Société

Les « maisons de l’enfer » évangéliques, ce cauchemar éveillé

À notre gauche, des partisans de Trump énervés. À notre droite, des manifestants de Black Lives Matter enragés. Un démon sournois se faufile d’un côté à l’autre, en hurlant avec fierté : « Bienvenue dans mon monde, où toute personne différente de vous est une menace, où le mal grandit et où la haine est profonde ! »

Souriant derrière son sinistre maquillage gothique, le démon chuchote aux oreilles de chaque manifestant, sème des insultes racistes et renforce les clivages. Le combat verbal est ponctué par le bruit d’un tir au pistolet par un partisan de Trump dans la poitrine d’un activiste de BLM, qui s’effondre sur le sol, mort.

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« Vous ne pouvez échapper à ma haine ! rugit le démon. Maintenant, partez ! »

C’est à la suite de cette explosion assourdissante survenue dans la Hell House 27 : No Escape de la Trinity Church de Dallas, au Texas, que je me suis rappelé à quel point une maison de l’enfer évangélique pouvait être toxique. Le message général de tout ce cirque – et des innombrables autres maisons de ce type installées à l’approche d’Halloween – est que tous les maux qui sévissent dans notre société (la toxicomanie, la violence conjugale, le trafic sexuel, la violence armée) sont la preuve que nous sommes entourés de démons qui tentent de nous attirer vers le péché, la mort et la souffrance éternelle en enfer.

La scène de protestation en particulier semble dire que les divisions raciales ne sont pas causées par les préjugés systémiques, l’injustice économique et l’incarcération de masse – elles sont le résultat d’esprits frappeurs semant le trouble des deux côtés.

Les maisons de l’enfer font partie des nombreuses productions théâtrales dont se servent les chrétiens évangéliques pour renforcer leurs idées. Elles combinent le théâtre interactif et les tactiques d’intimidation des maisons hantées afin de persuader le public que les forces du bien et du mal se disputent les âmes.

« Faire peur aux gens pour les pousser à chercher le salut fait partie de la tradition chrétienne », déclare R. Marie Griffith, directrice du John C. Danforth Center on Religion & Politics. « Dante en parle dans l’ Enfer. Et les puritains avaient leur propre façon d’effrayer les chrétiens avec l’au-delà. Mais le médium immersif que sont les maisons de l’enfer représente une nouvelle façon de rendre les gens vertueux, et c’est terrifiant. »

Le concept des maisons de l’enfer a été popularisé par Jerry Falwell dans les années 1970, mais n’a décollé que dans les années 1990 et 2000, quand les églises évangéliques du pays en ont fait un élément essentiel de leur ministère. C’est en s’attaquant aux problèmes sociaux tels que l’avortement et le mariage homosexuel qu’elles ont transformé ces maisons en une source de controverses.

La maison de l’enfer de la Trinity Church est devenue l’une des plus célèbres quand elle a repris, en 1999, le thème de la fusillade du lycée de Columbine, dépeignant les tueurs comme des suppôts de Satan désireux de massacrer tous les étudiants chrétiens. L’église a par la suite fait l’objet d’un célèbre documentaire, Hell House , sorti en 2002.

Du point de vue d’un chrétien qui croit que le monde est gouverné par la guerre surnaturelle, ces maisons de l’enfer font office de service public, à l’instar des images d’accidents de voiture montrées aux adolescents pendant les cours de conduite.

« Quelque chose est là pour détruire nos enfants », met en garde le pasteur John Michael Barajas, qui préside la maison de l’enfer de la Trinity Church cette année. « Nous voulons attirer l’attention sur ce que l’ennemi essaie de faire à nos enfants : que vous croyiez en Dieu ou non, vous ne pouvez pas regarder le taux de suicide, le taux de meurtre, et continuer de nier que quelque chose en a après nos petits. »

Pendant les deux premières décennies de ma vie, j’ai été immergé dans cette vision du monde fondamentaliste chrétienne, et j’ai participé à plusieurs maisons de l’enfer dans le nord de l’Iowa rural, où j’ai grandi. Pendant ce temps, la peur des démons qui s’infiltrait dans mes pensées, essayant de m’attirer vers l’agonie éternelle en enfer, régissait mon comportement. Quand le moment est venu d’imposer cette vision du monde aux autres par le biais de mes performances dans la maison de l’enfer, j’ai été remarquablement doué.

