Culture

Plongée dans l’« église » dédiée à Diego Maradona

L'ancienne star du football argentin est l’un des meilleurs joueurs de tous les temps. Et pour de nombreux fans, il est un véritable dieu.
Cène Maradona
Illustration : Mauricio Santos.

Diego Armando Maradona est largement considéré comme l’un des meilleurs joueurs de foot de tous les temps, mais pour de nombreuses personnes, il est un aussi un véritable dieu – ni un prophète, ni la réincarnation d’une ancienne divinité du football, mais un D10 (« D » pour dios, « dieu » en espagnol, suivi de son numéro de maillot). Ce qui est incroyable avec Maradona, c’est la passion qu’il suscite parmi ses fans. Leur dévouement est aussi beau que flippant.

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Maradona – bien qu'il parle de lui à la troisième personne – n'a jamais demandé à être déifié. Mais le football est peut-être la religion qui compte le plus grand nombre d'adeptes dans le monde. Et si le football est une religion, alors Maradona en est le dieu. Et le vénérer est simple, aussi simple que de « liker » une page Facebook.

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J'ai entendu l'appel à la foi maradonienne pour la première fois il y a plus de deux Coupes du monde. Il n'y a pas eu de révélation, pas de missionnaire qui est venu frapper à ma porte avec un pamphlet sous le bras, pas de moment où j'ai été submergé dans la rue par des fans enragés. La parole de Maradona m'a touché virtuellement, via une invitation à rejoindre un groupe Facebook intitulé l'« Église de Maradona ».

« C'est un temple qui réunit des centaines de milliers de fans de Maradona dans le monde entier, peut-on lire dans la section À propos. Notre religion est le football et, comme toutes les religions, nous avons un Dieu. »

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Fondée par Alejandro Verón et Hernan Amez, deux journalistes qui animent une émission de radio sur le football, l'Église de Maradona opère principalement sur Internet et utilise un langage religieux pour exprimer une profonde dévotion au sportif argentin. Sur la page Facebook, les membres partagent citations, photos, souvenirs et vidéos des meilleurs buts et performances du joueur. Les fidèles éprouvent pour lui un amour inconditionnel, quoi qu'il fasse en dehors du terrain, car ils pensent que le miracle qu'il y a accompli était si divin qu'aucun mortel n'a le droit de le juger.

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Dans la vie réelle, Verón et Amez organisent des rencontres dans différents lieux de Rosario, en Argentine, où les apôtres se rassemblent pour la « messe ». Leur religion a même ses propres écritures et ses Dix Commandements, dont « Répandre la nouvelle des miracles de Diego dans l'univers » et « Aimer le football par-dessus tout ».

Aujourd'hui, par un samedi animé à Rosario, la messe est célébrée dans un club d'athlétisme local. L'odeur du charbon de bois et des saucisses qui cuisent sur le gril parfume l'air. Je suis accompagné d'une vingtaine d'hommes portant des maillots de football argentins. Ils ont entre 15 et 70 ans et, mis à part leur passion commune pour Maradona et les tatouages à son effigie, ils ont peu en commun. Quelques femmes sont assises autour d'une table à l'autre bout de la pièce. Elles jouent aux cartes et jettent parfois un regard apathique dans notre direction, comme si elles connaissaient bien cette religion particulière et tous les caprices qu'elle implique.

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Amez et Verón ont méticuleusement préparé les reliques nécessaires pour célébrer la liturgie d'aujourd'hui : des affiches de Diego à différentes étapes de sa carrière longue de 21 ans, une réplique du trophée de la Coupe du monde et des biographies qu'ils considèrent comme sacrées pour la doctrine. Un membre de l'église, Walter Rotundo, fait venir ses jumelles de cinq ans, Mara et Dona. C'est un jour spécial pour elles : elles vont être baptisées dans l'église de Maradona. Comme les autres membres présents, les deux fillettes portent un maillot argentin floqué du numéro de Maradona au dos.

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– « On devrait retirer ce numéro pour toujours », dit l'homme à côté de moi. Lui aussi se prépare à lire les Commandements de Diego à la congrégation.

– « De l’équipe argentine, vous voulez dire ? » lui ai-je demandé.

– « Non, répond-il. Il faut retirer ce numéro de manière générale. Il faut arrêter de l’utiliser. »

Amez et Verón organisent des messes et en font la promotion sur les réseaux sociaux, mais les rencontres sont de plus en plus sporadiques. Les lieux de rencontre sont déterminés sur la page Facebook. Les Maradoniens viennent de loin, marchant à travers les plaines et les troupeaux de bétail pour célébrer la messe de D10. Mais l'église a trop de membres : tout le monde veut un peu de Maradona, tout le monde veut grignoter des saucisses avec ses frères maradoniens, partager des histoires et lui rendre hommage.

« Ça devient incontrôlable », avoue Verón la veille du baptême des jumelles. Il est difficile de dire si les Maradoniens se prennent au sérieux ou si tout ceci n’est qu’une grosse blague qui fait rire Maradona lui-même quelque part à Dubaï, Moscou ou Caracas.

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Hernan Amez (à gauche) et Alejandro Verón (à droite).

La messe maradonienne d'aujourd'hui n'a pas lieu en prolongation et personne ne pense aux tirs au but. La théâtralité de la cérémonie se termine dès que nous passons à un autre rite, plus détendu mais tout aussi important : le barbecue. Certains membres de l'église prennent des photos de Mara et Dona, qui viennent d'être baptisées. Chaque fillette porte un maillot de l'équipe d'Argentine avec son nom sur le dos – Diego les a lui-même envoyés des Émirats arabes unis. Bien que Maradona ne fréquente pas cette église, il comprend la ferveur qu'il évoque chez ses fans.

Les fillettes semblent heureuses. Elles comprennent le football, la messe et l'image de Maradona mieux que les adultes – ce n’est qu’un jeu, comme tout le reste. Leur père prend ça plus au sérieux. Dès la fin du baptême, il demande leur mère en mariage. Un essaim de maillots bleus et blancs célèbre les fiançailles du couple avec un câlin de groupe qui n’est pas sans rappeler la réponse à un but marqué. Certaines personnes continuent à manger et font leurs adieux dès que leur assiette est vide.

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Mara et Dona.

À la fin de l'événement, nous enlevons nos maillots. Nous ne sommes plus que quelques passionnés épuisés autour d'une table pleine de canettes de bière vides et de verres de vin à moitié bus. Le barbecue est éteint depuis des heures et le soleil se couche. Nous ne cessons de parler de buts, de joueurs et de victoires – notre religion commune.

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