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Twitch va-t-il s'enthousiasmer pour la lutte professionnelle ?

Les spectateurs Twitch peuvent désormais contrôler la chorégraphie d’un match de catch mettant à l'honneur l’ex star de la WWE, Rikishi.
Image : KnokX

Dans la lutte professionnelle, l'ingrédient essentiel d'un match réussi, c’est avant tous les interactions entre le lutteur et le public : les appels et les chants, les huées et les acclamations, les apostrophes et les cris. Les fans ont le pouvoir d’influencer l’issue du match, et c’est ce frisson électrique qui fait tout le sel de ce sport. Pour les amateurs, aucun autre divertissement en live ne procure de telles sensations. Allez donc voir une représentation de Hamlet : vous pourrez huer tout votre saoul, cela ne changera jamais la fin de la pièce. À l'inverse, tout l’intérêt du catch, c'est l'interactivité.

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Même si l'idée est un peu contre-intuitive de prime abord, ce système d'interactions est assez analogue au système de contrôle d'un jeu vidéo dans la mesure où les commandes utilisées par le joueur sont fonction de ce qui se passe dans le jeu. Évidemment les catcheurs professionnels ne sont pas des avatars que l'on peut manipuler à l'envi, mais reste que le public possède une influence considérable sur leurs initiatives.

Certains ont poussé l'analogie un peu plus loin et se sont demandé ce qui se passerait si on pouvait contrôler les lutteurs en temps réel. Ainsi, KnokX Pro, une boite d'organisations d'événements de catch basée à Los Angeles, s'est associé à Twitch afin de diffuser des combats de lutte professionnelle et de permettre aux téléspectateurs de donner leur avis sur tout ce qui se passe dans match depuis le confort de leur canapé : qui prend le dessus, quel sera le prochain coup, etc. Tout cela grâce à une plateforme de chat.

Le fonctionnement de ce système à la "Twitch plays pro wresting" est assez simple, bien qu’un peu étrange. Les lutteurs combattent sur un ring standard, lors d'un match annoncé. Parmi la sélection de lutteurs, on compte Rikishi – entraîneur pour KnokX Pro et ancienne star de la WWE. Autour du ring, il n'y a pas de public. C'est donc le silence complet, rendu plus bizarre encore par la présence d'une télévision grand écran disposée juste à côté de la caméra. Elle affiche la discussion Twitch – composée de commentaires, de votes et autres emojis – que les lutteurs peuvent consulter à tout moment.

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« Rikishi pense que ce système va bouleverser l'industrie, changer le format des matchs, parce qu’aujourd’hui les fans sont plus intelligents. Ils comprennent et connaissent toutes les ficelles du catch », explique Gary Shergill, directeur marketing de Inox Pro. « Quand il s'agit de lutte à la télévision ou ailleurs, ce sont les lutteurs et les promoteurs qui dirigent le match. Dans ce cas présent, les lutteurs reproduisent plus ou moins à faire ce que le public veut – et le public chorégraphie le match selon ses envies. C'est incroyable. »

Le fait que les lutteurs puissent obéir à l'audience pose beaucoup de questions. Tout d'abord, la fièvre du spectacle risque de perdre en intensité dans la mesure où le texte est un support moins efficace que la voix pour transcrire des émotions. De même, les catcheurs ne pourront jamais interpréter et reproduire parfaitement les directives des spectateurs en direct, à moins de consacrer toute leur attention à la lecture du chat au détriment du match lui-même. Mais pour KnokX Pro, l'essentiel est que les spectateurs Twitch aient un sentiment de contrôle suffisamment fort sur le cours des événements pour prendre du plaisir à regarder le spectacle virtuel.

Au cours de notre interview, Shergill a beaucoup insisté sur le fait que, selon lui, le fondement de la lutte professionnelle est d'offrir au public ce qu’il veut voir. Dans ces conditions, il faut faire en sorte d'obtenir cet effet de la manière la plus efficace possible, et le système Twitch possède à cet égard des avantages indéniables.

