L'histoire du général américain qui s'est bourré la gueule à Paris avant d'être viré par Obama
Stanley McChrystal s'exprime devant des troupes afghanes et de la FIAS. Photo : Mark O’Donald, pour la FIAS, via Flickr 

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Culture

L'histoire du général américain qui s'est bourré la gueule à Paris avant d'être viré par Obama

Stanley McChrystal est une légende de l'armée américaine. Problème : il n'a jamais su la fermer. Un livre publié en France revient sur ses écarts de conduite, et ceux de ses proches.

Chantre de la contre-insurrection, partisan de l'envoi massif de troupes sur le sol afghan, il avait tout pour devenir le sauveur d'un conflit devenu bourbier, d'une guerre éclair transformée en une succession de drames quotidiens, se déroulant dans l'indifférence d'Occidentaux pourtant présents sur place. Malheureusement, Stanley McChrystal restera dans les bouquins d'histoire comme le général quatre étoiles viré par Barack Obama après avoir trop ouvert sa gueule – du moins, après avoir laissé ses proches l'ouvrir un peu trop, et critiquer vertement les plus hauts membres de l'administration américaine, notamment Joe Biden, vice-président à l'époque.

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Stanley McChrystal est nommé à la tête des forces de l'OTAN et des troupes américaines en Afghanistan le 15 juin 2009, alors que le pays connaît des troubles réguliers depuis 2006 et le retour en force des talibans. Il ne restera qu'un peu plus d'un an en place, contraint à la démission par Barack Obama après qu'un article de Rolling Stone a mis l'accent sur les moqueries et réserves du clan McChrystal à l'encontre des plus hautes têtes de l'État.

Ayant eu un immense retentissement à l'époque, cette démission aura eu pour mérite de braquer les projecteurs sur Michael Hastings, journaliste à l'origine de l'article, qui a suivi pendant plusieurs semaines le clan McChrystal, de sa tournée en Europe pour défendre l'intervention de l'OTAN à ses déplacements dans une Afghanistan chaotique. De cette proximité, couplée à de multiples recherches, sortira le livre The Operators en 2012, récit unique de militaires prestigieux occupés à défendre une guerre déjà perdue, digresser sur la couardise des politiques, et enchaîner rendez-vous officiels et beuveries traditionnelles.

Aujourd'hui, grâce à la publication aux Éditions du sous-sol de Machine de guerre, la traduction de The Operators – adapté par Netflix il y a quelques mois sous le titre de War Machine –, nous suivons Stanley McChrystal et ses hommes lors d'une escapade alcoolisée dans Paris, en avril 2010. Nous retrouvons Dave, un Navy SEAL, Khosh, aide de camp d'origine afghane, Casey, aide de camp américain, Mike Flynn, numéro deux du général, Charlie Flynn, frère de Mike et officier adjoint, Jake, colonel à la retraite et ami de McChrystal, et enfin Duncan, conseiller en communication du général. Toute cette petite troupe, bloquée en Europe à cause de l'éruption du volcan l'Eyjafjöll, traîne dans la capitale française et décide de fêter comme il se doit le trente-troisième anniversaire de mariage du général. L'occasion pour Michael Hastings – qui décédera en 2013 dans un accident de voiture – d'échanger avec une équipe soudée, inconsciente de la gravité de certaines de ses déclarations.

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COMPLÈTEMENT BOURRÉS

Paris, le 16 avril 2010

Un homme, que j'appellerai C., était assis dos au mur du Duke's Bar, un lieu tranquille à la lumière tamisée et aux murs recouverts de boiseries, au rez-de-chaussée de l'hôtel Westminster. Les plus jeunes membres de l'équipe – Dave, Khosh et Casey – se pressaient autour de lui dans un box.

C. était un membre du SAS, l'unité de commando d'élite britannique, et si je donnais son nom, je risquerais de mettre sa vie en danger. Il était en permission, de retour d'Afghanistan, et il avait pris le train depuis Londres pour passer du temps à Paris avec l'équipe de McChrystal. C., la petite trentaine, était un vétéran des guerres en Irak et en Afghanistan. Il reprenait l'avion pour Kaboul le lundi.

C., m'avait-on prévenu, était un enculé, complètement cinglé. Il aimait circuler dans les environs de Kaboul dans sa Toyota Land Cruiser. Il avait alors avec lui un pistolet calibre 9 mm dans le compartiment de la portière côté conducteur, un MP5 sur le siège conducteur, un lance-roquettes antichar sur le siège arrière, et une mitrailleuse sur pivot dans le coffre.

