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Man vs Horse, quand les sprinteurs se mesurent à des chevaux

En ce 11 octobre 1990 à l’Hippodrome de Saint-Cloud, neuf équipes de télévision se sont déplacées. Pas de Grand Prix ou de Critérium au programme ce jour-là, mais une opposition entre un homme et un animal. Le sprinteur Daniel Sangouma, l’homme le plus rapide de France à l’époque (après avoir battu le record de France en juin de la même année), se mesure en effet à la star des hippodromes, Jappeloup, monté par son fidèle cavalier Pierre Durand. Les trois sont médaillés olympiques depuis les JO de Séoul deux ans auparavant, l’un ayant fini troisième avec un relais 4×100 mètres, aussi champion d’Europe et recordman du monde de la distance, les deux autres ayant obtenu la médaille d’or au saut d’obstacles en individuel et la médaille de bronze par équipes.

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« Il y avait plus d’équipes de télés présentes que de chaînes de télé françaises à l’époque, se souvient Daniel Sangouma depuis sa Réunion natale. Des Anglais, des Japonais étaient venus. En termes de moyens techniques, c’était énorme pour l’époque. La course était passée en direct dans le JT de midi de France 2, c’était extrêmement rare de diffuser un événement en direct dans le journal. »

Le deal : un affrontement sur 80 mètres au meilleur des trois manches. A la base, c’est une simple idée née de la bonne entente entre les deux sportifs olympiques Sangouma et Durand qui se sont côtoyés à Séoul. « C’était juste un défi lancé à la cantonade, pour déconner, au début. Puis, à mon retour des championnats d’Europe, on s’est dit “Pourquoi pas ?”. On a mis deux-trois mois pour mettre cela en place. » Pas de gros chèque pour le vainqueur : « Nous ne sommes pas là pour faire de l’oseille mais nous ne sommes pas des philanthropes », indique à l’époque à L’Humanité l’organisateur François Pineda.

Le but, c’est de faire un petit coup de pub pour les deux sportifs. « C’était faire un spectacle, raconte Daniel Sangouma. On avait 800 invités, on voulait faire un spectacle qui sortait un peu de l’ordinaire. » Au final, c’est Jappeloup qui remportera assez nettement les deux manches, Sangouma ne tenant tête au cheval que sur les 20 premiers mètres : « Si j’avais voulu gagner, je n’aurais pas choisi de courir sur l’herbe », explique le sprinteur, un peu mauvais perdant.

Si le duel paraît déséquilibré sur le papier, il a été quelques fois remporté par le coureur dans l’histoire des courses entre homme et cheval. Jesse Owens, quand il ne passait pas son temps à éviter la paluche d’Hitler ou à remporter des titres olympiques, a participé à plusieurs courses contre des chevaux dans les années 1930 et 1940. Pas forcément par choix, plutôt par manque d’opportunités : « A l’époque, il n’y avait pas de télévision, pas de publicités, pas de gros sponsors. Pas pour un homme noir en tout cas. » La ségrégation le pousse alors à se mesurer à des chevaux de course.

Comme en 1936, quand, après la défection du meilleur sprinteur de Cuba Conrado Rodrigues qu’il devait affronter dans un événement unique, il doit se résoudre à rivaliser avec un pur-sang. Avec une avance de 40 yards (36 mètres) au départ, Owens remportera la course et la bagatelle de 2 000 dollars. Il réitérera ce genre de performance par la suite à travers tout les Etats-Unis, notamment en ouverture des matches de son équipe de baseball des Portland Rosebuds en 1946.

« Les gens disent que c’était dégradant pour un champion olympique de courir face à des chevaux. Mais qu’est-ce que j’étais censé faire ? J’avais quatre médailles d’or, mais on ne peut pas manger quatre médailles d’or. » Pour vivre, Owens court donc face à des chiens, des chevaux, des motos. Pour les chevaux, il a une technique infaillible qui lui assure presque à chaque fois de remporter les gains. Le sprinteur avait remarqué que les purs-sangs étaient particulièrement nerveux de nature. Si le starter donnait le départ près du cheval, celui-ci serait surpris par le coup de feu, laissant au coureur une bonne avance sur les premiers mètres. C’est comme cela qu’il a remporté la mise plus d’une fois.

