Cannibal Corpse, toujours dans le cou(p)
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Cannibal Corpse, toujours dans le cou(p)

Nous sommes allés passer un moment avec George « Corpsegrinder » Fisher, l'imposant chanteur des vétérans death metal, pour parler polémiques, politique et broyage de cervicales.

Le premier truc que fait Corpsegrinder – George Fisher de son vrai nom – après qu'on se soit assis et qu'on ait commandé à boire, c'est de sortir son téléphone et de me montrer des photos de ses enfants. L'imposant chanteur de Cannibal Corpse, au cou aussi épais que celui d'un buffle, n'est pas encore un pro d'Instagram, mais il en sait suffisamment pour abreuver ses fans d'un flots constant d'images de tournée, de memes sur le metal et de photos de sa famille à Disney World. Il me montre ses dernières publications, qu'il commente frénétiquement. « Là c'est moi et Doyle, des Misfits », m'explique le chanteur de 48 ans, en affichant une photo de lui, souriant à côté du punk tout en muscles. « C'est le meilleur, je l'aime de toutes mes forces. Ça, c'est le jour où on est partis se mettre à l'abri pendant l'ouragan Irma. Ça, c'est chez moi. Et là c'est moi et mes filles dans l'abri. C'est les meilleures. »

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Fisher est connu pour son sens de l'humour et son amour revendiqué pour les activités de geeks, du genre jeux de rôles online - je n'ai donc pas été très surprise d'avoir devant moi un type qui avait plus à voir avec un « papa déconneur » qu'avec un « provocateur de l'extrême ». Ses deux jeunes gamines représentent clairement le centre de son univers – surtout l'aînée, précoce et fan de mangas, qui a récemment fait savoir à son légendaire géniteur : « Papa, quand je serais grande, je serai beaucoup plus célèbre que toi ! »

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Malgré son boulot carnassier et son pseudo morbide [Corpsegrinder signifie « broyeur de cadavres »], Fisher est un mec simple, honnête et heureux. Les choses qu'il aime dans la vie sont, dans l'ordre : sa famille, les films d'horreur, le death metal, la musique country, Disney World, les jeux vidéos (surtout, de notoriété publique, World Of Warcraft), et le bourbon. Il n'a pas besoin de plus.

L'excellent nouvel album de Cannibal Corpse, Red Before Black (leur 14ème!) est sorti il y a une dizaine de jours sur Metal Blade. Fisher, aujourd'hui membre le plus emblématique et iconique du groupe, n'a rejoint le groupe qu'en 1995, remplaçant le chanteur Chris Barnes (parti former Six Feet Under) juste à temps pour enregistrer l'album Vile, paru en 96. Le départ de Barnes amorça un changement aussi subtil que déterminant dans l'esthétique brutale et explicite du groupe, ainsi que dans les thèmes des paroles, qui jusque-là avaient été d'une violence misogyne extrême (et qui avaient valu à plusieurs de leurs albums d'être interdits en Allemagne, en Russie et en Australie). C'était l'époque de « Fucked With A Knife » [« Baisée Avec Un Couteau »], « Entrails Ripped from a Virgin's Cunt » [« Entrailles Arrachées De La Chatte D'Une Vierge »] et « She Was Asking For It » [« Elle L'a Bien Cherché »]. L'arrivée de Fisher marqua le début d'un nouveau genre de gore – toujours inspiré des films d'horreur, toujours gratuit, mais nettement moins genré. Il continue à chanter beaucoup de ces anciens morceaux sur scène mais, aujourd'hui, comme il me l'a expliqué, ils « tue[nt] tout le monde, sans discrimination. »

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Il semble également sincèrement perturbé par le fait que le public persiste à les considérer, lui et son groupe, comme des « tarés ». S'il a pu être nécessaire, à une époque, que Cannibal Corpse soient perçus comme des brutes assoiffées de sang, le père de famille, né à Baltimore et installé en Floride, ne voit simplement plus d'intérêt à cultiver une image « choquante » aujourd'hui. Il répond avec une application presque maladroite lorsque j'insiste sur certains aspects controversés de la carrière de Cannibal Corpse (par exemple lorsque je lui demande ce qu'il pense de chanter « Stripped, Raped and Strangled » [« Déshabillée, violée et étranglée »] tous les soirs sur scène). Il insiste sur le fait qu'il ne s'intéresse pas à la politique, mais se lance spontanément sur le sujet, sans que je ne le lui demande - même s'il se montre au final nettement plus à l'aise pour parler du problème que représente la musique dans le tour bus du groupe (c'est un gros fan de country old-school, les autres, pas trop) ou de raconter leur concert au festival Gathering of the Juggalos en 2014. Et on a la nette impression que ses fans apprécient son approche.