C. racontait une histoire. Un de ses soldats afghans avait été victime d'un échange de coups de feu au cours duquel il avait été méchamment brûlé. Il avait alors eu besoin de soins médicaux. C. avait donc conduit le soldat – qui, quand il n'était pas dans les vapes, criait – jusqu'à une base où travaillaient des médecins italiens. Les Italiens avaient refusé d'avoir affaire à ce patient – il était afghan, il leur fallait d'abord avoir une sorte d'autorisation pour pouvoir s'occuper de lui, et il s'avérait qu'il faudrait des heures pour obtenir cette autorisation. C. leur avait dit d'aller se faire foutre et avait essayé un autre centre de soins, tenu par des médecins militaires français. « Ces putains de bouffeurs de grenouilles nous ont dit la même chose », a raconté C.

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C. avait commencé à en avoir marre. Son soldat afghan était sur le point de mourir. Il était parti vers une autre base de l'OTAN. Les gardes avaient appelé un médecin. C. avait parlé au téléphone avec ce médecin, c'était une femme qui paraissait plutôt sympa, a-t-il précisé.

Cinq minutes plus tard, un Américain s'était pointé. « Où est le médecin? », lui avait demandé C. « Je suis le médecin, avait répondu cet homme. En quoi puis-je vous être utile ? » Il avait une voix vraiment haut perchée.

« Le gars était une sacrée folle, a dit C. Je vous jure que je m'attendais à voir une femme. » Le médecin américain s'était occupé du soldat et lui avait sauvé la vie. « Cet Américain était un type vraiment bien », s'est souvenu C.

L'équipe de McChrystal est revenue sur le drame de la nuit précédente. Au cours du dîner de McChrystal avec un ministre français, Khosh, l'aide de camp afghan, avait été snobé. L'attaché militaire américain à Paris, un colonel, s'était aperçu qu'il n'avait pas de place réservée à la table à laquelle arrivaient McChrystal et son entourage pour dîner avec le ministre. Plutôt que d'en référer à McChrystal ou à son état-major, l'attaché américain avait écarté Khosh et lui avait dit qu'il s'installerait à table à sa place. Il avait fait attendre Khosh dehors pendant tout le dîner.

L'équipe était révoltée.

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« Putain, il était en poste où, avant, cet attaché ? Hawaï, puis maintenant Paris ? Je veux dire, c'est quoi ce bordel ?

— Ce n'est pas grave, a dit Khosh, diplomate.

— Si, c'est grave, a rétorqué Dave. » Ce qui s'est passé était injuste. C'était le signe que ces gars, à Paris, ne comprenaient rien – ils étaient complètement déconnectés de la guerre. L'idée d'avoir Khosh présent au dîner était de montrer que les Afghans se battaient eux aussi, qu'ils n'étaient pas que des sacs à merde, des connards qui devaient être éduqués par les Américains et les Européens. Les Afghans faisaient partie de l'équipe. La présence de Khosh devait « servir à faire bonne impression aux yeux du gouvernement français », pour reprendre les propos de Dave, montrant combien il était important que les gens qui vivent dans le pays dans lequel vous faites la guerre se battent pour nous. Usurper la place qui revenait à Khosh au cours du dîner avait réduit à néant le message que l'équipe voulait faire passer.

Ils avaient très envie d'en parler à McChrystal. Il remettrait l'attaché à sa place.

« Ce type va passer à la moulinette. Je suis impatient de voir ce qui va lui arriver à l'aéroport. Sa putain de carrière est finie », a dit Dave. Casey était d'accord.

C. me regardait avec insistance. Il avait des yeux gris, le regard intense, comme affamé, celui d'un coyote à la poursuite d'un chiot. Il avait entendu dire que je faisais un reportage sur McChrystal.

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Spontanément, sans que je lui demande quoi que ce soit, il a décidé de me donner son avis sur le général. Le général, a-t-il dit, était une légende vivante au sein de la communauté des Opérations spéciales, un géant bien au-dessus de ces petits merdeux de fonctionnaires que sont ceux qui d'habitude arborent quatre étoiles sur leurs passants d'épaule. McChrystal avait ce que C. considérait comme le plus important atout pour un chef : du respect pour les hommes comme lui.

