Une discussion sur la guerre et le sexe avec une dame de 102 ans
Toutes les photos sont de Florian Medl

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Interview

Une discussion sur la guerre et le sexe avec une dame de 102 ans

« Je préfère les hommes jeunes – les vieux ne sont pas drôles. Mais je ne veux pas de petit ami. À mon âge, ce serait un fardeau plus qu’autre chose. »
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

Cet article a été initialement publié sur VICE Allemagne.

Ilse Simchen est née en août 1915 – un an après le début de la Première guerre mondiale. Elle a beaucoup voyagé, a eu sa juste part de relations amoureuses et sa boisson préférée est le Campari Orange. Puisqu'Internet ne cesse de me rappeler qu'en tant que millenial, je suis condamné, je me suis tourné vers elle afin qu'elle me donne des conseils sur ce qui est vraiment important, et ce qui ne l'est pas.

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Je l'ai rencontrée au lendemain de son 102e anniversaire dans son deux-pièces moderne à Selb, une petite ville dans l'est de l'Allemagne. Sa famille, ses amis et certains journalistes étaient rassemblés afin de célébrer cette étape importante, mais j'ai réussi à discuter avec elle en privé pendant quelques minutes.

VICE : Quel est selon vous le secret d'une longue et heureuse vie ?
Ilse Simchen : Il faut être décontracté et optimiste. J'ai quelques amis pessimistes, mais je ne les contredis jamais – je les laisse avoir leurs opinions. Pour être heureux, il faut se concentrer sur les choses agréables de la vie. C'est aussi mon conseil pour toutes les personnes âgées qui se plaignent continuellement de leur maladie.

J'ai grandi avec l'idée que je serai heureux le jour où j'achèterai une maison et ferai 1,6 enfant comme tout le monde. Mais maintenant, ça me semble sans importance. Selon vous, que dois-je faire pour être heureux dans ma vie ?
Vous devez faire ce que vous avez envie de faire, mais assurez-vous de toujours apprendre quelque chose de nouveau. Personnellement, je n'ai jamais eu le désir d'acheter une maison, et ça a très bien marché. La plupart des femmes de ma maison de retraite ont vendu la leur, car elles n'en avaient plus l'utilité. Et même si j'ai toujours adoré les enfants, je n'en ai jamais eu. Mais ce n'est pas grave, car j'ai eu la chance de passer du temps avec les enfants des autres, et ça m'a rendue très heureuse.

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Ilse m'a montré quelques-unes de ses photos de jeunesse préférées. Sur l'image de droite, elle est à la fenêtre et tire la langue.

Les jeunes réfléchissent-ils trop à des choses qui n'ont finalement pas d'importance ?
Les jeunes réfléchissent-ils seulement ? Non, je plaisante. Puis-je vous poser quelques questions à présent ? Où vivez-vous et êtes-vous déjà diplômé de l'université ?

Je vis à Berlin et je suis diplômé depuis longtemps.
La dernière fois que je suis allée à Berlin, c'était pour les Jeux olympiques d'été de 1936. Je parie que vous connaissez peu de personnes qui peuvent vous en dire autant. Je me suis tenue au bord du trottoir avec des centaines de gens et j'ai regardé passer le relayeur de la flamme olympique. Savez-vous où j'étais pendant les Jeux olympiques de Munich en 1972 ?

Ilse a reçu un album photo retraçant toute sa vie de la part de sa famille, à l'occasion de son 100e anniversaire.

Non, où étiez-vous ?
J'étais en mer, à bord d'une croisière fantastique, avec un ami. J'ai fait de sacrés voyages dans ma vie. Quand j'avais 90 ans, je suis partie en croisière pour voir les Pyramides et le sphinx de Gizeh. Je me suis beaucoup promenée sur le navire et j'ai rencontré tant de gentils jeunes hommes.

Flirtez-vous toujours avec les hommes ?
Bien sûr ! Je préfère les jeunes – les vieux ne sont pas drôles. Le besoin d'avoir un partenaire avec lequel vous pouvez avoir une conversation agréable et stimulante ne disparaît jamais, quel que soit votre âge. Mais je ne veux pas de petit ami – à mon âge, ce serait un fardeau plus qu'autre chose. Bien entendu, quand j'étais plus jeune, je voyais les choses différemment. Je faisais beaucoup d'efforts à l'époque – j'étais sportive, branchée et élégante. J'avais beaucoup de soupirants.