Noisey : Pourquoi est-ce que c'est si important pour toi de rester si positif sur Instagram ?
George « Corpsegrinder » Fisher : Je ne vais pas sur Instagram pour bitcher sur la politique. De nos jours, il faut être soit pour Trump, soit contre Trump, pour Hillary ou contre Hillary. Je trouve ça ridicule. Je peux aimer les tacos mais pas la pizza, et peut-être que j'aime la pizza quand même, mais seulement avec du pepperoni. Mais non, on dirait qu'il faut impérativement choisir un camp bien défini. Et puis tout le monde est toujours négatif en politique. La plupart des gens aiment à croire que dans Cannibal Corpse, nous sommes négatifs aussi, mais ce n'est pas le cas – on est juste cinq mecs qui kiffent les films d'horreur et qui font de la musique. On ne parle pas de politique dans nos morceaux. On a nos propres opinions, on a très probablement tous nos propres idées religieuses aussi, mais on ne laisse pas ces trucs s'immiscer dans le groupe. Ce n'est pas le sujet. Si tu veux qu'on en parle d'un point de vue individuel, ok, pas de soucis, mais je ne suis pas vraiment calé sur le sujet. Je ne réfléchis pas beaucoup à tout ça.

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Il y a des années, on a eu des problèmes. Beaucoup de gens nous boycottaient. Et je comprends que les gens puissent penser qu'on est insensibles au viol à causes de certaines paroles - mais, crois-moi, on ne l'est pas. Il y a des scènes de viol dans nos morceaux de la même manière qu'il peut y en avoir dans les films d'horreur – c'est malheureusement une réalité, c'est horrible mais ça arrive. Et on ne cautionne évidemment rien de tout ça.

La plupart de ces trucs datent de l'époque Barnes, non ?
Ça vient de l'époque Barnes, oui. Mais je suis prêt à le défendre, parce qu'il ne faisait pas l'apologie du viol. On n'a jamais essayé de promouvoir quoi que ce soit de criminel. On n'a pas inventé le meurtre, le viol, la mort ou la torture - on n'a pas inventé les zombies. Tu vois ce que je veux dire ? On a un paquet de morceaux qui parlent de ça aussi. Donc je n'essaie pas de m'excuser pour les trucs que j'ai écrit, ou pour les trucs que Chris a écrit – il peut défendre ses propres textes – mais j'ai vu ces textes, et ils ne me posent pas de problèmes. Je n'arrêterai pas de les chanter juste parce que ça peut donner l'impression qu'on manque de sensibilité. On est un groupe de metal. Le metal a dérangé beaucoup de monde, pour beaucoup de raisons, qu'elles soient politiques ou sociales.

Est-ce que ça te préoccupe que tes filles puissent tomber sur ces chansons ?
Elles connaissent le groupe. Elles ne connaissent pas tous les titres de nos chansons, mais si elles disent à un adulte : « Mon père joue dans Cannibal Corpse ! », on leur répondra probablement : « Vraiment ? C'est mortel ! », tu vois ce que je veux dire ? Oui, on a quelques chansons très gore, mais on espère que les gens voient au-delà de tout ça. On veut que les gens s'intéressent avant tout à la musique. On a un nom agressif, on fait de la musique très agressive. On vit une époque où les gens prennent les choses parfois un peu trop à coeur.

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Est-ce que tu penses que les gens gardent toujours en tête l'image du Cannibal Corpse des années 1990 ? Vous étiez l'incarnation du mal, à l'époque !
Oui, et c'est probablement la raison pour laquelle on nous parle souvent de tout ça. Mais c'est ok, ça me va. On a le cuir épais, on continuera à défendre ce qu'on fait. Certaines personnes pensent qu'on fait ces pochettes d'albums pour provoquer la controverse, mais ce n'est pas le cas. Sur celle d'un de nos précédents albums, il y a juste écrit « KILL » – il y a pas de bébés morts pendus, pas de scène de torture, pas de sexe nécrophile, rien de tout ça. Il y a juste écrit « KILL ».

