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Le Pays Basque espagnol excédé par les touristes français

« Beaucoup nous demandent des souvenirs aux couleurs de l’Espagne… »
Photos : Laurent Perpigna Iban

« You are in the Basque Country ». Le message est on ne peut plus clair. Et les visiteurs qui ont déambulé cet été dans les rues de Donostia – Saint Sébastien, en basque – n’ont pas manqué de voir ces affiches, placardées sur les murs de tous les lieux stratégiques de la ville.

Premiers visés par cette campagne, les touristes français, extrêmement nombreux à venir profiter de la capitale de la province du Gipuzkoa pendant la période estivale. Si les chiffres de l’été 2018 ne sont pas encore connus, ceux de 2017 donnent le vertige : 87 769 nuitées ont été consommées entre janvier et décembre, selon la Sociedad de Turismo. Des chiffres largement gonflés par les visites à la journée des touristes français venus de l’autre côté de la frontière.

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C’est un fait : les habitants sont exténués par ce qu’ils appellent le « tourisme de masse ». Premier reproche, leur manque de savoir-vivre – comme partout dans le pays, notamment à Barcelone qui a connu un fort mouvement « anti touristes » ces dernières années. Mais la situation est d’autant plus brûlante que le Pays Basque vit actuellement un tournant historique, quelques mois après la dissolution d’ETA. Actée le 3 mai dernier au terme d’un processus de paix unilatéral et clivant, la fin de la lutte armée est aussi une plongée dans l’inconnu pour la jeunesse basque. Alors que se dessinent aujourd’hui les contours d’un processus politique souverainiste proche de celui en cours en Catalogne, la jeunesse semble être sur tous les fronts : soutien aux prisonniers basques, antifascisme, féminisme… Mais aussi, donc, dans la lutte contre les dérives du tourisme de masse.

Ainsi, la jeunesse de Saint Sébastien multiplie les manifestations contre ce qu’elle juge être une dépossession. En août 2017, plus de 500 personnes s’étaient offert un tour de force très médiatisé dans les rues de la ville. Cet été, ils se sont réunis chaque semaine au cœur de la vieille ville, derrière des banderoles qui dénonçaient, entre autres, une mise une mise en péril de leur identité.

Langue basque vs Espagnol LV2

Un enjeu que les touristes français en villégiature ne semblent pas bien comprendre. Une famille parisienne, venue passer la journée dans la ville, et croisée au détour d’une ruelle, avoue innocemment être venue « pour passer la journée en Espagne ». Le genre de petite phrase qui rend furieux les locaux, a fortiori dans une cité qui est restée un bastion indépendantiste de premier ordre. Même son de cloche pour cette famille toulousaine, qui fustige l’accueil qui leur est réservé : « C’est une ville magnifique, ces petites rues, tous ces bars… Mais nous avons été plutôt mal reçus. Personne ne nous comprenait. Ils ne font pas d’efforts, clairement ». Et oui, les vacanciers français ont tendance à l’oublier mais la langue basque, l’Euskara est (aux côtés du Castillan) la langue officielle de la région.

La famille ajoute, dans un sourire : « peut-être est-ce parce que nous avons gagné la coupe du monde… ». Une analyse qui fait éclater de rire les patrons des bars de bars de ville. « Mais personne ne supporte l’Espagne ici ! Il n’y a bien que les Français qui cherchaient à voir les matchs de la sélection espagnole pendant la coupe du monde », déclare l’un d’entre eux, qui a préféré garder l’anonymat. « Nous faisons des efforts pour essayer de les comprendre. Mais c’est quand même assez surprenant de se faire reprocher de ne pas parler Français », rapporte Xabier Pacheco, sourire aux lèvres. Ce dernier travaille dans l’établissement Juantxo, un des nombreux bars-restaurants historiques de la ville où tous les employés en contact avec la clientèle sont tenus de connaître la langue basque.