« Les gars adorent Stan McChrystal. Tu pourrais être sur le terrain, là-bas, au beau milieu de Nulle Part en Irak, et tout à coup tu verrais quelqu'un mettre un genou à terre à côté de toi. Le caporal gueulerait alors: "Putain, c'est qui ce mec ?" Et ce serait Stan McChrystal, putain ! »

McChrystal et les autres hauts gradés sont entrés dans le bar. C'était le trente-troisième anniversaire de mariage de McChrystal. Ce qui avait d'abord été prévu comme un dîner intime pour McChrystal et sa femme se transformait en un événement qui incluait une partie des membres les plus anciens de son état-major. Les plus jeunes dîneraient séparément dans un autre restaurant. Ils m'ont invité à me joindre à eux.

Nous sommes partis de l'hôtel et avons longé plusieurs pâtés de maisons. Nous nous sommes arrêtés devant un restaurant hors de prix, pour touristes, et sommes montés au deuxième étage. Nous avons mangé. On nous a servi du vin. Je n'ai pas bu.

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Au milieu du dîner, Dave s'est tourné vers moi.

« Mike, tu devrais vraiment venir avec nous à Berlin, mec », m'a-t-il dit. Berlin était la prochaine étape sur la liste des pays de l'OTAN.

« Merde, j'aimerais bien, mais je ne peux pas. Je dois rentrer à DC. Je suis censé interviewer Holbrooke.

— Putain, tu peux l'interviewer n'importe quand, c'est vraiment pas compliqué. Il adore qu'on parle de lui. Allez. Viens à Berlin. » Dave a interrogé Duncan du regard. « Duncan ? »

Duncan a souri.

« Ça commence sérieusement à ressembler à Presque célèbre, ai-je dit. Je vais me faire enlever. »

Le film, réalisé par Cameron Crowe, était librement adapté de son expérience de reporter pour Rolling Stone. Sa seule contrainte avait été d'écrire un papier sur un groupe de rock. Au départ, l'histoire devait se dérouler sur une journée, au lieu de quoi il a suivi le groupe en tournée. (« Des rock stars ont enlevé mon fils ! », s'exclame la mère dans le film.) Crowe avait sympathisé avec les membres du groupe, puis avait écrit une histoire qui dévoilait pas mal de choses. (« Notre pire ennemi? Un auteur rock », dit l'un des membres du groupe dans le film.) Ce qu'il avait écrit avait énervé le groupe, et ils avaient récusé tout ce qui y était décrit (du genre « Je suis un dieu en or »). À la fin du film, on voit le lead guitariste du groupe avoir une révélation. Il comprend qu'il a mal agi et se pointe devant la porte du reporter pour lui présenter des excuses, décidé à ce que, pour finir, la vérité prévale. Puis le générique défile. Ce film m'avait plu, mais ma propre expérience en tant que reporter m'a amené à comprendre que tout ne se terminait pas forcément bien quand vous écriviez sur les gens en racontant la vérité brute.

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« On partira à ta recherche et on te tuera si on n'aime pas ce que tu écris » – Jake, à Michael Hastings

« Tu dois vraiment venir avec nous, mec », a insisté Dave.

Je ne voulais pas rester avec eux. Mon rédacteur en chef, Eric Bates, m'avait mis en garde en évoquant le risque d'être piégé par une certaine forme d'intimité avec l'objet de mon reportage. Une fois qu'ils m'auraient permis d'accéder librement à toutes les infos, je leur serais complètement redevable et perdrais mon objectivité. J'avais répondu à Eric par e-mail : si je commence à souffrir du syndrome de Stockholm, je suis sûr que nous pourrons vite m'en guérir. Mais je sentais déjà un tiraillement. Je commençais à bien les aimer et ils avaient l'air de bien m'aimer. Ils étaient sympas. Ils affichaient une attitude désinvolte, je-m'en-foutiste. J'étais déjà pris dans la bulle – une enceinte imaginaire qui surgit tout autour du saint des saints des institutions les plus puissantes afin de tenir la réalité à distance. J'avais déjà vu cette bulle à la Maison-Blanche lors de la campagne électorale, à l'intérieur des ambassades, et tout en haut de la hiérarchie dans certaines entreprises. Cette bulle engendre un effet de distorsion de la réalité sur ceux qui sont à l'intérieur ; un effet pervers, puisqu'il leur permet de croire que leur vision de la réalité est la bonne. (« Les reporters de l'establishment savent, sans aucun doute, des tas de choses que je ne sais pas », fit remarquer un jour le célèbre journaliste indépendant I. F. Stone. « Mais beaucoup de ce qu'ils savent n'est pas vrai. ») Cette bulle compense la falsification de la réalité en donnant à ceux qui y sont enfermés le sentiment privilégié d'être proches du pouvoir. Cette bulle est terriblement séduisante, l'expression ultime d'une intimité, le sentiment de voir les choses de l'intérieur, d'en faire partie. Si je succombais à la logique de cette bulle, je pourrais perdre l'envie d'écrire d'un œil critique.

