« Je pars à Las Vegas dans deux semaines. Je vous emmène ? » Je crois que même une personne ayant des capacités de jugement limitées se serait méfiée en recevant ce SMS d’un mec rencontré sur Meetic la semaine d’avant. Pas moi.
Répondre à ce SMS revenait à tenir la porte de votre immeuble, tout sourire, à Guy Georges. Mais je l’ai fait. Bien qu’habituellement, je voie le mal partout et que c’est le texto le plus cheesy que j’ai reçu de toute ma vie, j’ai laissé entrer dans ma vie, pendant deux mois, celui que j’ai plus tard appelé « l’American Psycho du 7e arrondissement ». Près de six mois après notre rupture, il continue de m’envoyer des messages désespérés. Genre, tous les jours.
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Aujourd’hui, je peux l’affirmer : ce mec présente un mélange inédit de tout ce qui peut clocher chez l’être humain : traits pervers narcissiques, personnalités multiples, cupidité, superficialité, méchanceté et sens de l’humour digne d’un cadre commercial. D’ailleurs, c’est ce qu’il est. Quand je l’ai rencontré, il était à la tête d’une entreprise, et avait trouvé nécessaire, sur son profil Meetic, de mentionner qu’il gagnait plus de 100 000 euros par an.
Autant vous expliquer immédiatement pourquoi je suis tombée dans le panneau – même si aujourd’hui encore, je continue de m’interroger sur mes motivations.
Déjà, parlons de ma présence sur Meetic. Je venais de me séparer de mon mari, un type jaloux et possessif avec un complexe d’abandon chevillé au corps et qui me manipulait insidieusement avec des larmes de crocodile et des menaces de suicide pour que je reste avec lui le plus longtemps possible. J’avais enfin résisté à son emprise, mais vivant dans un bled paumé au fin fond de la banlieue parisienne, je me sentais un peu seule. Et je n’avais pas envie de me faire griller par toutes mes connaissances (professionnelles ou Facebook) en allant sur Tinder.
En fait, j’avais même toujours été contre les sites de rencontres, ne voyant pas l’intérêt d’apprendre à connaître quelqu’un arborant un t-shirt Oxbow sur sa photo de profil et cachant mal sa calvitie sous une paire de lunettes de soleil. Mais ce jour-là, ma mère est venue me rendre visite, et comme souvent, après m’avoir débité ses théories sur l’incapacité des hommes (« tous des chiens qui pensent avec leur bite ») et des femmes à vivre ensemble, on a fini par se foutre de la gueule des profils de mecs inscrits sur Meetic – allez savoir pourquoi. Sauf que ce jour-là, ma mère m’a conseillé d’ouvrir mon compte, car elle en avait marre qu’on se serve du sien pour aller épier de pauvres types en quête d’amour. Peut-être était-ce sa façon à elle de me dire de tourner la page de mon mariage.
Depuis ma séparation, le soir constituait mon grand moment de solitude quotidien, avec de multiples pics de dépression aux alentours de 22 h 30. Pendant l’un de ces pics, l’American Psycho français est entré dans ma vie.
Dès la mise en ligne de mon profil, j’ai reçu des tonnes de messages. Seulement, pour les lire il faut payer un abonnement, sauf si le type a raqué pour être « membre premium ». À part rire de la description de mecs affamés et qui cherchent plus une escort qu’une compagne – notamment « gentleman_épicurien », 55 ans, de Neuilly et sa présentation pour le moins éloquente : « Si vous aimez être choyée, respectée, considérée, si vous aimez briller dans les beaux endroits, si vous recherchez un équilibre entre insouciance et raison, si vous avez un corps harmonieux, de l’allure et de la classe, vous êtes la perle rare. Faisons connaissance dans un bar d’hôtel cosy propice aux confidences et je serai ravi de vous inviter dans mon monde et mes folies » –, il ne se passait pas grand-chose depuis mon inscription. Et pour être honnête, je ne cherchais rien. Enfin, pas consciemment.
Quelques jours plus tard, j’avais même oublié mon compte Meetic. Depuis ma séparation, le soir constituait mon grand moment de solitude quotidien, avec de multiples pics de dépression aux alentours de 22 h 30. Pendant l’un de ces pics, je suis retournée me connecter sur le site. Et ce lundi soir, l’American Psycho français est entré dans ma vie.
