On me demande souvent pourquoi je traîne dans ce genre d’endroit, ou si je ne suis pas effrayé à l’idée de squatter avec des sorciers vaudou. Les fantasmes qui gravitent autour du Vaudou ont la dent dure et viennent alimenter ces images collectives qui nous nourrissent depuis toujours. Alors oui, il y a de la magie noire dans le vaudou, mais pas seulement. Il y a aussi des moments pour se poser et boire des coups.
À quelques kilomètres de Porto Novo, capitale du Bénin, se trouve le village d’Adjarra, connu pour sa mystérieuse rivière noire. C’est un lieu assez unique, entouré d’une forêt dense. Ma copine et moi embarquons dans un petit rafiot, accompagnés d’un guide qui nous fait visiter les lieux et nous explique tous les mystères qui entourent cet endroit. La visite est assez courte et nous terminons notre tour vers 10h du matin.
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Au moment de débarquer nous rencontrons un homme, le torse nu, une trace blanche sur le front et tout sourire. À ce moment-là, je ne sais pas trop s’il est saoul, s’il a la gueule de bois ou les deux à la fois. On l’appelle Baba Oro, c’est un sorcier vaudou, mais il est également le gardien de la forêt sacrée qui entoure la rivière. Les Oros, dans la tradition Yorubas (groupe ethnique surtout représenté au Nigeria), sont les fantômes de la forêt. Ils sont autant crains qu’adulés. Ce sont des esprits tellement puissants que seule une partie de la population, qui est initiée, est habilitée à entrer dans la forêt sacrée. En gros, tout le monde sauf les femmes et les étrangers.
Baba Oro nous propose une consultation chez lui pour une somme de 10 000 francs CFA (15 euros), que nous acceptons. Ici, il est un peu considéré comme un psychologue mystique, mais sa salle de consultation est plus atypique. Les gens viennent le consulter, essentiellement pour parler de leurs problèmes. Nous arrivons dans une petite pièce, qui ne doit pas faire plus de 4m2, plongée dans le noir et éclairée avec une unique bougie. Il s’agit d’une chambre noire. Les murs sont recouverts de crânes et d’ossements d’animaux. Sur le sol on trouve des pochons de poudre magique et surtout des bouteilles d’alcool.
Nous entrons, accompagnés de notre guide, qui est très excité à l’idée de cette consultation. Même si se rendre chez un sorcier est une pratique courante, cela a un coût, et la plupart des Béninois ne peuvent se le permettre qu’une ou deux fois par an. Nous nous installons à même le sol face à Baba Oro qui est caché dans l’ombre, au fond de la pièce. Seule une petite lumière vient éclairer le haut de son visage.
Pour commencer, il nous sert un premier verre, nous dit d’en verser un peu sur le sol pour les ancêtres et nous ingurgitons ensemble, 8 cl d’alcool à plus de 60%. J’ai cru voir décoller du sol les fameux ancêtres, et comme si cela ne suffisait pas, nous buvons un nouveau verre dans la foulée. Je comprends que Baba Oro n’a pas la gueule de bois mais qu’il est bien bourré et que je suis progressivement en train de rejoindre son état.
L’alcool qu’il vient de nous servir se trouve dans une bouteille recouverte de tissus et de cordes séchées, ornées de plumes calcinées. Le sorcier nous explique que c’est une bouteille magique dont l’alcool a été béni, l’usage voulant que l’on boive quelques verres pendant la consultation. L’alcool permet de nous purifier et d’être en accord avec les esprits, un peu comme de l’eau bénite, en plus violent. Après ce petit échauffement, le sorcier nous tend une grande corne de gazelle creuse, elle aussi recouverte de tissus séchés, dans laquelle nous devons susurrer notre souhait, le rituel consistant à le répéter 3 fois pour que celui-ci se réalise.
« Y-a-t’il de la magie noire dans le vaudou ? » demandais-je. Baba Oro nous répond catégoriquement que non. Le vaudou est là pour aider les gens, et pas pour porter malheur. Nous étions plutôt convaincus par son explication, jusqu’à ce qu’il nous tende une corne de gazelle creuse et nous propose de jeter un sort à quelqu’un. Je me dis que je n’ai peut être rien compris à ce qu’était la magie noire, mais pas le temps de réfléchir, c’est le moment de boire un troisième shot. En terminant mon verre, je me dis que le prochain sera peut-être celui qui me rendra aveugle.
Baba Oro récupère ensuite une petite boîte dans laquelle se trouve de la poudre noire. C’est une poudre magique qui guérit tout, même la gueule de bois. Il en dispose un bon tas dans la paume de nos mains, récite une petite prière, gobe toute la poudre qu’il a dans la main et nous dit de faire de même. Pas complètement convaincu à l’idée de manger ce truc, je lui en demande la composition. Évidemment il ne peut pas nous le dire, c’est un secret. Au point où on en est, nous finissons par nous convaincre, et mangeons la fameuse poudre noire qui nous assèche complètement la bouche. Et quoi de mieux pour faire passer tout ça ? Un bon verre d’alcool.
Pour terminer la séance, Baba Oro propose de nous prédire l’avenir. Nous sortons de la chambre noire pour nous rendre près du fétiche qui se trouve devant chez lui. Il nous installe sur un petit banc, nous donne à chacun une noix de kola, et démarre une nouvelle prière. La noix de cola est une graine que l’on trouve partout ; les Béninois en mangent de petits bouts pour se donner un petit coup de boost, mais elle sert aussi de médium entre les esprits et le monde des humains. Baba Oro lance les coquillages, nous prédit l’avenir tour à tour, jusqu’à ce que l’on arrive à mon cas. Les coquillages sont tournés du mauvais côté et je comprends tout de suite dans son regard que cela ne va pas. Il m’explique qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond chez moi et me propose de revenir consulter gratuitement les deux prochains jours pour venir remettre en jeu le sort. Je me vois obligé de décliner l’invitation, en vue de mon emploi du temps. Mais pas de panique, notre guide, tout excité, propose de venir à ma place pour me représenter.
Nous voilà tous rassurés. Baba Oro récite alors une dernière prière et nous demande de manger toute la noix de Kola. Je savais à quoi m’attendre mais pas copine. Imaginez manger un truc extrêmement amer qui vient vous sécher à nouveau la bouche (on venait de manger de la poudre noire 10 minutes avant), jusqu’au fond de l’estomac, imaginez également que cette noix se mange en principe avec parcimonie, par petits bouts de la taille d’une tête d’allumette. Le sorcier nous sourit et nous tend un dernier verre pour clôturer la consultation. Fin de séance.
Il est 10h30, nous sortons de notre consultation complètement bourrés, prêts pour aller nous coucher. Au départ, nous étions un peu sceptiques et amusés, mais rapidement nous nous sommes rendu compte qu’ici tout le monde y croit vraiment. Bien au-delà du folklore et du sensationnel, consulter un guérisseur est une pratique régulière pour la population Béninoise adepte des cultes vaudou. Les gens consultent pour guérir, parler de leurs problèmes ou s’assurer un avenir plus prometteur. C’est en voyant notre guide que l’on s’est rendu compte du rapport de confiance entre les deux hommes, pas si différent de celui que l’on observe entre un médecin et son patient. Alors la prochaine fois que l’on me demandera pourquoi je traîne dans ce genre d’endroit, je répondrai qu’il n’y a pas d’heure pour boire un coup avec un sorcier vaudou.
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