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Après le dîner, toute la bande s'est rendue au pub Kitty O'Shea, tout près de l'hôtel. Le Kitty O'Shea ressemblait à un bar à touristes, ce n'était pas exactement l'endroit le plus branché de Paris.

Ils se sont mis à picoler sec.

Aux alentours de 22 h 30, je suis sorti et ai retrouvé Duncan qui était dehors. Il mettait fin à une conversation téléphonique. Les McChrystal, les Flynn et les autres étaient en chemin pour nous rejoindre. Ils en avaient fini avec le dîner d'anniversaire.

Passé minuit, ils étaient tous complètement bourrés.

Sauf moi.

« Pourquoi est-ce que tu ne bois pas ? », m'a demandé Jake. C'était la troisième fois qu'il me posait la question. À chaque fois, il avait essayé de me mettre un verre de bière sous le nez pendant que j'étais en train de parler avec lui ou McChrystal.

« Je n'ai pas bu depuis presque dix ans, lui ai-je répondu. La dernière fois que ça m'est arrivé, j'ai fini en taule, avec rien d'autre que mon caleçon, une veste de blazer et une paire de Nike aux pieds, avec une ordonnance restrictive contre moi. Je suis resté là-bas environ quatre jours. Mon père a dit : "Une bonne frousse vaut plus qu'un bon avertissement." J'ai donc arrêté de boire.

— Merde. Et c'est ça qui t'a arrêté ?, a fait Jake. Pour nous, c'est comme ça que tout a commencé. »

Jake, McChrystal et moi avons éclaté de rire. C'était un moment un peu bizarre. Je leur en avais trop dit.

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Casey a brisé le silence. Il a pris McChrystal à part et a commencé à s'excuser, d'une voix pâteuse, d'avoir merdé avec les fiches qu'il avait imprimées – il était désolé de ne pas les avoir imprimées dans le bon corps.

On envahissait plus de la moitié du bar. Les gars se sont mis en cercle, bras dessus bras dessous, pour porter des toasts. Ils ont trinqué à l'Afghanistan. Ils ont porté un toast à leur santé. Ils ont porté un toast à Big Stan. Au magazine Rolling Stone, et ils ont commencé à chanter.

Flynn et son frère Charlie ont entonné, chantant à pleins poumons, The Cover of the Rolling Stone, la célèbre chanson interprétée par Dr Hook and the Medicine Show. « On the coooover of the Rolling Stone ! »

En l'honneur de Khosh, ils ont entamé une danse matrimoniale afghane. Les Flynn et C. y sont allés de leur ascendance irlandaise. Le bar s'est fait silencieux tandis que C. chantait une ballade. Je n'en comprenais pas tout mais la mélodie résonnait tristement. Amour perdu, fantômes, famine.

« ERRRRRyyyyyEEEEOOOOOHHH… », braillait C.

Les Flynn ont improvisé. Les mots étaient inintelligibles, mais le refrain était clair : « Afghanistan ! Afghanistan ! »

« Tu comprends, l'Afghanistan, ils s'en foutent… » – Stanley McChrystal, au sujet de ses hommes

J'étais debout, à l'écart.

Dave s'est approché de moi. « Tu ne vas pas nous baiser, n'est-ce pas? »

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J'ai répondu ce que je réponds toujours. « Je vais écrire une histoire ; certaines des choses que je vais raconter vont vous plaire, d'autres probablement pas. »

Jake, lui aussi, est venu vers moi. « On partira à ta recherche et on te tuera si on n'aime pas ce que tu écris. C. partira à ta recherche et te tuera. »

J'ai regardé Jake. Il souffrait de ce dont j'avais entendu parler et que les militaires appelaient le syndrome du colonel à la retraite. Un certain complexe d'infériorité et de l'amertume pour ne pas avoir été promu au grade de général.

