la solitude puisse vous calmer, surtout si vous êtes stressé. 

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Les personnes qui ont une attitude positive à l'égard de la solitude et qui souhaitent passer plus de temps seules sont plus susceptibles de développer ce sentiment de « manque de solitude positive ». C'est logique, car si vous aimez passer du temps seul, vous en voudrez davantage et risquerez donc de voir votre besoin insatisfait. 

Ce que vous faites lorsque vous êtes seul peut également avoir un impact sur le fait que vous vous sentiez « seul » ou non. Dans leur récente étude sur les adolescents, Coplan et ses collègues ont constaté que lorsque le temps passé seul est consacré à des passe-temps, comme lire, regarder la télévision, jouer à des jeux vidéo ou passer du temps à l'extérieur, il tend à satisfaire ce besoin de solitude positive. Si, en revanche, le temps passé seul est consacré aux devoirs, aux courses ou aux travaux ménagers, il tend à renforcer le manque de solitude positive. Cela signifie que la qualité de votre temps en solitaire dépend de la part qui vous est réellement consacrée, à vous et à vos besoins, et non au paiement des impôts ou au nettoyage de la maison.

Coplan ajoute ensuite que le sentiment de solitude, de la même manière, ne se résume pas à l'isolement. Les gens peuvent se sentir seuls même lorsqu'ils sont entourés d'autres personnes, car c'est la qualité de leurs interactions sociales qui compte le plus. « Des adolescents nous ont dit qu'ils se sentaient seuls lorsqu'ils étaient à table avec leur famille parce que cela leur manquait d'être avec leurs amis », explique Coplan.

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Mais il est également tout à fait possible de ressentir à la fois une solitude et une « absence de solitude », ce qui signifie que vous êtes globalement mécontent de votre situation sociale. Il se peut que vous manquiez d'interactions et de relations sociales significatives au point de vous sentir seul, et pourtant vous ne parvenez pas à satisfaire votre désir de passer du temps de qualité dans la solitude.

Coplan et ses collègues ont commencé à recueillir des données pendant la pandémie et, bien qu'ils n'aient pas encore de résultats définitifs, ils pensent qu'ils constateront bientôt une augmentation des deux sentiments : la solitude et le manque de solitude. 

Coplan pense que le simple fait de sensibiliser les gens au fait que le manque de solitude peut les affecter au même titre que la solitude sera bénéfique. « C'est quelque chose dont les gens ne sont pas vraiment conscients, dit-il. Nous avons notamment constaté que les gens peuvent se sentir stressés ou irritables sans savoir pourquoi. » 

La solution au manque de solitude positive est, comme vous vous en doutez, de passer du temps seul. Coplan reconnaît que ce n'est pas toujours aussi facile, surtout maintenant. Il encourage les gens à dire à leur partenaire ou colocataire qu'ils auraient besoin d'un peu de temps seul à seul et à discuter du fait qu'une telle demande ne veut pas dire que la relation va mal, que vous vous ennuyez ou que vous êtes ennuyé par quelqu'un en particulier. 

Il ajoute qu’il est important de ne pas prendre les choses personnellement lorsqu'un proche nous dit qu'il a besoin d'être seul. Dites-vous que vous lui offrez un beau cadeau psychologique, comme le dit la psychologue Ester Buchholz dans son livre The Call of Solitude. « Lorsque j'écoute mes patients parlers de leurs proches, je suis frappée par leurs expressions de gratitude lorsqu'ils reçoivent du "temps libre" pour s’adonner à leurs propres passe-temps, écrit-elle. Comme des prisonniers à qui on accorde la liberté conditionnelle avant qu’ils ne la méritent, ils ressentent cette liberté comme un cadeau de compassion. Par conséquent, il leur est difficile de ne serait-ce que suggérer la possibilité de passer une journée de détente en solitaire. »

Si mes sentiments sont un peu froissés lorsque mon copain ferme la porte pour quelques heures, je me souviens du bonheur que je ressens lorsque je m’assois dans une pièce tranquille, toute seule, avec une tasse de thé, un livre, des chaussettes, et la certitude que personne ne viendra me déranger.

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