La vie de l'ultra-trailer et vigneron François d'Haene ne ressemble pas à la vôtre
François d'Haene, Advanced Week, Moab, USA, 2013. Photos : Droz Photo

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Portrait

La vie de l'ultra-trailer et vigneron François d'Haene ne ressemble pas à la vôtre

L'athlète français, qui a surclassé la star de la discipline Kilian Jornet à plusieurs reprises cette saison, partage son temps entre sa carrière sportive et son vignoble du Beaujolais.

Happy Isles, Sierra Nevada, ce 17 octobre. Dans l’obscurité, une silhouette d’1 mètre 92 coiffée d’une lampe frontale s’approche à pas réguliers. Après 2 jours, 19 heures et 26 minutes, 359 kilomètres parcourus et un dénivelé positif de 14 630 mètres à faire halluciner un randonneur moyen, François d’Haene vient de réussir son nouveau défi avec une avance confortable de 11 heures sur le précédent record du John Muir Trail, établi en 2014 par l'Américain Leor Pantilat.

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Ce parcours de grande randonnée, que l’on arpente d’habitude en trois semaines, relie le Mont Whitney à la vallée de Yosemite à travers les sentiers californiens. Un challenge d’envergure : « C’est vrai que c’est un gros chantier : l’isolement, l’altitude, les températures, l’organisation… C’est aussi un effort assez particulier, relève le nouveau recordman de la course. On se lance pas dessus comme ça, du jour au lendemain. C’est une longue préparation : se dire que je vais passer trois jours dans la montagne, que je vais faire trois nuits blanches. » Le coach de François d'Haene, Christophe Malardé, souligne l’importance de la préparation mentale : « Des courses comme ça demandent forcément du physique, mais ça demande surtout de la fraîcheur, de l’envie. »

Des distances démentielles, en pleine nature, sur des terrains escarpés et avec un dénivelé confortable : l’ultra-trail séduit et voit chaque année son niveau compétitif se densifier un peu plus. Au point d’accueillir des athlètes de très haut niveau, aux capacités d’effort et de récupération considérables : « Le but, c’était vraiment d’aller au bout de cette aventure. J’avais pas du tout mal aux muscles le lendemain, par rapport à l’UTMB [Ulta-trail du Mont-Blanc, ndlr]. J’avais les tendons plus douloureux, de petites douleurs, les jambes qui gonflaient peut-être un peu plus, mais globalement non, ça allait plutôt bien, j’étais agréablement surpris », explique le nouveau patron de la discipline, qui a enchaîné – en moins de deux mois – l’Ultra Trail du Mont-Blanc, épreuve reine, les vendanges dans son exploitation du Rhône et le défi fou du John Muir Trail.

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Kilian Jornet rend hommage à François d'Haene à l'arrivée de l'Ultra-trail du Mont-Blanc.

Le 2 septembre 2017, c’est en vainqueur que François d'Haene entre dans les rues de Chamonix, franchissant seul la ligne d’arrivée d’un 15e UTMB particulièrement relevé : « C’était amusant de voir une vraie compétition sur ultra-trail. Ce qui était marquant, par rapport aux autres années, c’est que là on était sept personnes en 1h30. Ça ne s’était jamais vu : il y a souvent plus d’une heure entre les deux premiers. Et d’avoir sept gars qui se sont donnés à fond, c’était quand même fabuleux. » Une victoire singulière, devant l’autre prodige de l’ultra-trail, le Catalan Kilian Jornet, triple vainqueur de l’épreuve qui brille aussi en ski-alpinisme. François d’Haene, qui égale les trois succès de Jornet au palmarès de l’épreuve, a la victoire modeste : « C’est vrai que c’est une belle consécration. Après, devant Kilian ou devant un autre… Ce qui comptait surtout pour moi, c’était de faire une course qui soit assez pleine. Devant Kilian, c’est très bien, j’en suis ravi, mais j’aurais fini juste derrière, j’aurais été ravi aussi. »

C’est pas à pas que l’ancien kiné, formé sur les pistes d'athlé du 3000 steeple, a franchi les étapes d’une discipline qui se développe elle aussi à rythme régulier : teams professionnelles, circuit compétitif mondial (l’Ultra Trail World Tour), retransmissions télévisées des épreuves phares… Depuis sa première victoire, en 2006, au Tour des Glaciers de la Vanoise (72 km), D’Haene suit une progression régulière, que souligne Christophe Malardé : « C’est une histoire qu’il écrit depuis dix ans quasiment. Il y a dix ans, il avait mal aux jambes comme tout le monde quand il faisait 60 kilomètres. Et puis il a grandi tranquillement, il a passé les étapes une par une, avec des réussites, des doutes, avec des petites blessures, avec des remises en cause. »

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François d'Haene, lors du parcours UTMB début septembre 2017

Au point d’afficher un palmarès impressionnant : trois victoires à l’UTMB, trois autres au Grand Raid de la Réunion – 167 kilomètres de long et 9917 mètres de dénivelé positif –, le record du GR 20 corse en 31h06, deux premières places à l’Ultra Trail World Tour… « C’est un athlète hors normes, poursuit Christophe Malardé. C’est quelqu’un qui sait faire face à beaucoup de situations : ça lui permet d’être à l’aise dans l’univers du trail. Adaptabilité, rusticité, simplicité dans sa pratique : il fait les choses de manière instinctive et naturelle. »

Lorsqu’il ne passe pas ses journées à courir pendant six ou sept heures, labeur quotidien des périodes de pré-compétition, François d’Haene gère avec sa femme Carline l’exploitation viticole de Saint-Julien, dans le Beaujolais, qu’ils ont reprise en 2012. Sur les quatre hectares et demi qui composent le Domaine du Germain, on cultive du gamay, un cépage noir à jus blanc qui donne « un vin convivial, gouleyant, assez fruité, assez rond : le vin du partage, de la sociabilité », selon le maître des lieux. Boire ou courir, faut-il choisir ? « Ça ne m’a jamais trop posé problème, s’amuse l’ultra-trailer. On est sur des distances qui sont quand même plutôt longues, des dépenses énergétiques très élevées. Quand on court sept ou huit heures dans la journée, boire deux verres de vin derrière, ça va pas changer grand-chose. »

Téo Cazenaves est sur Twitter.

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