Les courses d’hommes face à des chevaux tenaient donc plus du cirque, du spectacle, que d’une vraie volonté scientifique de déterminer si un être humain pouvait être plus rapide qu’un équidé. Parfois, c’est pour des objectifs encore plus improbables. En décembre 2012, Oscar Pistorius, trois mois avant le meurtre de sa compagne Reeva Steenkamp, bat un pur-sang arabe, Maserati, sur 200 mètres, en marge du Forum mondial du sport (Doha goals) à Doha au Qatar. Seulement, pas mal d’observateurs dénoncent une victoire douteuse de l’athlète paralympique sud-africain : avec ses 15 mètres d’avance et un cheval visiblement retenu par son cavalier, difficile de conclure à une réelle domination du coureur sur le pur-sang. L’objectif de l’événement n’est pas vraiment là de toute façon, mais il s’agit plutôt de “promouvoir le rôle et la place des handicapés dans la société”. Apparemment à Doha, la place des athlètes handicapés est celle de surhommes capables de courir plus vite que des chevaux de course.

Alors qu’évidemment, un cheval de course sera toujours plus rapide qu’un être humain. Si on prend les deux plus grands noms de chaque discipline, à savoir Secretariat pour la course hippique et Usain Bolt pour le sprint, la différence est flagrante : la vitesse maximale atteinte par Bolt (sur son record du monde du 100 mètres à Berlin en 2009) est de 44.64 km/h. Secretariat, lors de sa victoire record au Kentucky Derby en 1973, atteignait les 60 km/h de moyenne, et ce sur 2 kilomètres. Sur des distances plus longues, le cheval peut tenir une vitesse de pointe beaucoup plus longtemps qu’un être humain. Si l’homme voulait rivaliser avec l’équidé, c’est plutôt sur des distances de 20-30 mètres qu’il aurait une chance. Comme on peut le voir sur la course entre Sangouma et Jappeloup, les sprinteurs ont plus d’explosivité au départ que les purs-sangs.

Pourtant, tous les ans, des centaines de coureurs essaient de faire mentir cet état de fait qui veut que l’homme court moins vite que le cheval. Le Man vs Horse Marathon est organisé chaque année au mois de juin dans la ville galloise de Llanwrtyd Wells. Sur 35 kilomètres, des coureurs chevronnés se mesurent à des chevaux dans des sentiers un peu plus accidentés qu’un hippodrome. Résultat : par deux fois, les bipèdes sont allés plus vite que les quadripèdes. En 2004, Huw Lobb a terminé la 25e édition en 2 heures, 5 minutes et 19 secondes, soit deux minutes devant le premier cheval. Le coureur avait bénéficié d’une chaleur peu propice aux chevaux selon Runner’s World. En 2007, Florian Holzinger avait, lui, près de 11 minutes d’avance. Seulement, seules les quinze minutes de retard des cavaliers sont décomptées à l’arrivée et pas les arrêts aux stands vétérinaires.

« C’est une course équilibrée, avait tout de même confié l’Anglais Jeff Allen, quadruple vainqueur de la course, à Runner’s World. Les coureurs ont un avantage en descente et sur les parties boueuses, où ils peuvent choisir de meilleures trajectoires. On peut en revanche se rattraper dans les montées. »

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Comme quoi, sur le terrain de la course, l’homme peut parfois tenir la dragée haute à sa monture préférée depuis des millénaires. Et s’ils gagnent généralement ces duels de rapidité, il ne faut pas non plus que les chevaux se sentent supérieurs. Après les avoir affronté sur des pistes d’athlé, Jesse Owens avait par la suite à nouveau côtoyé des chevaux de course : le champion olympique a été propriétaire de plusieurs purs-sangs après sa retraite. Comme une façon pour le sprinteur de remettre ces équidés, qui l’ont parfois battu, à leur place de destrier.