On peut en apprendre beaucoup sur une personne en étudiant la relation qu’il entretient avec la merde. Salvador Dalí en était follement épris, parsemant certains de ses tableaux de matière fécale et allant même jusqu’à écrire « manger les excréments de son partenaire, c’est ce que j’appelle le vrai amour. » On dit de Rabelais qu’il a utilisé la merde comme métaphore pour parler du « droit instinctif de satisfaction primaire ». James Joyce était quant à lui très excité par les femmes qui laissaient échapper des pets pendant l’amour.
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Récemment, mes pensées ont beaucoup tourné autour de la merde. C’est sûrement parce qu’il y a quelques mois, j’ai été contraint de déféquer dans un pot en plastique avant de verser l’échantillon dans un récipient à selles. Ce n’était pas une expérience particulièrement agréable. Esthétiquement parlant, ça m’a fait penser à une hématite ou une sorte de maladie de la peau. Et encore, ce n’étaient pas les pires trucs auxquels j’ai pensés.
La raison pour laquelle je me suis retrouvé accroupi au-dessus d’un pot est la suivante : cela faisait deux ans et demi que j’avais des maux d’estomac. En plus de ça, j’avais du mal à me déplacer. Mon visage était livide ; le rouge qui le rendait si plein de vie avait été remplacé par une pâleur maladive et des grosses gouttes de sueur. Parfois, j’avais de violentes diarrhées – puis pendant quatre jours, plus rien.
À chaque fois que je suis allé consulter à cause de mes symptômes, on m’a diagnostiqué un syndrome de l’intestin irritable – une maladie assez répandue qui cause des crampes, des ballonnements, des diarrhées et des constipations. Je savais que ce que ma maladie était bien pire ; je savais que mon intestin n’était pas au milieu de l’échelle des problèmes gastriques (bienvenue dans la hiérarchie des dysfonctionnements intestinaux).
Quand le romancier Martin Amis est allé voir son dentiste, Mike Szabatura, et a appris que la « tache sombre au-dessus de son menton » était une protubérance cancéreuse, il a écrit : « Pendant des mois et des mois, j’ai senti qu’il se passait quelque chose de nouveau et d’étrange : pression, grouillement et occupation ». Comme lui, je sentais qu’il y avait une pression, un grouillement et une potentielle occupation dans mes intestins. J’avais un ballon dans mon anus qui se gonflait aux moments les plus inopportuns, m’obligeant à me précipiter vers la cuvette des chiottes – que ce soit pendant l’amour, en regardant la télé, ou au travail.
Un de mes amis, atteint de dépression, se plaignait souvent de sa routine qui consistait essentiellement à bouffer, aller aux toilettes et s’essuyer ; en boucle. Il m’a dit que la fatalité de ce cycle relevait de l’agonie. Je commençais à comprendre ce qu’il voulait dire.
James Joyce, amoureux des pets de femmes
Finalement, j’ai trouvé un docteur qui a bien voulu considérer la possibilité qu’il s’agisse d’une maladie de Crohn et m’envoyer au service de gastro-entérologie. Là-bas, on vous fait une injection et on vous rassure avant de vous violer de l’intérieur en insérant un tube flexible dans votre gorge ou votre rectum, au choix.
Avant d’être victime de cette procédure barbare, j’ai dû me priver de nourriture pendant 38 heures. En allant à l’hôpital, j’ai eu une brève hallucination. J’ai vu une bouillie de matières fécales se déverser depuis une roue de secours sur l’autoroute pendant que j’écoutais « Walk Away Renee » des Four Tops. Assis dans la salle d’attente, avec d’autres patients morts de faim, les employés de l’hôpital ont eu la bonne idée de mettre The Hairy Bikers’ Asian Adventure à la télé.
D’après Crohn’s & Colitis UK, une association caritative créée en 1979, la maladie de Crohn est une affection inflammatoire intestinale. La première fois que j’en ai entendu parler, c’était quand Sam Faiers de la série britannique The Only Way Is Essex participait à l’édition 2014 de Celebrity Big Brother. Elle avait l’air endormie, repliée sur elle-même, mal nourrie ; elle avait d’énormes cernes sous les yeux. Un médecin est venu l’ausculter sur place, avant de lui diagnostiquer la maladie de Crohn. Elle s’est exprimée dans le Daily Express, soulignant sa détermination à lutter contre une maladie qui semblait se résumer à une diarrhée sans fin : « Je ne laisserai pas Crohn prendre le dessus », a-t-elle affirmé. C’est grâce à elle que j’ai découvert cette maladie.
Dans un épisode des Soprano, « Funhouse », Tony n’arrive pas à différencier la dépression – une affliction de l’esprit – des symptômes physiques d’une intoxication alimentaire. J’ai passé beaucoup de temps à explorer cet espace entre la maladie mentale et la maladie physiologique. Mon tempérament est directement corrélé à l’intensité de mes maux d’estomac – à tel point que je me définis par le morceau de chair au bout de mon intestin grêle.
Je suis prisonnier de mon corps. Dans un mauvais jour, je me réveille à minuit, je vais exploser tel un geyser dans les toilettes, avant de m’essuyer et de répéter ces faits et gestes toute la nuit. Je perds du sang. J’ai froid. Néanmoins, abandonner le confort offert par mon lit douillet et descendre dans le froid qui règne dans ma salle de bains est le prix à payer pour ne pas me retrouver couvert de merde.
Dans la section « Information et Soutien » du site de Crohn’s & Colitis UK, on peut lire : « Avec ces deux maladies [Crohn et Colite], des parties du système digestif – dont les intestins – sont sujettes à l’irritation ou l’inflammation. Crohn peut affecter n’importe quelle partie du système digestif, de la bouche jusqu’à l’anus. »
Ma maladie de Crohn est celle qui touche l’iléon, la partie terminale de l’intestin grêle. C’est la forme la plus répandue, qui affecte aussi le colon et le gros intestin. Le fonctionnement normal des intestins est perturbé à cause du gonflement ou d’une cicatrisation du tissu biologique. En conséquence, le rétrécissement de la voie digestive se bloque. Un problème connu sous le nom de malabsorption – « une incapacité de l’appareil digestif à absorber les nutriments » – peut surgir, ce qui provoque une fatigue aggravée et une perte de poids. Des ulcères peuvent ainsi apparaître sur les parois de l’intestin. Je vis avec un régime de 30mg de Co-Codomol (mélange de codéine et de paracétamol) et 3mg de budésonide. Mais comme les stéroïdes que je prenais ne remplissent plus leur rôle et que la douleur persiste, les médecins m’ont prescrit des injections d’adalimumab – des anticorps qui aident à diminuer le gonflement et la douleur en s’attaquant à l’inflammation.
Chaque jour, je pense et planifie mes journées avec mes intestins plutôt qu’avec mon cerveau. Je dois penser à mon budget lingette – un pack dans mes toilettes, un autre au travail, un dans mon sac, un autre dans la voiture (de mes parents) – pour m’assurer que des hémorroïdes ne viennent pas s’ajouter à mon Crohn. Chaque jour, c’est la même chose, puis chaque semaine, puis chaque mois. En fait, mon pote avait bien résumé : c’est une agonie.