Voici les promesses tenues et brisées par le gouvernement Trudeau
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Voici les promesses tenues et brisées par le gouvernement Trudeau

Deux ans après l’élection des libéraux au pays, VICE s’intéresse à certains engagements tenus, brisés ou en voie de réalisation.

C'est une remontée spectaculaire que les libéraux ont effectuée aux élections de 2015, passant de troisième parti dans les intentions de vote à gouvernement majoritaire. Ils ont réussi cette prouesse avec des promesses ambitieuses : légalisation du cannabis, réconciliation avec les Premières Nations, protection du climat, réforme du système électoral et de la Loi antiterroriste, soutien financier de la classe moyenne…

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Le programme est chargé et, à mi-parcours, il est l'heure de dresser un premier bilan. D'après le Trudeaumètre, cet outil en ligne qui recense les promesses électorales, à peine le quart d'entre elles ont été tenues.

Si les mesures visant à augmenter la sécurité financière de la classe moyenne ont été parmi les premières promesses réalisées, il reste encore énormément de travail aux libéraux.

VICE a décortiqué certaines des promesses phares du gouvernement. Dans certains cas, il faut le dire, elles ont mené à un échec complet.

PROMESSES RÉALISÉES

Baisse d'impôts pour la classe moyenne

Moins de trois mois après son élection, le gouvernement Trudeau a réduit le taux marginal d'imposition – de 22 % à 20,5 % – sur les revenus entre 45 282 $ et 90 563 $. En même temps, il a instauré une nouvelle tranche d'imposition de 33 % – au lieu de 29 % – sur les revenus de plus de 200 000 $.

Si les libéraux avaient promis lors de la campagne que le coût de ces deux mesures serait nul, ça n'a finalement pas été le cas. Selon les calculs du gouvernement, les deux mesures ont creusé un trou de 1,2 milliard de dollars dans le budget fédéral.

Allocation canadienne pour enfants

En juillet 2016, Ottawa a remplacé la brochette de mesures disparates visant les familles avec au moins un enfant pour les remplacer par une seule prestation. Ainsi, environ 90 % des familles, soit toutes celles dont les revenus sont de moins 150 000 $, ont vu leur chèque mensuel d'Ottawa augmenter. Contrairement aux prestations mises en place par le précédent gouvernement, conservateur, celles des libéraux sont non imposables et indexées sur le revenu.

Cependant, comme l'ont démontré les chercheurs Luc Godbout et Suzie St-Cerny, la valeur de la nouvelle prestation s'amenuisera au fil des années, car elle n'est pas indexée sur l'inflation, comme l'étaient celles des conservateurs. « Si le coût de la vie augmente, si votre salaire augmente avec le coût de la vie, le montant de la prestation devient de moins en moins efficace pour combattre la pauvreté », a dit Godbout dans une entrevue avec Le Devoir .

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Légalisation du cannabis

Justin Trudeau est en voie de tenir sa promesse de légaliser le cannabis d'ici le 1er juillet 2018. Si l'on sait que le Canadien moyen pourra se griller un cône sans se faire importuner par les autorités, bien des zones d'ombre demeurent.

C'est que le projet de loi rendu public en avril dernier est encore bien incomplet. On en a appris beaucoup sur les mesures répressives pour les contrevenants, mais la distribution, reléguée aux provinces, est toujours nébuleuse. Québec devrait déposer son projet de loi à ce sujet d'ici Noël.

La loi fédérale prévoit que les adultes de 18 ans et plus pourront acheter du cannabis. Les provinces pourront toutefois établir un âge plus élevé si elles le veulent. Ils pourront aussi faire pousser un maximum de quatre plans à la maison et avoir 30 grammes ou moins en leur possession.

Pour ce qui est de la nature du produit, « seuls le cannabis séché et frais, l'huile de cannabis, ainsi que les graines et les plants pour culture personnelle pourront être achetés de manière légale » dans la première année. Les « processus de fabrication dangereux » seront quant à eux interdits. Donc, pas de shatter ou de wax, produits avec des hydrocarbures.

Le 3 octobre, le Comité permanent de la santé a amendé le projet de loi de sorte que la vente de haschisch et de produits comestibles cuisinés à base de cannabis soit permise, mais seulement un an après la légalisation du weed séché.

