Martin Thibault, le grand explorateur des bières

Martin Thibault, le grand explorateur des bières

Lors d’un voyage en Lituanie, en 2012, Martin Thibault est renversé par la qualité de la bière qu’il goûte. En pleine campagne, dans le nord-est du pays, il découvre une culture brassicole presque disparue. Les fermiers font pousser leurs céréales, font leur propre maltage et utilisent des levures récoltées dans les champs par leurs grands-parents pour la fermentation. Une méthode qui date de l’ère présoviétique.

Celui qu’on surnomme « le Coureur des boires » rapporte une bouteille du précieux brassin pour la faire analyser par un centre de séquençage de l’Université McGill. Lorsqu’il reçoit les résultats, il est stupéfait d’apprendre que ces levures saccharomyces n’existent pas dans la banque de données mondiale, la Genbank. Il vient de découvrir un trésor.

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« J’en revenais pas, dit-il. Si je peux trouver des levures inconnues au beau milieu de l’Europe de l’Est, je n’ose pas imaginer le patrimoine qui se cache dans les lieux les plus reculés de la planète. »

Martin Thibault se met alors à sillonner la planète pour dénicher les bières les plus inusitées. Depuis, il a notamment voyagé en Bolivie, au Pérou, en Estonie, en Norvège, au Japon et au Bhoutan. Il en rapporte des recettes, qu’il partage avec certaines des meilleures microbrasseries de la province, et des histoires, qu’il raconte dans des conférences, sur son site internet, dans des articles ou dans des livres, comme Le Goût de la bière fermière, publié aujourd’hui aux Éditions Druide.

Ironiquement, le Coureur des boires n’est pas brasseur. Il n’a même jamais fait sa propre bière. Le jour, il est plutôt professeur d’anglais au Collège Ahuntsic. « Je vois un lien direct entre mon travail et mes voyages, m’explique-t-il entre deux gorgées de Cerná Hora, une lager d’inspiration tchèque brassée par L’amère à boire à Montréal. Dans les deux cas, c’est de la pédagogie. Ce que j’aime, c’est inspirer le monde. Ce qui me fait triper, c’est le partage de savoir. »

Si depuis quelques mois les levures norvégiennes kveik ont la cote chez les amateurs de bières de la province, c’est parce que Martin Thibault les a « redécouvertes » lors d’un voyage en 2014. Malgré sa grande humilité, il admet qu’il a contribué à faire découvrir cette levure qui n’existait pas au niveau commercial il y a cinq ans.

« Les fermiers de la région de Voss avaient un trésor caché qu’ils m’ont donné pour le faire connaître au monde. Je n’ai rien inventé. Je n’ai fait que rapporter une bouteille pour la faire analyser en laboratoire. Aujourd’hui, il y a une folie avec ces levures, notamment parce qu’elles sont très performantes. Elles peuvent fermenter en 48 heures. »

De retour au pays, l’amateur de bières exotiques a tenté de répliquer le breuvage norvégien avec l’aide de la brasserie Tête d’allumette de Kamouraska, qui travaille sur feu de bois, exactement comme les fermiers rencontrés dans le pays nordique. Ils ont créé L’Oeil du mouton, premier brassin de type Vossaøl en Amérique du Nord (une nouvelle édition sera d’ailleurs lancée au courant des prochaines semaines). Depuis, les microbrasseries Boréale, Épitaphe et L’appât du grain ont aussi domestiqué les levures kveik.

Martin Thibault partage aussi son savoir avec la brasserie Oshlag, avec qui il développe des produits uniques et inédits, dont une bière d’origine bolivienne, la Chicha Quechua. « C’est l’ancien propriétaire, Julien Niquet, qui m’a contacté en premier pour que je fasse des bières inspirées de mes voyages, dit-il. Il a fait venir du maïs blanc à gros grains jora qu’il a malté lui-même. Il était prêt à tout faire pour rendre justice au produit bolivien. »

Tout… ou presque. Les buveurs occidentaux aiment leurs bières pétillantes, ce qui n’est pas nécessairement le cas du reste de la planète. « Si on propose une bière flat, les gens la rapportent au magasin », remarque Martin Thibault.

Le grand explorateur doit aussi mettre un peu d’eau dans son vin quand vient le temps de commercialiser ses recettes dénichées à l’autre bout du monde. « C’est à peu près impossible de reproduire une bière fermière à un niveau industriel. On n’a pas les mêmes équipements et on a beaucoup trop de normes de salubrité. Mais on arrive tout de même à des résultats très satisfaisants. »

Avec ses recherches, Martin Thibault réussit à éviter que des traditions brassicoles disparaissent. C’est notamment le cas d’une bière à base de pain de seigle, produite par le peuple Seto, qui vit sur un territoire déchiré par la frontière entre la Russie et l’Estonie. Leur culture risque de s’éteindre alors qu’ils ne sont que quelques milliers aujourd’hui. Toujours avec l’aide de la brasserie Oshlag, le Coureur des boires a développé une bière s’inspirant de leur savoir-faire, la Seto Õlu.

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« J’essaie de faire ma part en partageant leurs recettes et leur histoire… Mais je ne me fais pas d’illusion, je sais que les gens boivent plus qu’ils lisent. Mais, comme avec mes étudiants au cégep, je me dis que, si je peux sensibiliser deux ou trois personnes, j’ai gagné mon pari. »

Simon Coutu est sur Twitter .