Du Mali au CAP plomberie, itinéraire tortueux d'un mineur isolé
Seydou dans le parc des Buttes-Chaumont, à Paris, octobre 2017. Photos : Élise Blanchard

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VICE News

Du Mali au CAP plomberie, itinéraire tortueux d'un mineur isolé

Rencontre avec Seydou, un mineur non-accompagné arrivé seul à Paris en septembre 2016, qui est un des rares à avoir réussi la transition de la rue au lycée.

Seydou* a eu beau brandir son acte de naissance, répéter qu’il est né le 10 octobre 2000, qu’il a 16 ans, ses efforts sont restés vains. En l’espace de moins d’un an, les services français et les juges régissant la prise en charge des mineurs isolés étrangers ont changé d’avis trois fois. Sa minorité a d’abord été démentie, puis son âge a été évalué à 17 ans, avant d’être à nouveau déclaré majeur. Il s’est alors retrouvé à la rue.

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Comme des centaines de mineurs isolés étrangers chaque année, Seydou a été rejeté et relayé au statut de fantôme sans âge par la machine de l’évaluation des mineurs non accompagnés. Ce jeune Malien, arrivé seul à Paris en septembre 2016 après un voyage de deux mois, a quitté son pays pour venir en aide à sa famille. Aujourd’hui en CAP d’installation sanitaire à Pontoise, il est l’un des rares mineurs isolés ayant réussi la transition de la rue au lycée.

Assis dans un café le mois dernier, Seydou brandit fièrement son emploi du temps et ses exercices de dessins de génie civil en souriant. Élève très appliqué, aujourd’hui premier ou deuxième de sa classe malgré des années de retard à rattraper, Seydou a choisi de devenir plombier. Un parcours rare, pour un jeune arrivé seul en France. L’école lui a redonné le sourire, mais il revient de loin.

« J’ai cru que j’allais mourir »

Ce jeune au visage poupin, et aux yeux doux encadrés par de petites lunettes noires, vient du sud du Mali, où sa famille survivait tant bien que mal grâce à une petite parcelle de terre et quelques vaches.

Seydou est le seul des trois enfants qui parvient à être scolarisé au Mali. Mais en 2012, il doit interrompre ses études, après le décès de son père. La situation de sa famille empire, et quelques années plus tard, inquiet pour sa mère et ses deux petits frères, il décide d’entreprendre le périple vers Europe pour étudier et gagner assez d’argent pour les aider.

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« J’avais eu peur qu’à la fin on n'ait plus à manger. Et si on tombait malade, on ne pouvait pas se soigner », se souvient-il.

Le voyage vers la France a été un enfer. En Libye, il doit travailler pour financer la traversée de la Méditerranée. Puis, entassé avec 105 personnes dans un Zodiac gonflable, Seydou doit rester debout pendant tout le voyage, au centre, pour éviter que le bateau ne chavire. « J’avais mal à mes pieds, on vomissait, j’ai cru que j’allais mourir. » Par chance, un bateau italien vient les secourir après trois jours de voyage.

À son arrivée en Italie, Seydou est accueilli dans un foyer pour mineurs, reçoit des cours d’italien, passe une visite médicale. Mais il veut rejoindre la France, pays dont il comprend la langue. « Quand j’étais en Afrique, je pensais qu’en Europe tout le monde parle français. »

Il arrive à Paris en septembre 2016. À la Gare du Nord, un homme lui donne l’adresse du CEMIE 95, le centre d’évaluation des mineurs isolés étrangers à Cergy Pontoise, qui doit déterminer leur minorité et isolement — conditions nécessaires à la prise en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE).

« J’ai regretté d’être venu en France »

Selon la loi, après s’être présentés dans un centre d’accueil, les mineurs non accompagnés doivent être mis à l’abri pendant 5 jours, le temps de « la réalisation de l’évaluation de la minorité la plus étayée possible », par une équipe pluridisciplinaire et basée sur « un faisceau d’indices ». En France, les mineurs non accompagnés ne peuvent pas être expulsés et ont théoriquement les mêmes droits qu’un enfant français dans une situation similaire.

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Mais comme la grande majorité des jeunes, Seydou réalise rapidement que la réalité n’a rien à voir avec les textes.