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L’incompréhension semble totale, jusque dans les nombreuses boutiques de souvenirs où l’on trouve de tout… Sauf des produits frappés des couleurs espagnoles. « Beaucoup de touristes français nous demandent des souvenirs aux couleurs de l’Espagne. J’ai déjà essayé de leur expliquer pourquoi c’était impensable pour nous d’en vendre. Mais de toute façon, ils ne me comprennent pas… », raconte une gérante de boutique qui préfère elle aussi rester anonyme.

« Les visiteurs ne connaissent rien de notre histoire, de nos souffrances, de notre désir de liberté… » - Oihana, 24 ans

En ce mois d’août 2018, la réaction des touristes français face à ces questions est toujours la même. « Les visiteurs n’ont malheureusement pas conscience du contexte basque. Ils ne connaissent rien de notre histoire, de nos souffrances, de notre désir de liberté… Ils folklorisent notre identité, en la réduisant à quelque chose de simplement culturel. Mais nous sommes avant tout un peuple. Un peuple à qui on a toujours empêché de disposer de lui-même » s’exclame Oihana, une jeune basque de 24 ans. Avec ses amies, elle se retrouve à « Ikatz », une partie de la vieille ville complètement désertée par les touristes.

Ici, les rues sont bombardées de graffitis, d’affiches et d’autocollants, bien loin de l’image lisse renvoyée par le reste de la ville. Centre névralgique des militants indépendantistes et antifascistes, les prisonniers basques y sont toujours à l’honneur. Un des gérants du bar Belfast en témoigne : « ici, il n’y a pas de touristes. D’ailleurs, il y a quelques années, les descentes de Police étaient si nombreuses que nous ne nous voyions personne. Cette époque semble finie, mais nous restons protégés des effets néfastes du tourisme ». Cette partie de la vieille ville a longtemps été mentionnée sur les cartes touristiques comme une no go zone. Aujourd’hui, elle fait le plein toutes les fins de semaine, et la jeunesse s’y agglutine afin d’y écouter du rock basque jusque tard dans la nuit.

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Mais le mouvement de jeunesse Ernai, à l’origine des manifestations, l’assure : c’est après les autorités locales qu’ils en ont – pas après les touristes eux-mêmes. Gorka, jeune habitant du quartier très investi dans le combat, tient à le rappeler : « en 2017, il y avait 1 600 lits réservés aux touristes… pour 6 000 habitants ! Et l’association d’entreprises ADEGI a déjà annoncé l’ouverture 20 hôtels supplémentaires dans la ville pour 2019. Rien que pour l’année 2016, le prix des locations a augmenté de 22 % ». Résultat : « on ne peut plus se loger. Il n’y a plus de place pour nous en ville. Et celles qui restent sont trop chères », précise Oihana, 24 ans.

« Il nous a fallu du sang, de la sueur et des larmes pour essayer de devenir un pays attractif » - Denis Itxaso, délégué à la Culture et au Tourisme

Face à cette grogne croissante, la mairie de la ville a lancé cet été une campagne visant à apaiser les tensions, avec des affiches appelant les touristes à « essayer de parler en basque ». Quant à Denis Itxaso, délégué à la Culture et au Tourisme à la Diputación Foral du Gipuzkoa, il tente de protéger l’industrie touristique, longtemps freiné par la violence au Pays Basque : « Il nous a fallu du sang, de la sueur et des larmes pour essayer de devenir un pays attractif parce que la violence réduisait à néant l’énorme potentiel que nous avions ». À ses yeux, la coalition souverainiste EH Bildu, qui supporte les revendications « anti touristes », est coupable de « maintenir la tension dans le pays et de prolonger la sensation de conflit permanent » en « important les convulsions catalanes, dont les sabotages faits au tourisme ».

Dans la vieille ville, personne ne nie pour autant les bénéfices énormes engendrés par le tourisme. « Mais la réalité est là. À cause de cette surpopulation, beaucoup ont commencé à déserter la vieille ville au profit d’autres quartiers. Cela ressemble fort à un remplacement de population », lance le gérant du Belfast. Gorka et ses camarades n’abandonnent pas la partie : « Nous devons récupérer le contrôle du quartier, de la ville, et de nos vies. Les intérêts de ceux qui contrôlent ce quartier et les nôtres sont antagoniques et irréconciliables. Nous devons lutter ».