Vous n'avez plus vraiment besoin de choquer qui que ce soit. Vous êtes Cannibal Corpse.
Les gens pourront toujours prendre un simple détail, hors contexte, et l'utiliser contre toi. En parlant de torture et de viol, on a un morceau qui s'appelle « Orgasm Through Torture », dans lequel une femme arrache la bite d'un mec avec les dents. Ça marche dans les deux sens. Mais on s'est un peu éloignés de tous ces trucs-là, on fait plus de trucs de zombies maintenant…

J'ai lu beaucoup de paroles issues de vos derniers disques, et elles ne sont plus aussi genrées qu'aux débuts du groupe. Est-ce que ça a été une décision consciente après le départ de Barnes ?
Ouais, on ne fait plus trop la distinction homme/femme, je ne sais même pas si c'est vraiment volontaire, tu sais, c'est juste plus facile. Mais, tu sais, notre batteur à une fille, il est marié. Alex [Webster] est marié. Rob [Barrett] est marié. J'ai deux filles. Je suis marié et personne n'a intérêt à emmerder mes enfants. Je respecte ma femme. Je comprends que des gens soient outrés par tel ou tel titre, telles ou telles paroles, mais il ne faut pas tout prendre au premier degré. Tout ça vient juste de films d'horreur débiles.

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Après, qui sait ce que je ferais si un truc pareil arrivait à mes filles ? Si l'une de mes filles allait à la fac et se faisait violer, j'aurais juste envie de trouver le coupable et de le faire payer. Ce serait sanglant, pour de vrai. Ce ne serait plus juste des histoires, de l'imaginaire. Et est-ce qu'ensuite j'aurais toujours envie de jouer nos morceaux en live ? Je ne sais pas. Comme je te l'ai dit, je peux comprendre que des gens réagissent à nos paroles, à notre musique. Et je suis toujours prêt à écouter leur opinion. Je veux dire, on a un président qui se soucie plus de l'hymne national que de savoir comment il va faire pour reconstruire Porto Rico et sauver des vies. Il y a des choses plus importantes que les textes d'un groupe de rock. Surtout quand elles sont ouvertement outrancières, comme les nôtres. Tu as vu le deuxième Evil Dead ? C'est un film hilarant ! Qui peut prendre ça au sérieux ?

Personne, c'est clair.
Le premier Evil Dead, quand je l'ai vu pour la première fois, j'étais mortifié. Pétrifié. J'avais peur. Je l'ai vu chez un pote, avec un pote qui vivait exactement en face de chez moi, de l'autre côté de la rue, une seule voie, en banlieue, et je me suis retrouvé à traverser la rue en regardant tout autour de moi pour voir si l'esprit des morts n'était pas entrain de me foncer dessus.

Photo - Taji Ameen

C'était quoi, ton premier film d'horreur ?
Les premiers, c'étaient ceux que mon père aimait, les vieux films des années 50 en noir et blanc. Dracula. J'aime les films de monstres par-dessus tout ; je pense que je les préfère aux films gore qui sont arrivés ensuite. Aujourd'hui, c'est vrai que je regarde beaucoup de science-fiction, et il y a des films qui sont tellement… Mon Dieu ! Tellement ridicules ! Après, il y a des films d'horreur très sérieux, très réfléchis…

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Mais tu préfères quand ça déconne un peu.
Si tu allais voir des gens dans la rue et que tu leurs donnais une feuille avec les paroles de n'importe quel morceau de notre nouvel album, la plupart des gens rigoleraient. Certains diraient : « Putain, c'est Cannibal Corpse ! », et d'autres qui seraient mortifiés, genre : « Qui a écrit ça ? Qui est ce malade mental ? » Tu ne te sens pas un peu prisonnier de ton rôle de gros mec vénère et flippant ?
Ça m'emmerde ! Je n'ai pas envie que les gens croient que je suis un taré, que les gens avec qui je joue sont des tarés. On est juste cinq mecs dans un groupe, qui font des tournées, qui vivent leur rêve, qui jouent du metal. On pourrait chanter des trucs politiques, mais on se retrouverait mêlés à beaucoup plus de bastons et de prises de têtes qu'on ne l'est aujourd'hui. On pourrait être un groupe sataniste maléfique ou un groupe super religieux. Mais les metalheads s'en branlent, ils acceptent tout le monde.