Quand il trouve enfin le CEMIE 95, il est déjà 18h30 et les employés sont déjà partis. Il décide de dormir en face de la préfecture de Cergy. De retour à l’accueil le lendemain, il explique être un mineur, seul en France. Un homme arrive, lui demande ses papiers – il n’a que son acte de naissance – puis monte à l’étage et revient environ 10 minutes plus tard.

Malgré la « présomption d’authenticité des actes de l’état civil » inscrite dans la loi, l’homme refuse de tenir compte des documents de Seydou. « Il a dit […] que je ne suis pas mineur », raconte Seydou, encore surpris qu’on l’ait soupçonné d’avoir falsifié ou emprunté le document. « Il n’a pas été sympa avec moi, il m’a [forcé à] partir. J’ai regretté d’être venu en France, je me suis dit qu’en Italie au moins j’étais accueilli. »

Aucune question n’est posée sur la vie de Seydou, bien que l’évaluation doive, selon les textes, être « réalisée avec bienveillance » et porter sur l’état civil, la famille, les conditions de vie avant et après l’arrivée en France, les motifs de départ, le parcours migratoire, et le projet de la personne.

Plus de 150 mineurs isolés étrangers prennent un repas servi par des bénévoles à Belleville, octobre 2017.

De retour à Paris, Seydou s’installe sur le camp de réfugiés de Stalingrad, et, sans un sou en poche, dort à côté d’une tente pendant une dizaine de jours. Sur l’avenue de Flandre, il remarque l’ADJIE, un bureau associatif qui aide les mineurs isolés déboutés dans leurs démarches. Fin septembre, le personnel rédige une lettre, envoyée au tribunal de Pontoise, pour saisir le juge des enfants et contester la décision de l’ASE. On lui explique que l’attente pour une réponse peut durer plus de six mois.

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La journée, Seydou mange aux distributions gratuites, et suit des cours de français dispensés par des bénévoles à la bibliothèque de Couronnes, deux fois par semaine. Par chance, l’une des professeurs lui propose quelques semaines plus tard de dormir dans son appartement, encore en travaux. Il n’y a ni électricité ni meubles, mais pour Seydou c’est un miracle. « C’est un toit, c’est sécurisé, la porte se ferme, même s’il pleut je suis à l’abri. » Il aide même le plombier dans son appartement. « C’est ainsi que je découvre le métier. »

Puis en octobre 2016, Seydou reçoit sa convocation adressée par le juge des enfants et se rend au tribunal pour enfants de Pontoise le 28 du mois. La juge refuse de tenir compte de son acte de naissance car, comme c’est le cas dans de nombreux pays africains, il ne comporte pas de photos et « il n’est pas certain qu’il le concerne véritablement », explique-t-elle dans son rapport. « Au regard de sa maturité apparente », la juge ordonne un examen médical « pour déterminer si son développement physiologique est compatible avec l’âge qu’il allègue. »

Seydou passe l’examen médical environ un mois plus tard. « Ils m’ont dit de me déshabiller, de me mettre sur la bascule et une dame a pesé mon poids, mesuré ma taille, mesuré le tour de ma tête », raconte-t-il. « Elle m’a aussi dit d’ouvrir la bouche et a regardé mes dents. » Seydou passe aussi une radio du poignet gauche.

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Fin décembre, la juge obtient les résultats de l’examen médical. « La juge a dit que le test osseux avait confirmé que j’ai entre 17 et 20 ans, » explique Seydou, dubitatif. « Elle a dit qu’elle considérait que je suis né le 1/1/1999. » Seydou sera donc pris en charge jusqu’à sa majorité évaluée à un an plus tard. En un instant, il a vieilli de presque deux ans. (Le test osseux, jugé peu fiable, est notamment critiqué par le Défenseur des droits, l’Académie nationale de médecine, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies.)

« Parmi tous les jeunes que je voyais en cours, c’était le plus déterminé. »

Cette prise en charge ne change pas grand-chose au quotidien de Seydou. « On ne faisait aucune activité », raconte-t-il. « Là-bas, ils nous donnent seulement [des plats déshydratés]. » Aucune scolarisation n’est en vue, bien que selon la loi, tout mineur a droit à une éducation. Mais, ne perdant pas espoir, il passe un test au Centre d’information et d’orientation (CIO) d’Argenteuil pour évaluer son niveau scolaire, accompagné d’une bénévole, et continue à aller aux cours de français à Paris.