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LES PROMESSES BRISÉES

La réforme électorale

« Nous sommes déterminés à faire en sorte que l'élection de 2015 soit la dernière élection fédérale organisée selon un scrutin majoritaire uninominal à un tour », promettait-on sans équivoque dans la plateforme électorale des libéraux.

Cette promesse, martelée sans arrêt, leur a permis de se positionner comme les acteurs d'un réel changement. L'ancienne ministre responsable des Institutions démocratiques, Myriam Monsef, devait présenter son plan de réforme en mai dernier. Ce n'est jamais arrivé.

Les libéraux avaient l'intention d'instaurer le système de vote préférentiel, dans lequel on classe les candidats en ordre de préférence et redistribue les votes des candidats les moins populaires jusqu'à ce qu'un candidat obtienne une majorité claire. Le Nouveau Parti démocratique et le Parti vert demandaient plutôt un mode de scrutin proportionnel, qui répartit les députés selon leur part du vote populaire. Les conservateurs optaient pour le statu quo.

En décembre 2016, le comité spécial chargé de conseiller le gouvernement sur la réforme ne leur a pas suggéré de mode de scrutin précis et a recommandé d'aller chercher l'appui des Canadiens au moyen d'un référendum.

Après quelques mois d'incertitude, la confirmation de l'abandon de la promesse est apparue dans la lettre de mandat de la nouvelle ministre des Institutions démocratiques, Karina Gould, assermentée le 10 janvier : « La modification du système électoral ne fera pas partie de votre mandat. » Les libéraux ont argué qu'il n'y avait pas suffisamment consensus pour aller de l'avant.

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Rien n'a bougé depuis. L'élection de 2019 se déroulera toujours selon le système uninominal à un tour, qui a permis aux libéraux d'obtenir 55 % des sièges avec 39,5 % des votes.

Accorder aux Premières Nations le droit de veto sur les exploitations des ressources naturelles sur leur territoire

Justin Trudeau a affirmé lors de la campagne électorale que son gouvernement accorderait un droit de veto aux communautés autochtones sur l'exploitation des ressources naturelles sur leur territoire.

Or, en dépit des objections de la population locale, Ottawa a accordé deux permis de construction pour le barrage hydroélectrique du site C. Le projet de 9 milliards de dollars est en construction depuis 2015 sur la rivière de la Paix, près de Fort St. John, en Colombie-Britannique. S'il est construit comme prévu, le barrage inondera une vallée et engloutirait des maisons, des fermes, une autoroute et un territoire autochtone.

Même scénario dans le dossier du pipeline Trans Mountain de Kinder Morgan, qui traversera des territoires autochtones non cédés et qui a été initié par le gouvernement Harper. Les libéraux ont donné l'autorisation à Kinder Morgan de construire leur prolongement en novembre 2016. En fin de compte, l'oléoduc triplera sa capacité, passant de 300 000 à 890 000 barils par jour.

Squamish, une communauté des Premières Nations, mène une action en justice devant la Cour suprême de Colombie-Britannique, invoquant qu'elle n'a pas été consultée avant l'approbation du projet, contrairement à ce que le processus exige.

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Don de sang pour les hommes qui ont des relations sexuelles avec d'autres hommes

Le parti libéral avait promis de lever l'interdiction aux hommes ayant eu des relations sexuelles avec d'autres hommes (HSH) dans les cinq dernières années de donner du sang. Depuis août dernier, il leur est maintenant permis de le faire s'ils n'ont pas eu de relations sexuelles avec d'autres hommes depuis un an.

À la veille des élections fédérales de 2015, le parti libéral de Trudeau publiait une pétition appelant à mettre fin à cette interdiction. Après avoir signé la pétition, les signataires étaient redirigés vers une page de don. En somme, le parti a accepté de l'argent de la communauté, mais n'a finalement pas levé l'interdiction.

Questionnée à cet effet par le journaliste de VICE Justin Ling, la ministre de la Santé de l'époque, Jane Philpott, a répondu qu'il était impossible pour le gouvernement de lever cette interdiction, car il revenait aux autorités compétentes de le faire, c'est-à-dire HÉMA Québec et la Société canadienne du sang.

C'est totalement faux : une clause de Santé Canada dans la réglementation du don de sang permet à un ministre de faire des changements aux réglementations s'ils sont jugés sécuritaires.