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S'il s'agissait d'un rencard, qu'attendriez-vous de moi ?
Une compréhension et une appréciation vis-à-vis des choses qui m'intéressent. C'est ce qui compte le plus pour moi.

Quelle est votre boisson préférée ?
Le Campari orange ou quelques gorgées de très bon cognac. Vous aussi, vous devriez apprendre à en boire – un bon cognac, c'est le paradis sur Terre. Quand j'avais 98 ans, j'ai rencontré quelques propriétaires de vignoble de Mayence dans une station thermale. Là-bas, nous avons passé la majeure partie de notre temps à boire au bar, et ils m'ont tout expliqué au sujet de la production du vin. J'adore les nouvelles expériences, essayer de nouvelles choses. J'ai toujours été comme ça – surtout avant la Seconde Guerre mondiale, quand j'avais la belle vie.

Quelle a été la période la plus difficile de votre vie ?
Les deux guerres mondiales, bien évidemment. Je suis née dans la région allemande des Sudètes qui, à l'époque, faisait partie de la Tchécoslovaquie, avant d'être annexée par l'Allemagne nazie juste avant la Seconde Guerre mondiale. Un de mes frères est mort dans la bataille de Moscou en 1941. Deux ans plus tard, mon autre frère a également été abattu en Russie. Mon fiancé, qui était pilote, est mort quand son avion a été abattu par les Britanniques. Nous avions prévu de nous marier après la guerre. Mon chagrin était terrible.

Après la guerre, quand j'avais 29 ans, la région a été rendue à la Tchécoslovaquie, de sorte que ma famille et moi avons été contraints de fuir en Allemagne. Nous avons parcouru 193 km depuis notre ville d'origine, Litoměřice, jusqu'à Leipzig. À l'époque, l'Allemagne était divisée en quatre zones d'occupation par les Alliés, et nous vivions dans la zone contrôlée par les Soviétiques. La vie était si difficile que j'ai cessé de faire beaucoup de choses que j'aimais, comme le chant. Je n'avais commencé à chanter que quelques années plus tôt. Enfin, je ne sais pas si l'on peut vraiment appeler ça du chant, mais disons que je fredonnais les morceaux que j'aimais.

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Quel est le meilleur moyen de traverser une période difficile ?
Le travail m'a aidée, mais il a fallu beaucoup de temps pour que mon âme soit complètement guérie.

À quel sujet devrais-je en apprendre davantage ?
L'Histoire. Les jeunes en savent trop peu au sujet de leur propre histoire et devraient faire l'effort de l'étudier. J'ai parfois l'impression qu'ils n'ont pas envie de savoir.

Y a-t-il des choses que je devrais arrêter de faire quand j'aurai atteint un certain âge ?
Ah non. Honnêtement, continuez de vivre une vie formidable, comme je l'ai fait. J'ai conduit jusqu'à l'âge de 95 ans. Finalement, j'ai décidé de renoncer à mon permis. Mais seulement parce que j'ai compris que si j'avais un accident – et même si je n'en étais pas responsable – les gens supposeraient aussitôt que c'est de ma faute, en raison de mon âge.

Pensez-vous que je devrais prendre plus de risques ?
Oui, bien sûr. Tout le monde a besoin d'excitation dans sa vie. J'ai toujours essayé de rendre ma vie aussi excitante que possible. Après la guerre, je quittais Leipzig en plein milieu de la nuit et je me faufilais dans la zone britannique, où je n'étais pas censée aller. Je m'amusais tellement que je n'avais jamais peur. J'étais une jeune femme aventurière qui n'avait rien à perdre. Pour survivre, il suffit d'un peu de chance.

Que pensez-vous de mes tatouages ?
Je les trouve horribles. Je ne comprends pas pourquoi les gens se font tatouer. Le truc, c'est que je suis assez vieux jeu. Surtout, je n'aime pas voir des femmes avec des tatouages. Pour être honnête, je n'aime toujours pas voir des femmes fumer en public. Mais à mon tour de poser des questions. Avez-vous une copine ?

Non.
Parce que vous êtes trop difficile ?

Peut-être.
Selon moi, tout le monde devrait se montrer un peu exigeant. Mais à un moment donné, il faut faire preuve de volonté. À votre âge, vous devriez envisager de fonder une famille. Si vous me demandiez en mariage là tout de suite, je ne dirais pas non.