J’avais honte de me retrouver là, sur ce site, mais recevoir des dizaines de « vous êtes très belle » de la part de mecs célibataires matchait parfaitement avec mon ego atrophié. Le compromis, c’était donc d’entamer une expérience sociologico-arty à la Sophie Calle, en m’inventant une personnalité aux antipodes de la mienne et répondre aux messages des hommes. Dans la vraie vie, j’ai tendance à être celle qui drague, je me plains comme Jean-Pierre Bacri, je connais par cœur la discographie de Sepultura et j’adore parler de cul. Sur Meetic, j’étais cette fille doucement idiote, qui affiche des posters de chatons dans sa chambre et n’a rien contre Miley Cyrus ni les soutifs push-up. Je devais vraiment me sentir seule pour en arriver là. Parce qu’il écrivait sans fautes d’orthographe, cherchait à en savoir plus sur moi et s’exprimait poliment, un peu comme Charles Denner dans L’Homme qui aimait les femmes, j’ai joué le jeu. Je lui ai répondu, et ce, plusieurs soirs de suite.
Au bout d’un moment, j’ai appris son prénom (ici, je l’appellerai Patrick), qu’il avait 45 ans, avait été marié pendant 15 ans, avait deux enfants dont il avait la garde à plein-temps, et que son ex-femme vivait en République Dominicaine où, il y quelques années, il avait fait fortune dans la vente et la construction de bien immobiliers pour millionnaires bronzés aux UV. Il vivait dans le 7 e arrondissement de Paris, celui avec des stations de métro qu’on n’emprunte jamais, des quinquas décolorées avec des implants mammaires, des touristes paumés et des familles ultra-cathos. Bien qu’originaire de Nancy, il se comportait comme un vrai Parisien, dans le sens où venir chez moi, à 60 km de Paris, l’horripilait au plus haut point. Ce fut d’ailleurs l’un des motifs de notre rupture.
J’en ai appris plus sur sa vie. Juif d’Afrique du Nord, il avait de très mauvaises relations avec son père, ancien gynéco qui coulait des jours tranquilles dans le sud de la France avec une femme plus jeune.
Quand il se préparait chez lui, je l’ai vu s’asperger – littéralement – d’Egoïste, la fragrance de Chanel. Il vidait les flacons en quelques jours.
Dans la forme, il passait pour le gendre idéal et correspondait aux attentes de ma néo-personnalité : doux, gentil, ayant réussi dans la vie, père attentionné, un peu excentrique mais juste ce qu’il faut, pas désagréable à regarder, plus pressé de m’épouser que de me baiser. Un jour, j’ai eu un besoin urgent, pour un reportage, de pères prêts à témoigner à propos d’une histoire de réforme de congé parental. J’ai écrit à Patrick pour lui proposer de témoigner, en donnant mon 06. Dès lors, il a commencé à m’envoyer des textos. Par centaines.
Je n’ai pas compris pas comment quelqu’un qui dirigeait une boîte qui enregistrait, d’après les sites d’infos sur les entreprises – car je l’avais googlisé de fond en comble – une croissance de 400 % sur l’année passée, pouvait s’octroyer plus de sept heures quotidiennes à échanger des SMS avec quelqu’un qui aurait pu être un faux profil – apparemment nombreux sur Meetic. Il revenait parfois sur la proposition de voyage à Las Vegas. Il m’assurait ne pas blaguer, être quelqu’un de sérieux.
Ses messages étaient très romantiques, enflammés mais pas trop, c’était très bien dosé. Il se positionnait comme le héros d’un roman de Marc Lévy et pour mener à bien mon expérience, il fallait aller jusqu’au bout et le rencontrer. Bien sûr, nous ne sommes jamais allés à Las Vegas. Il est venu jusque dans mon bled, un soir, pour boire un verre. J’étais nerveuse, parce qu’il m’avait envoyé plusieurs photos, et il n’avait jamais la même tête dessus. Parfaitement conceptualisé dans Seinfeld, il était atteint du fameux two-face syndrom évoqué par George Costanza.
Quand je suis arrivée à sa hauteur, je crois que je me suis forcée à ne pas être déçue par sa petite taille et troublée par son parfum. Plus tard, quand j’ai passé des week-ends chez lui et qu’il se préparait, je l’ai vu s’asperger – littéralement – d’Egoïste, la fragrance de Chanel. Il vidait les flacons en quelques jours. Mais il avait du charme, un beau sourire, une voix très sexy et prenait le regard Harrison Ford pour me dire de belles choses, histoire que j’y croie.
Au bout de deux coupes de champagne, il m’a embrassée, je me suis laissée faire, et à partir de cet instant, j’ai été dans la merde. Nous devions nous revoir, et puis déjà mon intuition me disait d’arrêter le jeu Sophie Calle, de redevenir moi, et de le zapper, que quelque chose ne collait pas. Il essayait trop d’être le mec parfait, avait comme par hasard les mêmes goûts que moi, lui qui m’avait pourtant avoué « détester les tatouages » voulait se faire tatouer mon prénom. Il souhaitait déjà qu’on vive dans l’appart de 200 m2 qu’il rénovait en face de la tour Eiffel, alors qu’on avait bu trois verres ensemble. La semaine suivante, j’étais la femme de sa vie.