Est-ce que tu as l'impression qu'on pousse les artistes a être plus ouvertement politiques aujourd'hui, à cause du chaos dans lequel se trouve le monde ?
Non. Moi, en tout cas, je garde mes opinions pour moi. Je veux dire, si la plupart des gens avaient quelque connaissance du sujet, ils me diraient plutôt de fermer ma gueule. Je n'ai jamais voté de ma vie. Je ne me suis jamais inscrit sur les listes électorales, et je n'ai pas prévu de le faire. Tu sais quoi ? Je paie mes impôts. Je me crève à la tâche et je donne mon fric pour des choses avec lesquelles je suis en désaccord. À des gens qui partent en voyage se la couler douce, au gouvernement qui le dépense là où ça lui chante. O.K., alors on va me dire « Tu peux changer ça en allant voter. » Non, parce que je ne représente qu'un seul vote. Et si je ne suis pas d'accord avec tout ce qu'ils font ? Légalement, je suis obligé de payer des impôts, je dois le faire, alors je le fais. Voilà ma contribution à la vie politique. En dehors de ça, laissez nous tranquille, moi et ma famille, on ne fait de mal à personne. C'est aussi si simple que ça. Je n'ai pas besoin d'y participer.

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J'ai mon avis sur certaines choses que j'ai vues, et si jamais un candidat me motivait vraiment, peut-être que j'irais m'inscrire sur les listes et que j'irais voter. Là, aujourd'hui, non. Je veux juste aller jouer de la musique et rentrer chez moi retrouver mes filles et ma femme. Je ne veux pas resté planté là, faire le piquet de grève, parce qu'on n'est pas traités décemment, et que le mec en face de moi me dise « Si, vous l'êtes ». Tu as toujours les conservateurs d'un côté, la gauche de l'autre, et les gens au milieu, qui essaient juste de se frayer un passage et ils ne peuvent pas, parce qu'ils y a des gens qui les en empêchent.

C'est là-dessus que se retrouvent un bon nombre de fans de Cannibal Corpse, à mon avis. On dirait que beaucoup de gens ressentent la même chose que toi, genre « Je veux juste écouter des disques. Laissez-moi tranquille, c'est déjà assez dur comme ça. »
J'ai des amis, et j'ai des conversations avec eux, tu vois ce que je veux dire ? Peut-être que mes opinions ne plairont pas à certaines personnes. Bien sûr que j'ai mon avis sur ce qu'il se passe dans le monde, mais pour la majeure partie des sujets, je ne vais pas me poser en activiste. Je considère que certaines personnes ont tort, et je considère qu'il y a des personnes auxquelles on a fait du tort. Il y a des gens qu'on a mis en colère – tiens, rien qu'à notre niveau, les fans de metal ! [Quand j'étais jeune], les gens changeaient de trottoir quand ils me voyaient. C'est moins pire aujourd'hui, le metal est mieux accepté par la société. Même si dans certains coins, les gens nous lancent de sales regards, nous regardent de travers.

Le fait divers des West Memphis Three ne remonte pas à si longtemps.
Exactement. Enfin bref, j'ai mes opinions. Et j'ai été très inflexible sur ces opinions, j'ai eu de vraies longues discussions avec des amis et des groupes qui voient les choses différemment. Mais c'est ça la différence – la discussion. En politique, tout le monde gueule sur tout le monde. Rien ne change jamais, et je m'en fous.

Honnêtement, Cannibal Corpse n'est pas le groupe vers lequel je vais me tourner si je cherche un commentaire approfondi sur la situation socio-culturelle actuelle.
Et j'imagine que c'est ce qui fait un bonne part de notre popularité ! Tu ne risques pas de m'entendre prêcher pour Hillary ou contre Trump, ou pour Trump et contre Hillary, parce qu'on s'en fout. On espère que tout le monde passe un bon moment, que tout le monde vienne et reparte du concert en sécurité, et revienne la fois d'après. Si les gens peuvent s'échapper grâce à nous, c'est super. Et je n'irais pas te dire, n'écoutez pas de groupes politiques, comme Napalm Death - parce qu'ils sont géniaux et que c'est une très bonne chose que des gens comme eux existent. C'est ce qu'il ont dans le cœur, et il ont raison de faire ça. Ce qu'on devrait tous se dire, c'est : « Ce n'est pas parce que tu te positionnes comme-ci et moi comme-ça, qu'on ne peut pas s'entendre et se rapprocher. » Ne laissez pas la politique et la religion vous diviser. Je ne veux pas faire dans le conspirationnisme, mais je vais te dire un truc qui peut sonner conspirationniste, je pense que que les gens au-dessus de nous savent très bien qu'ils doivent…

Diviser pour mieux régner.
Exactement. Tous ensemble, on est plus forts. Ça vaut pour la musique, ça vaut pour les races, les genres, les religions. Si on est tous ensemble, même si on est différents, même si on n'est pas toujours d'accord, on peut tirer les choses vers le haut. On devrait tous êtres capable de s'unir et de rendre la vie meilleure ici-bas. Kim Kelly est sur Twitter.