Gaming

« Il n’y a qu’une seule vérité, ce sont les LAN » : l'esport retrouve les stades, ou presque

On a discuté avec apEX et XTQZZZ, capitaine et coach de l'équipe CS GO de Vitality, sur le retour à la compétition après une année à jouer à la maison.
Paul Douard
Paris, FR
​ESL One Cologne 2019 - photo de HLTV.
ESL One Cologne 2019 - photo de HLTV. 

« Moi, ça me hype de retourner en LAN ! », me dit le capitaine Dan “apEX” Madesclaire depuis sa chambre d’hôtel de Cologne (Allemagne) où il est confiné. Arrivés il y a quelques jours, les joueurs de l’équipe Counter Strike (CS GO) de Vitality doivent respecter une quarantaine stricte avant de pouvoir débuter la compétition. Ce mardi, à l’occasion des ESL One Cologne, 24 des meilleures équipes vont s’affronter pour un million de dollars au total. Et pour la première fois depuis un an et demi, ce sera en LAN – c’est-à-dire non pas sur internet comme ils étaient contraints de le faire avec la pandémie, mais en local, avec la sueur et les cris de toutes les équipes présentes comme il est d’usage en esport.

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Mais si le retour de la compétition “physique” enchante fans comme joueurs, les conditions sont encore un peu tristes. En fait, si les équipes sont bien au même endroit, elles ne se croiseront pas ni ne pourront profiter du public. « Ils sortent, on sort », me résume apEX qui tourne alors en rond dans sa chambre. Stade vide donc, hôtels transformés en gaming room et interactions interdites entre joueurs d’équipes différentes sont les règles de cette compétition. Pour l’ambiance toute de même, les équipes s’affronteront dans deux pièces séparées d’un mur de placo, « On va s’entendre à travers les murs. En tout cas moi je compte faire en sorte qu’ils m’entendent », surenchérit apEX, réputé pour son “énergie” - si on veut rester polis.

Dan “apEX” Madesclaire à la Blast Premier de 2019.

Dan “apEX” Madesclaire à la Blast Premier en 2019. Photo HLTV.

Des conditions loin d’être idéales certes, mais un retour en LAN qui va rebattre les cartes entre des équipes qui depuis 18 mois jouent depuis chez eux. Un environnement bien différent des compétitions habituelles. Sur ce point, le coach Rémy “XTQZZZ” Quoniam est formel : « Il n’y a qu’une seule vérité, ce sont les LAN ». Autrement dit, jouer sur internet c’est bien, mais difficile de juger le vrai niveau d’une équipe. Les joueurs ne subissent pas la même pression depuis leur chambre que dans un stade plein. « On se permet plus de choses chez soi que devant 10 000 personnes. En LAN, le collectif reprend le pas sur l’individualité, c’est normal. On verra sans doute des star players moins performants, donc potentiellement certaines équipes performantes online l’être moins ici », confirme apEX.

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« Un jeune joueur esport qui passe professionnel, il arrive directement de sa chambre – Matthieu Péché

Ces confinements successifs et ces compétitions qui s’enchaînaient sans presque jamais permettre aux joueurs de bouger de chez eux ont laissé des traces. « Jouer sur internet, c'était bien plus difficile », avance apEX, complété par XTQZZZ, « Il a fallu faire face à une fatigue mentale, une forme de lassitude du fait d’être seul à la maison. Qu’on gagne ou qu’on perde, on vivait ces émotions seuls chez nous. Parfois, on jouait notre game et basta. Pour continuer d’avancer, il nous a fallu renouveler les objectifs pour ne jamais baisser la tête. » La pandémie et les conditions de jeu difficiles qui en ont résulté ont mis au jour des problèmes de santé mentale chez certains joueurs pro, comme le rappelle le quotidien L’Équipe. Depuis, le CSPPA (The Counter-Strike Professional Players' Association, en gros le syndicat des joueurs professionnel), a lancé un programme visant à tout mettre en œuvre pour détecter au plus tôt les problèmes de santé mentale chez les joueurs. 

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Rémy “XTQZZZ” Quoniam. Photo HLTV.

Cet isolement vécu par tous a aussi eu un impact sur le développement de l’équipe en soi, qui a vu arriver dans ses rangs les joueurs Misutaaa tout juste un mois avant le premier confinement, et plus récemment Kyojin. Tous deux ont respectivement 18 et 22 ans. Des jeunes joueurs venant du circuit amateur devant apprendre à distance. « Deux joueurs très talentueux, mais qui viennent du bas, qui ne connaissent rien au jeu d’équipe. C’est un travail énorme », me répète apEX. Alors il a fallu les former en pleine pandémie. Pour cela Vitality a multiplié les bootcamps dans son centre d'entraînement situé au Stade de France.

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« À notre époque, on avait personne. Ça nous a obligé à nous prendre en main. Mais pour les jeunes générations, c’est plus compliqué » – apEX

Dans cette configuration particulière, le travail de Matthieu Péché, manager de l’équipe, a aussi eu son importance. « Jason (Kyojin, N.D.L.R), la première fois qu’il est venu s’entraîner à Saint-Denis avec nous, c’était la première fois qu’il prenait le train de sa vie. » Des jeunes joueurs qui découvrent le monde et qu’il faut accompagner, comme dans n’importe quel sport professionnel en somme. « Un jeune joueur esport qui passe professionnel, il arrive directement de sa chambre. Il ne connaît rien d’autre. On doit donc lui apprendre les bases, comme respecter des horaires, bien manger, prendre un avion, avoir un planning etc. Il découvre tout », poursuit-il. Résultat, un début très compliqué pour Kyojin, comme le raconte son coach XTQZZZ : « Il a trop subi la pression, ce qui se disait à l'extérieur, ainsi que le gap de niveau et les sacrifices à faire à haut niveau, les horaires de travail, le style de jeu. À ce niveau, il faut apprendre à encaisser les coups. Les confinements n’ont pas aidé. Puis, il s’est focalisé sur ce qui doit être fait en équipe et ça va mieux. » 

La reprise des LAN et la plus grande facilité de déplacement devraient donc faciliter le travail du staff et profiter aux jeunes joueurs, qui ont davantage besoin de cadre que les autres. « À notre époque, on avait personne. Ça nous a obligé à nous prendre en main. Mais pour les jeunes générations, c’est plus compliqué. Pour eux, CS c’est mettre des headshots, alors que ce n’est pas que ça. Pour qu’il soit prêt (Kyojin N.D.L.R), il va falloir six mois et un an », me dit apEX.

D’ici là, l’espoir de voir enfin de vraies LAN renaître est bien là pour apEX : « On a l’impression qu’on est sur la fin de l’épidémie. On voit des stades remplis dans certains pays. Notre plus grand souhait, c’est de retourner jouer dans un stade plein. Mais bon, déjà voyager de nouveau ça fait du bien ». Et bien sûr la compétition, premier test post-confinement : « On va surtout voir ce qui nous manque pour la rentrée prochaine, sur quoi on va devoir travailler, se jauger pour septembre », termine-t-il. Quant à XTQZZZ, le coach, « Il faut assumer ce qu’on est, notre manière de jouer, et automatiquement on fera un bon tournoi. »

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