Depuis quelques mois, les sondages se suivent et se ressemblent : Marine Le Pen serait au second tour de l'élection présidentielle. Si ces mêmes enquêtes annoncent pour l'instant systématiquement sa défaite finale, faisons-nous un peu froid dans le dos et imaginons que le 7 mai 2017, à 20 heures, ce soit le visage de Le Pen fille qui se dessine sur les écrans de nos télévisions. Que se passerait-il vraiment dans une telle situation ?
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Outre le départ quelque peu anecdotique de personnalités du monde de la culture et des médias – Jean-Marie Gustave Le Clézio, Enrico Macias, Laurent Ruquier et Anthony Delon en ont fait le serment –, la nouvelle occupante de l'Élysée pourrait chambouler l'Hexagone, et pas seulement en « restaurant une véritable éducation musicale généraliste dans les établissements scolaires » (mesure 112 de son programme). Modification de la Constitution, sortie possible de l'Union européenne, rétablissement d'une monnaie et de frontières nationales, limitation drastique de l'immigration : le programme de Marine Le Pen, s'il était scrupuleusement mis en place, aboutirait à de profonds revirements du point de vue de nos institutions, de l'Union européenne, des marchés financiers, de la monnaie, de l'emploi… On a donc voulu en savoir plus sur ce qui pourrait se produire après sa possible élection. Pour ce faire, on a demandé de l'aide à Nicolas Lebourg, historien et spécialiste du Front national.L'investiture d'un nouveau président a habituellement lieu une dizaine de jours après le second tour, et au plus tard le dernier jour du mandat du président sortant – fixé au 14 mai selon le calendrier électoral de 2017. Du 7 au 14 mai, Marine Le Pen n'est donc pas encore officiellement présidente. Durant cette période transitoire, elle pourrait assister, impuissante, à la débandade des marchés financiers et la fuite des capitaux.Dès le lundi 8 mai, les marchés financiers ont le temps de s'organiser. Mais revenons au B.a.-ba. On entend par « marché financier » un marché sur lequel des personnes, des sociétés privées et des institutions publiques peuvent négocier des titres financiers, des matières premières et d'autres actifs, à des prix qui reflètent l'offre et la demande – c'est la définition Wikipédia classique. Depuis que la France n'a plus le droit de financer la dette publique par des emprunts gratuits à la Banque de France (interdiction formulée clairement par le Traité de Maastricht), les marchés financiers en détiennent la totalité – sachant qu'une grande partie de la dette est détenue par des investisseurs étrangers. Marine Le Pen élue, on peut imaginer que ces investisseurs, effrayés par la perspective d'une sortie de la zone euro (voire de l'UE) et sans doute désireux de « faire payer » à la France son choix politique, s'empresseront de revendre les obligations françaises – ce que l'économiste Gaël Giraud redoute, arguant que la France ne pourra alors s'endetter qu'à un taux d'intérêt nettement supérieur. Pour contrer cela, Marine Le Pen propose d'autoriser à nouveau le financement direct du Trésor par la Banque de France (mesure 43), sans jamais évoquer les risques d'inflation que cela sous-entend.
Entre les résultats et l'investiture de Marine Le Pen, une semaine cruciale pour la France
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En une semaine, les investisseurs peuvent également décider de retirer leurs fonds placés en France : c'est ce qu'on appelle la fuite des capitaux – une fuite qui est à prendre avec des pincettes, tant la France demeure une place forte de la finance mondiale. Le départ des investisseurs vers l'Allemagne, le Royaume-Uni, les États-Unis, la Chine ou le Japon serait lourd de conséquences. En plus de créer une possible crise de liquidités pour les banques françaises, le phénomène créerait des créances considérables dans les pays d'accueil, bousculant l'ordre économique mondial. Face à ce possible bouleversement, Marine Le Pen semble pour le moment exclure un contrôle des capitaux, comme l'a précisé Bernard Monot, « stratégiste économique du parti », qui préfère miser sur « la communication, l'échange » entre pays européens et, si la sortie de l'euro était validée par référendum, sur la mise en place d'une double monnaie, l'une pour les Français au quotidien, l'une pour les États et les entreprises.Les banques, sur le qui-vive depuis la faillite de Lehman Brothers et la grave crise qui a suivi, organisent désormais des stress-tests pour déterminer leur capacité à faire face à des chocs très défavorables. Aujourd'hui, ces mêmes banques organisent en toute confidentialité d'autres tests du même genre pour estimer leurs pertes en cas de victoire du FN. Ce qui prouve deux choses : les banques craignent réellement l'arrivée de Le Pen au pouvoir ; elles se préparent activement à cette éventualité pour survivre.
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Entre l'investiture et les élections législatives : le gouvernement provisoire
Marine Le Pen peut-elle avoir la majorité ?