Cette urgence absolue de mettre en garde les païens contre les démons qui les entourent, tout en émettant un avis sur des questions délicates, mène souvent à des représentations étriquées d’un monde compliqué. Selon Griffith, cette vision du monde simpliste permet de se faire une idée de l’agenda politique évangélique.

« Pour les évangéliques, déclare Griffith, chaque époque historique comporte son propre lot de questions brûlantes, mais la réponse à tous les problèmes du monde est toujours Jésus. »

J’ai pris part à la maison de l’enfer de Trinity avec une poignée d’anciens membres de l’église et quelques anciens évangéliques issus d’autres églises. Ryan Connell a autrefois été un acteur majeur de la Trinity Church et a pris part à de nombreuses maisons de l’enfer, bien qu’au moment où il m’a accompagné à l’église, il n’avait pas foulé le sol de la propriété depuis 13 ans. « C’est la première fois que je remets les pieds au Texas en tant que non-chrétien, m’explique-t-il. Je vois ça comme un voyage personnel. »

Aujourd’hui, Connell gère la page Facebook Former Fundamentalist, et écrit souvent sur les dangers de la violence religieuse.

Une femme jouant une lesbienne de 17 ans tourmentée par des démons dans la maison de l’enfer du Abundant Life Christian Center en octobre 2000. Photo : John Leyba/Denver Post, via Getty Images

Si vous regardez le documentaire Hell House, vous verrez le jeune Connell se comporter comme un prêtre dans l’église de Satan, se préparant à sacrifier une jeune fille au nom de Belzébuth. Il se souvient encore de ses répliques. « J’ai dupé cette fille, la rendant d’abord accro à Harry Potter, Magic : L’Assemblée, et Donjons et Dragons ! », récite-t-il d’une voix arrogante et sinistre, parsemée de rires maniaques. « La voilà maintenant dans mon couvent, avide de pouvoir, et je vais la sacrifier pour le Diable ! »

À cette époque, Connell croyait que le monde touchait à sa fin : tous les pécheurs étaient condamnés à la souffrance éternelle en enfer, et il deviendrait l’un d’entre eux s’il pensait au sexe. Connell m’a raconté qu’il avait une fois fait l’erreur d’avouer à un pasteur de la Trinity Church qu’il luttait contre l’envie de se masturber. Le pasteur lui a répondu, dégoûté : « Et dire que je vous ai laissé tourner autour de mes enfants. »

« Je ne peux plus assister à l’office d’une église sans faire de crise de panique », m’annonce Connell tandis que nous entrons sur les lieux.

Des partisans de la moisson des âmes se réunissent pour la prière devant la maison hantée HeavenNHell en octobre 2000. Photo : Al Schaben/Los Angeles Times, via Getty Images

Le campus Cedar Hill de l’université Northwood, à Dallas, compte plus de 10 000 membres, ce qui en fait un site immense. Il se compose de nombreux édifices religieux, d’un terrain de foot et des plus grandes tours électriques que j’ai jamais vues. La propriété est si vaste que nous devons prendre une navette depuis le parking jusqu’à la maison de l’enfer, qui est localisée dans un long réseau de tunnels reliant plusieurs baraques et bâtiments.

Alors que nous entrons dans la première des nombreuses salles obscures – celle-ci présente une série de courts-métrages étonnamment bien faits sur la violence domestique et le trafic sexuel – les souvenirs de ma jeunesse passée à être terrifié par les forces du mal prennent le contrôle de mes pensées.

Ces cauchemars sont destinés à être gravés dans la mémoire des clients des maisons de l’enfer. Des touches de culture pop sont répandues un peu partout, de sorte que vous établissez des liens entre la peur des démons et, par exemple, certaines chansons.

« Nous avions une scène rave dans les années 1990, déclare Barajas. Mais cela a moins de résonance pour les jeunes d’aujourd’hui qu’une fille qui met ses photos provocantes sur Tinder. »

Une fois les vidéos terminées, un duo de démons en colère sort de derrière un rideau noir, nous hurlant dessus tels des gardiens de prison : « Avancez ! » Après avoir traversé un couloir sombre, nous sommes conduits dans un salon, où une jeune fille nommée Jessica se plaint d’avoir été récemment abandonnée. Elle espère vivre une nouvelle histoire d’amour grâce à l’application Tinder.