« Bon, des menaces de mort comme celle-là, j'en reçois à peu près une par an, ça ne m'inquiète pas. »

Je n'étais pas tant perturbé que ça par cette déclaration. À chaque fois que j'étais en reportage avec des mecs dont le boulot était de tuer des gens, l'un d'entre eux évoquait toujours, à un moment ou un autre, la possibilité de me tuer. Je suis de nouveau sorti fumer. Duncan m'a accompagné.

« Comment ça va, mon vieux?

— Plutôt bien ; c'est plutôt sympa. Tiens, d'ailleurs Jake vient juste de me menacer de mort. »

Duncan a eu l'air défait: « Quoi ?

— Non, ne t'inquiète pas, mec. J'ai pris ça à la rigolade, ce n'est pas la première fois.

— Il n'aurait pas dû dire ça, a insisté Duncan. Ce n'est pas une façon de traiter avec la presse.

— Tu m'avais prévenu ; tu m'avais dit que c'était un connard. »

Il était évident que Duncan était très énervé par ce qui venait de se passer.

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Quand nous sommes rentrés dans le bar, ils continuaient tous à porter des toasts. McChrystal se tenait à l'extérieur du cercle.

« Vous avez là une sacrée équipe, lui ai-je dit. Ils sont impressionnants.

— Tu comprends, l'Afghanistan, ils s'en foutent… », a-t-il dit.

J'attendais la suite. L'Afghanistan, ils s'en foutent ? Je ne pensais pas que c'était ce qu'il avait voulu dire, pas exactement, même si c'était vrai. Peu leur importait que ce soit l'Irak, Fidji ou le Canada. Le pays importait peu. C'est la mission qui comptait.

« Non. Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire, en fait. Ils ne s'en foutent pas. Mais ce qui importe vraiment à chacun, c'est l'autre. C'est ça dont il s'agit. Tous ces hommes, ensemble. Je donnerais ma vie pour eux, et ils donneraient la leur pour moi. »

Cartonner, j’étais là pour ça

Jake est arrivé vers nous en titubant.

« Cet homme est dangereux, a-t-il dit en me montrant du doigt. Fais attention à ce que tu lui racontes. »

McChrystal a pris note de cet avertissement. Notre conversation s'est arrêtée là.

Nous avons quitté le bar à 2 heures du matin. Casey s'est occupé de l'addition – à peu près trois cents euros de whisky et de bière, a-t-il dit. Mike Flynn est sorti en chantant ce qui ressemblait à Suspicious Minds d'Elvis Presley. McChrystal a trébuché sur le bord du trottoir, manquant de peu de se retrouver le nez au sol. Le patron du bar nous a couru après en nous demandant de ne pas faire de bruit afin de ne pas réveiller le voisinage. La patrouille à pied, bourrée, a descendu la rue jusqu'à l'hôtel.

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Jake a monté les marches en chancelant, son verre de bière toujours à la main. Charlie s'est écroulé sur une chaise dans le hall d'entrée, vérifiant les messages sur son BlackBerry.

« C'est une chose à ne pas faire, quand on a trop bu, lui ai-je dit.

— C. redescend, a-t-il expliqué.

— Vous allez ressortir ? » Il a hoché la tête en guise de réponse.

Casey m'a attrapé par le bras et m'a pris à l'écart.

« Mike, m'a-t-il dit. Tu dois me comprendre. Je ferais n'importe quoi pour le général McChrystal. On ferait tous n'importe quoi pour lui. Tu as de la chance d'être là. C'est un privilège. »

J'ai acquiescé.

« Tu te souviens de la fin du film Il faut sauver le soldat Ryan ? Tu te souviens de ce que Tom Hanks dit à Matt Damon ?

— Ouais.

— Ce que Tom Hanks dit au soldat Ryan. Il lui a sauvé la vie. Et il dit "Mérite-le" ». Casey fait une pause. « Ton histoire. Mérite-la. »

Je suis reparti en direction de mon hôtel. Avant de m'endormir, j'ai tapé sur mon ordinateur tout ce qui s'était passé pendant la soirée, dans le moindre détail.

L'équipe s'est réveillée à 7 heures. McChrystal est prétendument allé courir ses dix kilomètres. L'état-major est monté à la tour Eiffel. Les généraux s'inquiétaient, croyant que les touristes dans l'ascenseur pouvaient sentir sur eux l'odeur de la bière.


« Machine de guerre » de Michael Hastings est disponible aux Éditions du sous-sol.

Romain est sur Twitter.