À SURVEILLER : EN COURS DE RÉALISATION

La loi C-36 sur le travail du sexe n'est toujours pas modifiée

Justin Trudeau avait assuré que son gouvernement réviserait C-36, la loi qui régit le travail du sexe. Adoptée en 2014 par les conservateurs de Harper, la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation a été fortement critiquée par les défenseurs des droits de la personne, qui disent qu'elle crée des situations dangereuses pour les travailleuses du sexe.

« Les lois actuelles créent un contexte d'exploitation, elles stipulent que toutes les travailleuses du sexe sont des victimes », explique Jenn Clamen, coordonnatrice des communications et de la mobilisation à l'organisme de soutien aux travailleuses du sexe STELLA.

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Bien que le travail du sexe soit légal en vertu de C-36, la loi criminalise le fait de payer pour des services sexuels et interdit aux gens de « vivre des produits de la prostitution », des clauses qui confinent l'industrie à la clandestinité et forcent les femmes à travailler dans des environnements isolés et souvent dangereux.

Lors d'une entrevue avec VICE en 2015, Justin Trudeau nous avait expliqué que les libéraux avaient voté contre C-36 au moment de son adoption parce que « c'est une loi qui ne fait pas sa job » de protection.

Simon Rivet, porte-parole du ministère de la Justice, a refusé la demande d'entrevue de VICE parce que le processus est toujours en cours, mais écrit que la ministre Jody Wilson-Raybould s'était « engagée à examiner la pertinence de la Loi sur la protection des communautés et des personnes exploitées (ancien projet de loi C-36) dans l'arrêt Bedford de 2013 de la Cour suprême du Canada ».

Réduire les émissions de gaz à effet de serre

La lutte contre les changements climatiques était au cœur des promesses des libéraux en 2015. Soyons clairs : présenter des objectifs plus ambitieux de réduction de gaz à effet de serre (GES) que ceux des conservateurs n'était pas une promesse électorale. Les libéraux ont été prudents, ils n'ont jamais donné d'objectifs de réduction chiffrés.

Cependant, ils avaient promis que, dans les 90 jours suivant la conférence de Paris sur le climat, ils allaient réunir les premiers ministres provinciaux pour créer un plan commun, et qu'au « cœur de cet effort figurera la création d'objectifs nationaux de réduction des émissions ».

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Il était question de « création » et non pas de « recyclage » de cibles de réduction des GES, ce qui explique peut-être pourquoi on s'attendait à ce que les libéraux mettent de l'avant des cibles plus ambitieuses que celles de Stephen Harper.

Le plan de réduction de 30 % des GES sous les niveaux de 2005 d'ici 2030 des conservateurs avait été sévèrement critiqué, tant par les groupes environnementaux qui le jugeaient insuffisant, que par l'opposition qui n'en croyait pas un mot.

« Le problème est moins la cible que l'absence de plan pour y parvenir », écrivait en juin 2015 le porte-parole en matière d'environnement, John Mackay. L'essentiel de son argumentaire reposait sur le fait que les conservateurs mentaient sur leur intention d'atteindre cette cible.

C'est ce qu'a réitéré le gouvernement en septembre dernier, quand on a appris que les libéraux allaient conserver les cibles de réduction des GES de Harper. Les libéraux ont l'intention de les atteindre pour vrai, a-t-on dit.

Le plan d'action pancanadien a finalement été présenté en décembre 2016, un an après la conférence de Paris. Le fédéral n'a cependant pas réussi à rallier la Saskatchewan et le Manitoba.

Le gouvernement garde la porte ouverte à de plus ambitieuses cibles de réduction des GES, mais s'est bien gardé de dire quand celles-ci pourraient être annoncées. Il faudra garder les libéraux à l'œil en ce qui concerne cette promesse, car il s'agit d'un enjeu à long terme, qui ne se limite pas à un seul mandat.

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L'eau potable accessible dans les communautés autochtones

« Il y a 93 communautés [autochtones] visées par 133 différents avis d'ébullition d'eau à travers le pays », a martelé Justin Trudeau en entrevue avec VICE News , en octobre 2015. Il promettait alors de mettre fin à ce problème dans un délai de cinq ans.