Patrick a d’abord une première fois pété les plombs via son mode d’expression préféré, le texto. J’étais une « tordue », une « cinglée bonne à foutre à l’HP », une « perdue qui ferait mieux de se suicider ».
J’ai appelé ma psy, qui suivait de près mes récents déboires conjugaux, pour lui raconter en détail cette rencontre avec Patrick. Elle m’a presque hurlé dessus, expliquant que quelqu’un comme moi, vulnérable après une séparation et foncièrement victime de dépendance affective, était la proie idéale pour un pervers narcissique de son genre. « Des hommes friqués qui draguent sur Meetic pour au final abuser de pauvres femmes qui croient au prince charmant, j’en ai plein dans mes patientes. Évitez-le à tout prix ! », m’a-t-elle scandé au cours d’un appel le matin où je devais revoir Patrick.
Elle avait tort sur le côté mec qui veut m’extorquer de l’argent, car je n’en ai pas, et à l’inverse il m’a fait mener la grande vie pendant à peu près trois semaines. En revanche, c’était clairement un pervers narcissique. Jusqu’ici je n’avais jamais cru en ce terme, galvaudé par la presse féminine et les nombreuses discussions entre meufs. Là, c’était autre chose.
Ce qui s’est passé ensuite se découpe en trois temps.
Patrick a d’abord une première fois pété les plombs via son mode d’expression préféré, le texto. Motif : j’avais refusé de le voir. J’étais une « tordue », une « cinglée bonne à foutre à l’HP », une « perdue qui ferait mieux de se suicider ». Lui ayant raconté les moindres recoins de ma biographie, les histoires de dépressions familiales, il s’en est servi pour m’attaquer. Le mec était passé en un quart de seconde du mec confiant, positif et gentil au sociopathe total.
Quelques jours plus tard, il m’a harcelé d’excuses et voulait m’avoir en ligne, pour « discuter calmement ». Au bout de deux heures de téléphone, il avait réussi à me refourguer son meilleur produit, lui-même. Il me proposait même de m’envoyer un « chauffeur » pour le rejoindre à Paris. J’ai préféré le RER, pas encline au trip Pretty Woman.
Après une nuit passée ensemble, on s’est revus régulièrement. Il m’a présenté ses enfants, je lui ai présenté mon fils. Il voulait tout le temps m’acheter des fringues, des chaussures à 600 euros, mais je ne me laissais pas faire, je refusais, jusqu’à ce qu’épuisée, je me laisse convaincre. La première fois qu’il a dévalisé une boutique pour moi, ça m’a filé une grosse crise d’angoisse. Puis on s’habitue aux bonnes choses. Ensuite, il nous a emmenés en week-end à Deauville avec les gosses. Palace, casino, nounou, restos gastronomiques. Il a dû claquer plus de 4 000 euros en deux jours, alors que c’est ce que je gagne en deux mois, si j’ai de la chance. De cette faiblesse financière il a fait sa force et son moyen de domination sur moi.
À un moment, je n’ai plus eu aucun recul. J’essayais juste d’analyser son monde étrange, très éloigné du mien : cette famille extrêmement aisée qui ne parlait que de sommes à six chiffres pendant les dîners dans les restaurants huppés du 7 e, où je devenais la cinquième roue du carrosse. Ou la soirée d’anniversaire d’un de ses petits neveux, dont la mère n’est autre qu’une célèbre artiste déclinante, qui ce soir-là, m’a parlé de ses échecs amoureux et de son désespoir.
Puis les 500 textos quotidiens ont subitement cessé. Parfois, il se passait même plusieurs jours sans nouvelles. Quand je lui ai fait la remarque, American Psycho est devenu aussi froid qu’un masque pour faire dégonfler les yeux. Je lui avais menti sur la marchandise, en affirmant que j’étais indépendante. Il fallait que je le laisse bosser, il devait faire « rentrer l’argent » car les rénovations de son prochain appart coûtaient « un bras ». « Il ne faisait pas ce qu’il voulait ». Mais dès que je me lassais et ne lui répondais plus, il revenait à la charge comme aux débuts.
