Société

Ces cathos intégristes qui se prennent pour des martyrs

Depuis le début du confinement, certaines communautés profitent de l’interdiction des rassemblements pour se proclamer victimes et ressortir les grands discours de la contre-révolution catholique.
catholiques coronavirus

Dans l’ombre de l’église Saint-Lambert de Vaugirard dans le quinzième arrondissement de Paris, la petite chapelle traditionaliste du Sacré-coeur-de-Jésus Roi de France à la façade vert foncée a baissé ses grilles. Rien ne trahit le lieu de prière si ce n’est une croix. Un curé en habits liturgiques dorés passe sa tête dans l’entrebâillement de la porte de cette très discrète église et la claque illico. En ce dimanche de Pâques, ses paroissiens sont privés de messe.

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Depuis le 17 mars, le confinement interdit tout rassemblement de plus de vingt fidèles, épidémie de Covid-19 oblige. Un croyant peut se rendre dans son lieu de culte pour y prier isolément uniquement si le bâtiment se situe dans le rayon d’un kilomètre autour de son domicile. Les prêtres peuvent continuer à célébrer la messe mais sans audience. Les évêques catholiques français ont immédiatement suivi le mouvement enjoignant les curés à proposer des messes en ligne, retransmises en direct, particulièrement, pendant la semaine sainte qui précède Pâques. Une liturgie 2.0 qui contrarie certaines communautés intégristes, en rupture avec le Saint-Siège à Rome. Ces cathos minoritaires veulent accéder aux sacrements Covid-19 ou pas.

« Priez les anges gardiens contre les amendes, vous serez protégés » – L'abbé Guépin

À Nantes, le 22 mars, plus d’agitation que d’habitude devant la chapelle du Christ-Roi-Saint-Sauveur rue d’Alonville, ancien hangar transformé en lieu de prières pour nostalgiques de la monarchie. L’abbé Guépin à la tête de l’association saint Pie V, non reconnue par le Vatican, a décidé de célébrer une messe des Rameaux [célébration qui précède le dimanche de Pâques et marque le début de la Semaine sainte, NDLR] en présence de fidèles. Dans sa lettre datée du 27 mars 2020, écrite en réponse à l’avertissement du Préfet des pays de la Loire, le curé affirme que seuls 20 paroissiens se trouvaient dans sa chapelle et ajoute : « Nous luttons contre la propagation du virus Covid-19 (…) avec des moyens encore plus efficaces, des moyens surnaturels : la prière, la sainte messe et les moyens sacramentaux (médailles pieuses, scapulaires, cierge etc.) ».

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Il suffit de lui passer un coup de fil rapide pour avoir sa confirmation : les offices continueront. Le dimanche de Pâques, rebelote. « L’État veut nous empêcher de célébrer la résurrection du Christ », indique Guépin, anti moderniste notoire, dans son sermon de Pâques haché par quelques pleurs de bébé, enregistré et disponible Internet. Le curé aux allures bonhommes félicite les quelques fidèles présents pour leur courage alors que « la délation citoyenne » règne avant de fustiger les homosexuels. Du coq à l’âne. Pas de doute : l’époque est à la persécution des catholiques, obligés de célébrer en toute clandestinité. « Priez les anges gardiens contre les amendes, vous serez protégés », exhorte le clerc soupçonné d’abus de faiblesse sur une de ses anciennes paroissiennes. Mais l’abbé qui commémore chaque 21 janvier la mort du roi Louis XVI n’est pas le seul à jouer les opprimés.

Des prêtres de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X (FSSPX), endossent également le costume de la clandestinité depuis le début de la quarantaine. Fondée en 1970, par Mgr Marcel Lefebvre qui s’est éloigné du pape après le concile Vatican II et a rejeté la messe instaurée par Paul VI, la communauté rejette en bloc les décisions modernistes de l’Église catholique actuelle. La prière se fait en latin, dos à l’audience et les convictions conservatrices flirtent avec l’extrême droite voire parfois le négationnisme. A noter qu’au terme d’intégristes, les lefebvristes préfèrent celui de traditionalistes.

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Le dimanche 22 mars, dans les rues désertes de Saint-Romain-de-Jalionas, petite commune de l’Isère, une messe clandestine se déroule à 8 heures dans une salle prêtée par un camping devant une douzaine de fidèles. Selon Le Dauphiné Libéré, les gendarmes qui avaient eu échos de plusieurs célébrations secrètes se tenant chez des particuliers finissent par percer le mystère. Le prêtre présenté dans la presse comme un « traditionaliste de l’Ain » écope d’un rappel à la loi bien que le rassemblement reste légal. Selon une source proche de l’affaire contactée par VICE, il s’agit bien d’un clerc de la Fraternité Saint-Pie X qui officierait à l’école Saint-Jean de Bosco de Marlieux école privée hors contrat.

Quinze jours plus tard, la veille de Pâques, à Paris dans le cinquième arrondissement, Le Point révèle que cette même communauté a célébré une vigile pascale dans l’église de Saint-Nicolas-du Chardonnet, qu’elle occupe illégalement depuis 1977, indélogeable. En plus des célébrants, qui légalement pouvaient être présents, on peut apercevoir sur la vidéo de la liturgie diffusée en direct, l’ombre de quelques fidèles. Plus de vingt personnes. Le curé de la paroisse, Pierpaolo Petrucci, écope de 135 euros d’amende. Sur les réseaux sociaux ou des sites spécialisés, les traditionalistes éructent contre « les médias de gauche » puisque la paroisse aurait respecté le nombre maximum de participants et que les clercs peuvent célébrer au nombre qu’ils souhaitent.

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Mais pour certains, la FSSPX reste trop proche de Rome et de son pape moderniste. Ultra-minoritaires, sur leurs sites et forums, ces intégristes partisans du « complot judéo-maçonnique » et sédévacantistes, qui considèrent que le siège du pape reste vacant, militent pour la « Reconquista », la reconquête des territoires par les royaumes chrétiens. Le Covid-19 ? Une « grippette traficotée », le « prétexte » d’un gouvernement dont l'objectif final serait d’éradiquer la foi catholique. Depuis la Révolution Française, c’est la première fois que la République s’abat à ce point sur eux. Les évêques et curés qui respectent les mesures de confinement deviennent « des lâches », des « froussards » soumis aux républicains. Un des sites propose ainsi des contacts de « vrais » curés pouvant apporter la communion à domicile.

Ces terminologies rappellent celles de 1790, où le clergé « réfractaire » a refusé de se plier à la constitution civile du clergé hostile à la Révolution Française en s’opposant aux prêtres « jureurs » qui eux ont prêté serment. « Il y a un individualisme caractéristique de ces fidèles intégristes qui considèrent que leur propre salut est au-dessus de la communauté des fidèles en général. Chacun fait sa petite messe dans son coin. Par ailleurs, ce confinement alimente le discours anti moderniste des intégristes catholiques. L’interdiction de célébrer devant une audience de plus de 20 fidèles leur permet de ressortir le vocabulaire de 1791 et de se dire persécutés », analyse Nicolas Senèze, envoyé spécial au Vatican pour La Croix et auteur de La crise intégriste : vingt ans après le schisme de Mgr Lefebvre. Il précise : « Ils s’opposent aux « prêtres jureurs », concrètement le clergé en général qui respecte les mesures gouvernementales du confinement. Cela leur permet de se dire martyrs ». Sur la chaîne YouTube de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, preuve par l’exemple en un commentaire d’une internaute bien à la droite du Christ : « On reconnaît les vrais fidèles catholiques aux persécutions dont ils font l’objet ».

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