L'engagement ne figurait pas dans la plateforme électorale, mais il est clairement écrit dans la lettre de mandat de la ministre Jane Philpott, désormais affectée aux Services aux Autochtones : elle doit veiller à « l'élimination des avis d'ébullition de l'eau de longue durée d'ici 2021 ».

Le ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada (AANC) juge avoir fait des progrès en la matière. Leurs chiffres indiquent qu'ils sont passés de 77 avis concernant l'eau potable en novembre 2015 à 69 avis en juin 2017. L'amélioration est légère, mais il ne s'agit là que des avis « à long terme » concernant la qualité de l'eau des systèmes d'approvisionnement gérés par le gouvernement.

D'après une enquête de VICE News , le bilan global s'est pourtant alourdi depuis l'arrivée au pouvoir de Justin Trudeau. On répertoriait en juillet 2015 quelque 159 avis concernant l'eau potable dans 114 communautés autochtones. Deux ans plus tard, en juillet 2017, on était passé à 172 avis dans 121 communautés.

En juin, l'AANC a fait parvenir à VICE News une liste de 22 communautés pour lesquelles 26 avis à long terme ont été retirés. Parmi les 14 communautés qu'il a été possible de joindre, trois ont indiqué que, malgré les investissements, elles font tout de même face à de graves risques concernant la qualité de leur eau.

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Le budget fédéral de 2016 prévoyait un investissement de 141,7 millions de dollars sur cinq ans pour analyser l'eau potable des communautés autochtones, ainsi que 1,8 milliard pour les infrastructures dans les réserves.

Mais l'approche ne fonctionne visiblement pas pour le moment. Dans un rapport publié en février, la fondation David Suzuki, en collaboration avec Amnistie internationale et Human Rights Watch, s'était montrée très critique. On appelait à modifier le processus gouvernemental. Le simple fait d'accorder du financement ne résoudra pas le problème, écrivait-on.

C'est donc à suivre, et de près.

Réformer la Loi antiterroriste (ancien projet de loi C-51)

Les libéraux ont promis d'abroger des sections de la Loi antiterroriste C-51, adoptée en 2015 sous Harper à la suite de deux actes terroristes à Saint-Jean-sur-Richelieu et à Ottawa.

La Loi antiterroriste étend significativement les pouvoirs des agences de sécurité canadiennes, dont le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et le Centre de sécurité des télécommunications (CST).

À l'époque, de nombreux organismes de défense des droits de la personne exigeaient son retrait : on s'inquiétait des entraves à la protection de la vie privée et des droits individuels. En campagne, Justin Trudeau promettait notamment d'en retirer les « éléments problématiques » et de ramener « l'équilibre entre notre sécurité collective et nos droits et libertés ».

Le projet de loi C-59, qui devait tout régler, a été déposé en juin. Trois mois plus tard, un groupe composé d'une quarantaine d'organismes et d'experts, dont Amnistie internationale, la Ligue des droits et libertés et Open Media a publié une lettre ouverte pour demander au gouvernement libéral d'en faire plus, beaucoup plus.

Ils reconnaissaient qu'il y a eu certaines améliorations, comme le rétablissement du critère de la nécessité pour justifier la détention préventive, la création d'un poste de commissaire au renseignement et la mise sur pied de l'Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement.

« Malheureusement, ce n'est pas là le changement fondamental nécessaire pour défaire l'héritage de C-51 », indique-t-on dans une lettre. La nouvelle loi « permet toujours aux services gouvernementaux de révéler beaucoup trop d'information, notamment au sujet d'activistes politiques et pour soutenir les objectifs de sécurité douteux de gouvernements étrangers ». On écrit également que le gouvernement n'a pas revu à la hausse les standards « très bas » pour imposer une obligation de garder la paix aux personnes soupçonnées d'activités terroristes.

De plus, on dénonce de « nouveaux problèmes sérieux » que crée le projet de loi C-59, et qu'on cherche à légitimer la surveillance de masse, le piratage informatique commandité par le gouvernement, l'usurpation d'identité de journalistes et la collecte de données, des actions « perpétrées par [le SCRS et le CST] en secret et sans l'approbation populaire ou les débats de fond que demande tout système démocratique ».

Le projet de loi n'est pas encore étudié en comité, et est encore moins prêt à être adopté. Il reste à voir si les groupes qui demandent des changements seront écoutés par les libéraux.