Music

Typologie du DJ de balcon en période de confinement

Ce drôle de spécimen a pullulé un peu partout depuis le début de la quarantaine. Mais que nous veut-il au juste ?
Marc-Aurèle Baly
Paris, FR
dj balcon confinement coronavirus

Quand il a un moment de libre ou qu’il ne tombe pas sur des interviews lunaires de la part de ses gouvernants, le « petit monde de la culture » se demande quelles œuvres d’art cette période si particulière va-t-elle bien pouvoir enfanter. Et si on est d’accord pour admettre que tout ça risque fort de déboucher sur des disques de merde et des livres écrits à la première personne globalement pénibles, on ne pensait pas forcément que pourraient émerger de véritables figures tutélaires nouvelles au milieu de tout ce fatras. En tout cas pas aussi vite.

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Et pourtant, en musique, coincé entre des livestreams de confinement et autres « pandémixes » un peu pétés, un drôle d’animal a soudainement fait son apparition : le DJ de balcon. Alors certes, si l'on me souffle dans l’oreille que l’on a déjà pu observer ce genre de spécimen par le passé lors de la Fête de la musique par exemple (ce qui est tout à fait logique quand on y réfléchit un peu, on y revient), c’est bel et bien en l’an 0 de la distanciation sociale que le phénomène semble s’être démocratisé. De là à redéfinir la place du DJ dans notre future société post-moderne post-confinement ? Si on ne l’espère pas, le mieux encore est d’observer comment on a bien pu en arriver là. Ça pourra toujours servir si un jour nous vient la riche idée de ne pas répéter les erreurs du passé.

Le premier cas français nous a pour ainsi dire sauté à la gorge. Samedi 25 avril, dans le 18 e arrondissement de Paris, un individu se présentant sur Instagram sous le pseudonyme de Discobalcons s’est fait houspiller par la maréchaussée après avoir passé du Dalida et du Wham à fond les ballons depuis sa fenêtre, provoquant ainsi un attroupement et une danse de rue pas très confinement-compatible. Fort heureusement, le chenapan a choisi d’éteindre prestement ses grosses enceintes en jurant qu’on ne l’y reprendrait plus. Si les riverains ne se sont pas fait prier non plus, d’autres ont cru bon réagir avec ce genre de tweet : « Ces débiles du 18ème qui seront encore la cause principale de la résurgence de l’épidémie ». On se demande ce que cette personne entend par « encore », il m’est avis qu’il y aurait comme une pointe de racisme social dans l’air mais qui suis-je pour juger.

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En remontant le fil, on se rend compte que cet épiphénomène n’a pas commencé en France, mais en Italie, pays le plus durement touché et en avance sur les autres pays d’Europe au début du confinement. Alors que le pays commençait sa phase de quarantaine avant les autres, des DJs de Turin et d’autres villes du nord commençaient à se lâcher sur leur balcon pour donner du baume au cœur de leurs compatriotes confinés à coup d’EDM pas bégueule. À l’image de la pandémie, le DJ de balcon est malheureusement rapidement devenu un phénomène global. De Buenos Aires à Amsterdam, des États-Unis à Israël, tous s’en sont donné à cœur joie, le procédé donnant même lieu à quelques petites variantes, comme les toutes premières raves drive-in qui se déroulent actuellement en Allemagne, ou encore David Guetta perché au sommet de sa tour de Babel.

Si l’on note quelques différences infimes entre les styles, il est évident que ces gens partagent plusieurs dénominateurs communs. Esthétiquement, au-delà du soleil, tous semblent viser un même horizon balloche-fête de la musique-on fait tourner les serviettes. Ils se livrent pour la plupart à des pratiques absolument interdites pour le commun des mortels en club. Ils lèvent les bras, tapent dans leurs mains et haranguent la foule au micro comme le premier ambianceur du Macumba de Colmar venu. À ce rythme-là, pas étonnant que la goguette ait elle aussi droit à son retour de hype.

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C’est alors presque un crève-cœur d’apprendre que le set au sommet de l’Arc de Triomphe de Bob Sinclar, parrain officieux de tous les Djs de balcon du monde, ait été reporté - on pourra tout de même se consoler avec ce proto DJ set de balcon légendaire de Jean-Michel Jarre au sommet des pyramides en 2000. Et si certains esprits malfaisants ont essayé de nous faire croire que New York restait toujours classe face à l’adversité et préférait se la coller sur Notorious B.I.G plutôt que sur Muzzaik & Stadiumx, personne n’a été dupe de la supercherie très longtemps. Si l’on est un peu attentif, on remarquera que le son de la vidéo ci-dessous provient d’un concert caritatif de 2010 organisé par Jay-Z et que de toute façon les balcons sont vides. Ne cédez pas aux fake news :

Serions-nous tous égaux en musique devant le corona ? C’est ce qu’on peut être amené à penser, à mesure que le confinement avance et qu’on semble tous condamnés à se farcir des versions de « Rhythm of The Night » au saxo. Les Lyonnais peuvent être sacrément fiers :

En observant toute cette ribambelle, on pourrait croire que le DJ de balcon n’est qu’un dérivé du pauvre du DJ de mariage, à cela près que le DJ de mariage aime bien quand ça dérape, voire même quand ça castagne un peu et qu'il a un coup dans le nez à la fin des festivités. À l’opposé d’un Rayan Sax par exemple, qui n’apprécie rien de mieux qu’une petite reprise de « Resurrection » de Michael Calfan, ce qui donne une touche très Nestor Burma fin de siècle à ce coucher de soleil marseillais.

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Quelque part entre l’animateur de club Med et le DJ des origines, le DJ de balcon est celui qui passe de la musique pour à la fois remuer la maison et rassembler la maison - d’où le nom originel de « house music », soit « musique qu'on entend à la maison », on le rappelle aux enfants qui nous lisent. Savoir ou non si c’est bon pour la musique relève alors de la mauvaise foi ou d’une forme de snobisme mal placé. Lorsque les journalistes interrogent les DJs de balcon, tous le répètent, leur but est avant tout de « donner du bonheur aux gens », la musique apparaissant avant tout comme « comme vecteur de lien social » comme nous le dit cette journaliste de I24 News.

Pour autant, le DJ de balcon ne revendique jusqu'ici rien de politique, contrairement au public posté, certains s'étant dépêché de considérer le balcon comme « une tribune politique suspendue sur la rue ». D’ailleurs le DJ de Discobalcons suscité semblait bien content que les condés débarquent, confiant dans Libération que la situation lui avait échappé : « Je ne peux pas demander aux forces de l’ordre de venir chaque semaine pour vous disperser ceux qui sont en bas, c’est pas le but. »

Et même si on a vu émerger çà et là des appels à la révolte, des slogans comme « Du fric pour l’hôpital public » farcir des pages Soundcloud afin de les porter aux fenêtres le soir venu, ces initiatives sont trop isolées pour qu’on imagine tous les Martin Solveig de la rambarde se fendre d’autre chose qu’un convenu « et on applaudit les soignaaaaaants ». Ce n‘est pas impossible que la roue tourne ceci dit, vu que le seul fait de passer de la musique semble être officiellement devenu ces derniers jours un acte aussi sulfureux qu’une banderole « Macronavirus », comme nous le rapporte cet article du Point. De là à dire qu’un vent de révolte s’apprête à souffler sur les braises des baffles crachant du Dalida ou du Kool & The Gang, je ne sais pas, mais vous m’empêcherez pas d’espérer.

Marc-Aurèle Baly est vaguement sur Twitter.

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