Il est aussi passé du mec qui prétendument adorait mon style vestimentaire à vouloir me déguiser en femme de footballeur – ou en habitante du 7 e arrondissement. Pour lui, la femme idéale se devait d’avoir un balayage blond et s’habiller en total look Zadig & Voltaire. Lui qui m’avait fait le coup du mec qui a baroudé et n’hésitait jamais à me faire partager sa sagesse et autres mantras débiles, il était devenu déprimé, angoissé, fumait clopes sur clopes et vidait régulièrement le stock de capsules Nespresso du Carrefour Market de sa rue. Cependant, il continuait de s’admirer dans tous les miroirs qu’il croisait, mimant sans s’en rendre compte les expressions faciales de George Clooney et de me faire répéter que pour « 45 balais, il était super bien conservé ». Objectivement, pas vraiment. Son visage se creusait, et le soir on ne faisait plus l’amour, après seulement un mois de relation. J’ai compris qu’il avait un vrai problème : il avait trop flambé et n’avait plus de fric. Et pour lui, de sa capacité à gagner de l’argent dépendait toute son estime et son amour de soi.
Dans sa petite pyramide des besoins de Maslow à lui, chaque étage était marqué par le besoin d’argent et de reconnaissance. La femme-objet à son bras, c’était la dernière étape, un tout petit sommet. Et puis je pense que les sessions SMS quotidiennes ont dû lui faire perdre un temps de travail fou. Un matin, son banquier l’a appelé alors que nous étions encore au lit. « Monsieur, pourriez-vous créditer votre compte au plus vite, il est débiteur de 12 000 euros. »
Pendant plusieurs semaines, la moto de ses rêves a été, après moi, sa nouvelle obsession. Il ne me regardait plus, ne parlait que de sa moto. Le dimanche, on traînait dans des salons de moto.
Ce qui me choquait le plus, c’était son appartement – celui qu’il habitait, pas celui qu’il rénovait et qui serait bientôt entièrement peint du gris le plus triste de tous les pantones. Il n’y avait rien dedans. Les chambres étaient tristes à mourir ; ultra-rangées, on ne croisait aucun jouet, aucune vie ne s’en dégageait. Dans le salon-chambre de Patrick, il n’y avait qu’une table, trois chaises, un canapé-lit, quelques mauvais films empilés et une télé. Pas de connexion internet. C’était comme si ses enfants et lui squattaient un appart depuis trois ans.
Un jour – pour m’impressionner, je crois –, il a voulu s’acheter une vieille bécane de voyou. Pendant plusieurs semaines, la moto de ses rêves a été, après moi, sa nouvelle obsession. Il ne me regardait plus, ne parlait que de sa moto. Le dimanche, on traînait dans des salons de moto. Jusqu’à ce qu’il décide finalement de ne pas l’acheter. Il m’a à la place promis une voiture, un voyage à New-York, une soirée sur un bateau-mouche. Rien de tout ça ne s’est réalisé, alors qu’il était un « homme de parole ». J’étais coincée.
Mais, aussi étrange que cela puisse paraître, ma porte de sortie fut un club échangiste, juste après le nouvel An.
Il m’avait invité dans le restaurant chinois le plus cher de la capitale, et au moment du canard laqué, il m’a demandé si je rêvais de double-pénétration. La conversation a glissé sur le club échangiste Les Chandelles, que j’avais visité une fois, il y a longtemps. On a décidé d’y aller. Sauf qu’une fois sur place, Patrick la grande gueule s’est dégonflé, et s’est senti très mal à l’aise.
Le lendemain matin, il m’a traité de « traînée », m’a dit qu’il m’aurait larguée sur-le-champ si je m’étais tapé un mec aux Chandelles, et là c’est comme si la foudre avait frappé mon cerveau momentanément endormi par sa manipulation de chalala. Ce mec n’était pas du tout amoureux de moi. Il ne pouvait qu’être amoureux de lui. Et moi, j’étais victime du syndrome Marilyn Monroe. Une fille plutôt « cérébrale », tandis que les hommes ne voient en elle qu’un objet sexuel en manque d’affection et bonne à être dominée. Un soir, je suis rentrée chez moi et je ne l’ai jamais rappelé.
Il a recommencé à me bombarder de textos. Il est même venu chez moi à deux reprises, amaigri, les yeux rougis par sa consommation de clopes, à genoux, devant ma mère qui répétait des « Oh là là, il est ridicule ». Il l’était. Et vu que ça ne marchait pas, il s’est remis à m’insulter puis à me dire qu’il m’aimerait pour le reste de ses jours, alternativement.
Aujourd’hui, je continue à recevoir des SMS où il me demande d’habiter avec lui. Je serais bien infoutue de trouver une morale à cette histoire, à part peut-être celle d’éviter de traîner sur Meetic ou pire, dans le 7 e arrondissement.