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Dans ces conditions, difficile de nier que le FN connaîtra une augmentation fulgurante du nombre de ses députés. En 2012, 61 candidats frontistes à la députation s'étaient maintenus au second tour. Deux seulement avaient été élus : Marion Maréchal-Le Pen dans le Vaucluse, et Gilbert Collard dans le Gard. Avec un système d'alliances efficace avec les partis de droite, combiné au climat victorieux de la présidentielle, le Front national peut logiquement envisager une augmentation considérable de son nombre de députés. Si certains cadres du parti se veulent « raisonnables » – comme Nicolas Bay, secrétaire général du FN, qui tablait, en décembre 2016, sur 30 à 40 députés frontistes en 2017 – Marine Le Pen, elle, est confiante. « Depuis un certain nombre d'années, on a accueilli pas mal de gens qui viennent d'horizons divers. Nous allons avoir beaucoup d'autres personnes qui vont nous rejoindre, avant le premier tour, dans l'entre-deux-tours, après le second tour », confiait-elle récemment au Monde. Son succès à la présidentielle et la volonté d'une partie de la droite de toujours peser sur la politique nationale – permettant des alliances locales entre FN et Républicains – seront-ils suffisants ?Majoritaire (absolue ou relative) à l'Assemblée nationale, Marine Le Pen pourrait modeler un gouvernement à son image, bien qu'elle ait précisé que son Premier ministre « ne sera pas forcément issu du FN ». Si L'Obs, dans son « scénario noir de victoire du FN », imagine un Dupont-Aignan à la tête du gouvernement, d'autres se figurent un Florian Philippot ou… un Henri Guaino. Mais, si on en croit ses récentes déclarations, l'ex-conseiller de Nicolas Sarkozy semble assez réticent : selon lui, le clivage FN - En Marche !, qui pourrait succéder à celui du Parti socialiste - Les Républicains, serait un « nouveau clivage [qui] s'imposerait sous sa forme la plus radicale, ou si l'on veut, la plus caricaturale » sans qu'il n'y ait « plus de place dans ce débat-là pour la moindre nuance, pour la moindre pensée qui prennent en compte la complexité du monde et de la condition humaine ». À défaut de la jolie prise Guaino, Marine Le Pen pourrait aussi envisager de se rabattre sur un Laurent Wauquiez, dont la proximité avec le FN n'est plus à démontrer.
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Et si Marine Le Pen n'a pas la majorité ?
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Chantier prioritaire n° 1 : la modification de la Constitution
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Chantier prioritaire n° 2 : la sortie de l'Union européenne
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Du côté des sondages, tout est flou. S'ils étaient 53 % à souhaiter un référendum sur le maintien ou non de la France dans l'UE en mars 2016 (avant le Brexit), les Français étaient, deux mois après, 45 % à vouloir s'y maintenir et 33 % à vouloir en sortir. Ce qui fait dire à Nicolas Lebourg : « Après le Brexit, une enquête d'opinion a montré que ce dernier avait plutôt eu pour effet de renforcer le scepticisme vis-à-vis d'un Frexit. L'idée que l'appartenance du pays à l'UE est "plutôt une bonne chose" a bondi à 67 %. »Mais si les Français décidaient de partir ? Un référendum qui validerait la sortie de la France de l'UE aurait tôt fait d'inquiéter (encore plus) les marchés financiers.En cas de « Frexit » – et donc de fin de l'euro dans notre pays – les solutions seraient peu nombreuses. Marine Le Pen pourrait envisager un coup de poker politique en lançant la procédure de sortie de l'UE le week-end, alors que les marchés financiers sont fermés. Sinon, elle pourrait envisager de réquisitionner la Banque de France et décider, par la suite, de recréer la monnaie nationale qu'elle appelle de ses vœux afin de rembourser la dette en francs – ce qui n'est pas sans risques, comme Les Échos l'ont récemment rappelé.Marine Le Pen prévoit dans son programme des mesures fortes à destination des classes populaires : abaissement des charges sociales des TPE-PME (mesure 46), fixation de l'âge légal de la retraite à 60 ans (mesure 52), retrait de la loi El Khomri (mesure 53), rehaussement du plafond du quotient familial (mesure 54), revalorisation du minimum vieillesse (mesure 58), baisse des tarifs de gaz et d'électricité de 5 % (mesure 60), baisse de 10 % de l'impôt sur le revenu sur les trois premières tranches (mesure 75)… Toutes ces mesures, qui s'inscrivent dans sa volonté de construire un « nouveau modèle patriote », seraient financées par des économies réalisées, entre autres, sur le coût de l'immigration. C'est le principe posé par la mesure 43, qui veut « remettre de l'ordre dans nos finances publiques par la fin des mauvaises dépenses publiques (notamment celles liées à l'immigration et à l'Union européenne) et par la lutte contre la fraude sociale et fiscale ». Concrètement, et selon la mesure 71, les économies réalisées se feraient, par exemple, par la suppression de l'Aide médicale d'État, réservée aux sans-papiers – qui ne devrait pas rapporter tant que ça. On notera par ailleurs que la fraude sociale – estimée à 700 millions d'euros par an – est citée AVANT la fraude fiscale – qui, elle, constituerait un manque à gagner de 60 à 80 milliards d'euros pour les finances publiques. En outre, pas un mot sur l'optimisation fiscale, qui concernerait un grand nombre de multinationales. De la même façon, on peut noter l'absence – qui en dit long – des occurrences « actionnaire » ou « dividende » dans un programme pourtant riche de 144 mesures. L'ennemi de Marine Le Pen, ce n'est pas la finance.Selon le programme frontiste, la possibilité d'un État social serait donc faisable sans augmentation de l'imposition, le tout reposant « simplement » sur la limitation de l'immigration et la sortie possible de l'UE. L'immigration légale serait réduite à un solde annuel de 10 000 personnes (mesure 26) – en lien avec la fin du regroupement familial et de l'acquisition automatique de la nationalité française par mariage. Le droit du sol serait supprimé, ainsi que la double nationalité extra-européenne (mesure 27). Le FN évite ici de s'atteler à un chiffrage précis des économies réalisées, sans doute parce que le parti semble avoir du mal à se mettre d'accord. Comme le fait remarquer Nicolas Lebourg, « Marine Le Pen a estimé, en 2012, que l'immigration coûtait 40 milliards d'euros, puis 70 milliards en 2014, puis 100 milliards en 2015. Alors que son secrétaire général, Nicolas Bay, situait ce coût entre 25 et 60 milliards à l'université d'été du parti, en 2016. »
Et concrètement, pour les Français, il se passe quoi avec le FN au pouvoir ?
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