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« L'issue du match reste tout à fait imprévisible, de toute façon », s'enthousiasme-t-il au téléphone. « Les lutteurs doivent s'adapter en temps réel, c'est difficile, mais c'est gratifiant. Ils interagissent avec un vrai public, ce qui ne change pas d'un match traditionnel. En plus de ça, le public peut exiger directement des mouvements spécifiques et les lutteurs réagissent immédiatement. »

Les premiers spectateurs des événements LIW (Live Interactive Wrestling) semblent apprécier le format. Le léger inconfort constitué par l'absence de public en liesse s'estompe quelque peu une fois que l'on voit son lutteur préféré fixer l'écran, avant de hurler des pseudos et de prendre un utilisateur spécifique à parti. Des spectateurs m'ont rapporté que cela leur procurait un sentiment de vraie complicité – voire d'intimité – avec les sportifs. Ils avaient le sentiment d'établir un contact durable avec les lutteurs et de devenir des personnages à part entière du scénario du match.

Pour le moment, le niveau d'imprévisibilité des matchs LIW est assez faible dans la mesure où les spectateurs ne sont pas encore très nombreux, explique Shergill. Quelques dizaines d'utilisateurs demandent un mouvement, une petite centaine en demandent un autre, et dans ces conditions il est relativement simple d'analyser le chat et de "traduire" les désirs collectifs en commandes qui s'incorporeront aisément à la narration du catch pro traditionnel.

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Théoriquement, tout a été prévu pour que le système de chat s’améliore et qu’il y ait davantage de participation. Pour le moment il est géré par flux direct avec des mods qui analysent les votes, les bits et la discussion, mais KnokX Pro songe à développer un système plus raffiné. D'une manière générale, de nouvelles possibilités apparaîtront avec l’arrivée de nouveaux spectateurs.

L'élément humain est nécessaire et ne pourra jamais être éliminé.

Imaginez un match hardcore où les armes seront choisies par vote virtuel – telle une version 2.0 de la tradition ECW où les fans apportent leurs propres armes dans l'arène. Imaginez les acrobaties parfois huées mais toujours impressionnantes de Will Ospreay et de Ricochet – s'affranchissant complètement des contraintes du catch professionnel traditionnel et incarnant la quintessence de l'extravagance face à une foule parfaitement en phase avec eux, les nourrissant d’un flux de données grandissant. Oui, c'est un peu excitant.

Pourtant, si la lutte professionnelle est un art, son intérêt ne réside pas tant dans les acrobaties ou les démonstrations de force du sportif, mais bien dans ce que Inox Pro essaie d'éliminer : la capacité du catcheur à lire les émotions de la foule. Ici, certaines des compétences d’un bon lutteur – comme l'empathie – sont totalement mises de côté. Il n'a plus besoin de faire appel à son intuition pour déterminer quand il doit faire un renversement ou un powerbomb, puisque ces instructions seront désormais affichées sur un écran.

Dans ces conditions, la diminution des interactions entre la foule et les catcheurs risque effectivement de réduire la lutte professionnelle à une sorte de jeu vidéo incarné. Cela risque également de valoriser les pires aspects de la culture des fans hardcore, qui ont parfois la fâcheuse tendance à tout ramener à leur plaisir personnel – et à exiger les combats les plus violents possible.

Rappelons-nous du fameux événement Twitch Plays Pokemon. Plus d'un million de joueurs se sont connectés au chat Twitch à cette occasion. Les événement créés par Inox Pro n'atteignent pas et n'atteindront sans doute jamais la même échelle, mais les deux systèmes soulèvent des questions similaires concernant le collaboration en temps réel vers un objectif commun. Que ce soit dans le but de gagner un match Pokemon ou de pousser un catcheur à faire un dropkick sur commande, la collaboration est fondamentalement un plaisir éphémère dont on se lasse rapidement une fois que l'on en a éprouvé tous les rouages – et c'est ce qui nous fait douter du succès de ce genre de dispositif à long terme.

Il y a une sorte de fascination pour l'automatisation du corps humain – depuis les poupées à vapeur des Romains jusqu'aux cyborgs dans la science-fiction. C'est sans doute ce qui rend de LIW aussi cool. Pourtant, est-il vraiment nécessaire de repenser les fondamentaux de la lutte professionnelle ? Rien n'est si sûr.