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La soupe de chauve-souris, bouc émissaire idéal

Pointé du doigt comme cause potentielle de l'épidémie de coronavirus qui touche la Chine, l'animal a un casier particulièrement chargé en matière de transmission de maladies.
Alexis Ferenczi
Paris, FR
Justine  Reix
Paris, FR
Soupe de chauve-souris coronavirus
Source de la composition : Twitter

Comme Wuhan, plusieurs villes chinoises ont été mises en quarantaine vendredi 24 janvier pour tenter d’endiguer la propagation du coronavirus. Même si l’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’a pas jugé bon de déclarer que l’épidémie était « une urgence de santé publique de portée internationale » et réfute le terme de « menace globale », tout le monde commence à sérieusement flipper.

Selon les chiffres transmis par le gouvernement chinois, l’épidémie a déjà coûté la vie à 26 personnes et en a touché plus de 830 depuis décembre et son apparition dans un marché de la capitale du Hubei. Les chercheurs ont déjà pas mal tafé sur le virus d’origine animale - qui a hérité du petit nom de « 2019-nCov » - pour comprendre comment il avait acquis la capacité d’être transmissible d’humain à humain.

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Certains internautes ont mené leur propre enquête publiant sur les réseaux sociaux une hypothèse qui a fait son petit bonhomme de chemin : et si l’origine du coronavirus ne se trouvait pas, tout bêtement, dans une soupe à la chauve-souris ?

Plusieurs raisons peuvent expliquer pourquoi cette théorie séduit. Si la chauve-souris fait aujourd’hui un bouc émissaire parfait, c’est parce qu’elle a un casier particulièrement chargé en matière de véhicule à germes ; Ebola, rage, derrière ces virus mortels se cache souvent ce petit animal moins inoffensif qu'il n'y paraît.

Porteuse de nombreuses maladies, la chauve-souris est immunisée et ne fait « que » transmettre les virus qu’elle porte aux mammifères qui l’entourent. Elle fait partie de ces rares espèces qui permettent à des virus inexistants chez l’homme de muter et de se développer in fine dans notre corps.

Lorsqu’un virus mute, il existe deux possibilités : soit la mutation permet au virus de se transmettre plus rapidement soit le virus devient plus virulent. Dans ce cas, il tue son hôte très vite et diminue donc ses chances d’être transmis. Soit il met plus de temps à se développer et se diffuse plus. Cela ne veut pas pour autant dire qu’un virus qui se transmet moins rapidement n’est pas mortel.

Le mode de transmission à l’homme se fait par contact direct avec l’animal contaminé ou en touchant des liquides biologiques (excréments, sang, etc…). C’est par exemple le cas lorsque l’homme manipule des animaux malades ou morts ou lorsqu’il consomme de la viande infectée.

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La Chine a non seulement des chauves-souris « réservoirs » porteuses de virus mais aussi des marchés d’animaux vivants destinés à la consommation humaine. Le fait qu’un animal soit vendu vivant accentue le risque de contamination puisqu’un virus ne survit généralement que peu de temps dans un hôte décédé et dans une viande congelée ou cuite.

L’épicentre de l’épidémie a d’ailleurs été identifié comme un marché de Wuhan dédié aux produits de la mer et, selon Les Echos, à tout une tripotée d’animaux sauvages. La présence de chauve-souris (avant la fermeture des lieux) n’est pas attestée mais un tweet de la journaliste Muyi Xiao montre qu’elles faisaient partie des mets exotiques disponibles - et parfois vendus vivants.

S’il est encore beaucoup trop tôt pour les incriminer, les chauves-souris rappellent l’épidémie de SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) qui avait touché la Chine au début des années 2000 et tué près de 650 personnes. Déjà, à l’époque, l’animal avait été pointé du doigt et accusé d’être responsable de la mutation du virus.

La théorie de la soupe de chauve-souris est même sortie renforcée par l’analyse génomique du 2019-nCoV. Selon Le Monde, l’étude du nouveau coronavirus a permis « de retracer avec une probabilité de plus en plus grande sa généalogie qui le rapproche de son cousin responsable du SRAS (SRAS-CoV) et le fait descendre d’un ancêtre commun, un coronavirus de chauve-souris. »

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Bouffer de la chauve-souris n’est clairement pas une tradition culinaire ancrée dans l’histoire de la gastronomie chinoise. Interrogé, William Chan Tat Chuen, auteur de Fêtes et banquets en Chine, souligne quand même que « son image est très représentée pour le nouvel an chinois ».

« En chinois, la chauve-souris se dit 蝙蝠 bian fu. D’une certaine manière, elle personnifie le souhait de bonheur qu’on fait au nouvel an par son homophonie avec le caractère de bonheur : 福 fu. »

En Chine, la pipistrelle est plutôt à ranger dans la catégorie ‘gibier exotique’. Catégorie qui correspond à la consommation illégale d’animaux sauvages (souvent protégées) pour leurs supposées vertus médicinales. Dans le cas de la chauve-souris, on parle d’une viande « faible en matières grasses, riche en protéines et censée lutter contre l’asthme ainsi que les affections rénales ou systémiques. »

Dans l’histoire de l’humanité, la consommation de chauve-souris - qu’elle soit pour répondre à un besoin vital ou par tradition - est pourtant loin d’être une anomalie. On retrouve sa trace dans plusieurs cuisines en Asie, en Afrique et en Europe (même si les espèces endémiques y sont plus petites). Aux Seychelles, la viande de roussette, servie en cari, est par exemple considérée comme un mets rare mais apprécié que le Routard réserve cependant aux « estomacs aventureux ».

En attendant que la pandémie imaginée par Steven Soderbergh dans Contagion ait bien lieu et alors même que le Lévitique conseille de ne pas trop toucher aux petits mammifères ailés - « Voici, parmi les oiseaux, ceux que vous aurez en abomination, et dont vous ne mangerez pas la chair : (…) la chouette, le cygne, le pélican, (…) la huppe et la chauve-souris » - c'est un fait, les gens continueront de béqueter des chauves-souris contre vents et marées.

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