Là, il rencontre Justine Dofal, étudiante de 21 ans, qui, en mai, commence à lui donner des cours de mathématiques à la bibliothèque Louise Michel. « Parmi tous les jeunes que je voyais en cours, c’était le plus déterminé, » raconte-t-elle. « Il arrivait à faire tous les exercices, même des trucs qu’il n’avait jamais vus avant, j’étais assez scotchée. »

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L’été apporte de bonnes nouvelles : à la suite des résultats du CIO, Seydou est pris dans un lycée à Pontoise, en CAP d’installation sanitaire. Il retrouve le sourire, mais sa chance tourne rapidement. L’ASE a fait appel pour contester la décision de la juge, et la minorité de Seydou. Ses papiers ne sont encore pas expertisés, et cette nouvelle juge ne prend pas en compte la marge d’erreur du test osseux. Elle décide que Seydou est majeur, et le sort du dispositif de l’ASE.

Quand, à la fin d’un cours, Seydou explique à Justine qu’il sera remis à la rue dans une semaine, elle tombe des nues. « Il est tout petit, on voit bien qu’il est mineur. » Elle propose à Seydou de l’accueillir temporairement dans sa collocation. Puis le début des cours lui redonne le sourire et le personnel du lycée accueille Seydou à bras ouverts. En octobre, il entre même à l’internat.

« Il a quand même eu de la chance que tous les processus pour être scolarisé à la rentrée aient eu lieu avant l’appel, » dit Justine. « S’il n’y avait eu personne pour lui après l’appel de l’ASE, il était juste un jeune à la rue sans rien. » Aujourd’hui, Justine continue de faire le lien avec le lycée et suivre les démarches de Seydou, et se démène pour lui trouver des logements pour les vacances scolaires.

« Je me dis que pour l’instant il a une situation stable jusqu’à ce qu’il ait fini le lycée, mais à mon avis le problème ça va surtout être quand il va devenir majeur et qu’il va falloir qu’on se bouge pour son titre de séjour. »

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Seydou dans le parc des Buttes-Chaumont, octobre 2017.

Des mineurs à la rue toujours invisibles

La réussite de Seydou, rare mineur non accompagné scolarisé dans le 95, relève de l’exception et les obstacles auxquels il a dû faire face relèvent plutôt de la norme.

Comme les chiffres communiqués par de nombreuses associations citoyennes de Paris le montrent, la majorité des mineurs isolés non accompagnés sont remis à la rue par l’agence supposée les protéger. En effet, selon un rapport de Médecins du Monde, « à Paris, 80% des demandes de protection sont rejetées, se basant sur des critères non-objectifs. » Pourtant, selon les chiffres de l’ADJIE, après avoir saisi le juge des enfants, environ 60% des jeunes déboutés finissent par être considérés mineurs et pris en charge, souvent après avoir passé des mois à la rue.

Aujourd’hui, le débat gouvernemental autour des mineurs isolés porte surtout sur les coûts et pas sur les mineurs déboutés à la rue. Le 20 octobre, le Premier ministre Édouard Philippe annonçait une rallonge budgétaire de 132 millions d’euros pour la prise en charge des mineurs isolés étrangers (qui étaient 13 000 à l’ASE en 2016) — chiffre jugé insuffisant par les départements. Il promettait aussi la prise en charge de l’accueil et l’évaluation des mineurs par l’État.

Mais pour les bénévoles, cela ne changera rien : ils ne sont pas en mesure de prendre en charge des mineurs à la rue souvent ignorés des débats car considérés comme majeurs. Des centaines de jeunes se rendent invisibles et continuent de dormir discrètement dans les stations de métro, les gares, et sur les camps parisiens. La question que nombre des bénévoles invitent à se poser pour justifier leur engagement reste la même : « Qu’est-ce que, nous, on ferait avec nos enfants ? »

*Le prénom de Seydou a été modifié afin de préserver son anonymat.