Mais les choses basculent rapidement quand son rendez-vous arrive et qu’elle se retrouve prisonnière d’un réseau de trafic sexuel. Un démon, qui était tapi dans le fond pendant tout ce temps, orchestrant subtilement l’enlèvement, rigole sinistrement : « Tout ce que Jessica voulait, c’était une soirée amusante avec un mec sympa ! Maintenant, elle va s’amuser avec beaucoup de mecs, et pour un long moment ! »

Au cours de cette même scène, un démon pousse une mère à faire avorter sa fille. « Ce bébé va ruiner ta vie ! », ne cesse-t-elle de répéter. Tandis que le médecin procède à l’opération de la jeune fille, un démon explique ironiquement : « Cette femme croit honnêtement rendre service à sa fille, tout ça à cause des droits des femmes. “Mon corps, mon choix !” En réalité, il s’agit de mon choix ! Maintenant, donne-moi ce petit bout dans ton ventre ! »

Dans la scène suivante, une fillette est violée par son père, qui tue ensuite sa mère. Plus tard, cette même fillette est tourmentée par deux démons, qui la couvrent de honte. La seule solution, lui disent-ils, est de se suicider. Elle pleure, hurle, avant d’obéir et de se trancher les poignets à l’aide d’une lame de rasoir.

Ce scénario déchirant me rappelle une de mes amies proches qui, souffrant d’une dépression psychotique, a littéralement entendu des démons lui dire de se suicider. Tout comme cette actrice, elle a écouté les voix et a mis fin à sa vie. Si je croyais encore à la guerre surnaturelle comme le font ces gens, je penserais vraisemblablement qu’elle a été victime des suppôts de Satan plutôt que de la schizophrénie.

Ce sont des scènes violentes comme celle-ci qui rendent les maisons de l’enfer aussi percutantes sur le plan émotionnel. Même si le concept de guerre surnaturelle n’est pas universel, la violence conjugale, le racisme, la violence armée, l’avortement et les accidents de la route meurtriers sont très familiers à la plupart des gens. Ce sont les souffrances auxquelles nous tentons tous d’échapper.

Mais il n’y a pas d’échappatoire pour nous, du moins pas encore. Nous n’avons pas fini de voir jusqu’où les tentations de Satan nous mèneront inévitablement : tout droit en enfer.

Et naturellement, l’entrée en enfer se fait par le biais d’un cercueil. Il se referme sur nous et nous nous retrouvons dans un couloir noir. Un mélange désordonné de cris, de gémissements et de bruits de métal se fait entendre. Des lumières rouges clignotent et des démons surgissent des coins sombres.

Le fait de voir ces gamins, avec leur maquillage gothique et leur bouche ensanglantée, forcer la note en nous criant de « bouger ! » et de « sortir d’ici ! » me rend quelque peu nostalgique de mon enfance. Je me souviens du sentiment de pouvoir engendré par le fait de pouvoir se glisser dans un personnage démoniaque et faire régner la terreur. À l’époque, je brûlais d’impatience de traumatiser tous les païens en leur faisant croire que mon Dieu était le seul véritable Dieu.

On nous emmène ensuite dans une pièce excessivement éclairée où un jeune homme tout à fait sérieux nous explique qu’une seule personne peut nous aider à éviter les pièges du péché et de la torture éternelle dont nous avons témoigné jusqu’à présent. Son nom est Jésus.

Ce sont ces techniques de lavage de cerveau qui m’ont traumatisé quand j’étais petit. L’athéisme est le seul outil que j’ai trouvé pour vaincre la peur de l’enfer qui hante toujours mes rêves. C’est un thème commun que je remarque sur le groupe Facebook Former Fundamentalist de Ryan Connell – les personnes abusées sur le plan religieux s’entraident afin de déterminer ce qui est « réel ou non réel ».

Si la terreur produite dans les maisons de l’enfer est perçue par Connell et moi-même comme un élément traumatisant de notre jeunesse, elle reste, pour les pasteurs comme Barajas, un commandement de l’amour de la Bible.

« Dans l’êpitre de Jude, la Bible nous dit d’avoir pitié de ceux qui doutent, de sauver les autres en les arrachant au feu ; et de montrer, à d’autres encore, la miséricorde tempérée par la peur, déclare-t-il. Le but de la maison de l’enfer est de montrer qu’il y a un véritable enfer, et que la miséricorde de Jésus est la voie vers le paradis. »

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