Ismaël
Photos: Rebecca Topakian pour VICE FR
élections européennes

Avant les européennes, on a discuté avec des jeunes communistes

Focus sur cette jeunesse qui préfère la lutte des classes aux start-up.

Dimanche 26 mai, il faudra faire son choix entre une trentaine de listes si l’on souhaite voter aux élections européennes. Parmi elles, on trouve celle du Parti communiste français (PCF). À la traine dans les sondages, le communisme à la sauce française n’a pourtant pas fini de faire parler de lui. Comparé à un « cadavre qui bouge encore » par Nicolas Lecaussin, directeur de l’Institut de recherches économiques et fiscales, le PCF semble sur le chemin de la renaissance pour son patron Fabien Roussel qui prévient : « PCF is back, maintenant c’est la remontada ! ».

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Déliquescence ou résurrection, voici près d’un siècle que le Parti communiste traverse les époques, séduisant au fil du temps de nouvelles générations. Alors que les communistes n’ont pas dépassé la barre des 10% à une élection depuis 40 ans, qu'est-ce qui peut bien encore pousser ces jeunes à rêver de la Révolution ? On leur a demandé.

Manel Djadoun, 20 ans, coordinatrice nationale de l'Union des étudiants. Etudiante en sciences politiques

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Je suis née en Algérie mais je suis arrivée toute petite en France. Mon engagement militant a commencé durant mon année de terminal. Je voulais intégrer Science po Paris, alors que j’avais passé toute ma scolarité dans un lycée de banlieue. Pour la première fois, j’ai questionné ma place en tant que femme, racisée, issue des quartiers populaires, et qui porte un voile. Je viens d’une famille modeste, alors le salaire étudiant, le cadrage national des diplômes ou encore les luttes féministes ça m’a tout de suite parlé. Mon Communisme ne se résume pas seulement à la lutte des classes. Il est un combat contre tous les systèmes de dominations : classes, genres et races. J’ai très vite compris que les oppressions racistes et sexistes s'entremêlaient avec les questions de classe. C’est pour ça que je n’ai jamais voulu m’engager dans une organisation uniquement antiraciste ou féministe.

Lors du congrès du Mouvement jeunes communistes de France en janvier 2019, les camarades féministes ont pris la parole dans une tribune pour dénoncer les agresseurs sexistes et sexuels dans l’organisation, en donnant des noms. Il fallait du courage. Nous avons dû soutenir les victimes et les accompagner. Autant de moments forts, où tu te formes dans ta capacité à agir. Ce n’est pas une mince affaire : lorsque tu es une femme dans une organisation qui perpétue les violences faites aux femmes. Mais on ne peut pas être communiste si on ne mène pas véritablement la lutte contre le patriarcat. Je suis convaincue que le combat communiste est un combat féministe. L’abolition du patriarcat, qui repose sur l’exploitation économique des femmes, est indissociable de la lutte pour l’abolition du système capitaliste. La bataille féministe nous concerne toutes. J’ai signé en ce sens en 2017 l’appel de Nanterre pour une université féministe, pour l’égalité et le respect

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« Nous nous battons pour créer des cellules d’écoutes dans toutes les structures : écoles, entreprises, etc. Il faut aussi mettre en place des grosses campagnes de prévention et des cours d’éducation sexuelle dès le plus jeune âge »

À cause des baisses de subventions, les associations ne peuvent pas gérer tous les cas de violences. Nous nous battons pour créer des cellules d’écoutes dans toutes les structures : écoles, entreprises, etc. Il faut aussi mettre en place des grosses campagnes de prévention et des cours d’éducation sexuelle dès le plus jeune âge : les enfants doivent être sensibilisés à leurs corps mais aussi aux violences. Aujourd’hui, nous faisons face à des cas d’agressions dès la primaire, envers des petites filles. Pour moi, cela doit faire partie des priorités du gouvernement.

La lutte doit également se faire sur le plan juridique. Il y a aussi ici beaucoup à faire : le système patriarcal n’épargne pas nos institutions judiciaires. Depuis 2002, des militantes et intellectuelles analysent les oppressions sous un prisme intersectionnel. Le mot a même été ajouté dans les textes au dernier congrès du PCF. Auparavant, les femmes étaient une seule et même classe. Désormais, on pointe du doigt des notions essentielles : les femmes ne sont pas égales entre elles ; certaines femmes oppriment d’autres femmes. Historiquement, les milieux féministes et communistes ont trop souvent été des espaces blancs et hétérosexuels. Les questions des minorités ethniques et sexuelles ont ainsi totalement été balayées.

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Aujourd'hui, les personnes les plus exploitées, celles qui occupent les emplois les plus précaires sont les personnes racisées (femmes de ménage, etc..). Les discours communistes doivent évoluer, il nous faut prendre en considération cette réalité. Il est vrai que nos organisations sont encore trop réticentes sur les questions de race, de genre et de sexe. Il est souvent difficile de créer des solidarités collectives. Nous ne courbons pas l’échine pour autant.

Léa Tyteca, 20 ans, mouvement Jeunes communistes de France. Etudiante en philosophie

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Avec une amie on a monté l'Union nationale lycéenne, un syndicat lycéen. Elle était militante au Mouvement des jeunes socialistes et me parlait beaucoup d'antiracisme et de féminisme. C’est elle qui m'a donné envie de faire de la politique. Quelques temps après, j'ai rencontré les jeunes communistes à la fête du travailleur catalan alors que je venais de décrocher mon bac.

Si on entend crier plus fort au PCF, ou à la France Insoumise, c'est parce que les femmes de gauche ont décidé d’ouvrir la voie. Depuis le mouvement #Meetoo, le féminisme a trouvé un nouveau souffle. On m'estime politiquement, notamment dans ma fédé (66), où j'ai été candidate titulaire pour les législatives. En réaction, beaucoup d’hommes paniquent à l’idée de perdre leur privilège masculin. Et, pour les conserver, ils sont prêts à tout, même à voler des vies : les féminicides n’ont de cesse d’augmenter depuis le début de l’année. La violence des dominants s'exprime toujours comme ça, tous les moyens sont bons pour réprimer la résistance.

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« Beaucoup d’hommes paniquent à l’idée de perdre leur privilège masculin. Et, pour les conserver, ils sont prêts à tout »

Je suis active sur le terrain comme d’ailleurs presque tou-te-s les communistes. C'est la richesse de notre mouvement. Entre les réunions, les manifs, les tractages, les fêtes… on n’a pas le temps de s’ennuyer, c'est épanouissant. Mais, depuis que j’ai décidé de briser le silence sur mon agression sexuelle que j’ai subie au sein du MJCF, je me suis un peu mise en retrait.

Le couple est une véritable prison pour la femme. On sait que dans la majorité des cas, la victime connaît son agresseur. Il ne faut pas se voiler la face : les violences interviennent alors même qu’elle a déjà appelé à l'aide, qu'elle a déjà tenté de fuir. Quand elle décide de s’en sortir, l'homme ne la laisse pas faire. On retrouve les mêmes mécanismes dans une organisation politique. Les agressions sexuelles ont souvent lieu sur de jeunes militantes, comme pour les avertir de ne pas prendre trop de place. Mais, elles concernent aussi des militantes plus aguerries, notamment celles qui se revendiquent féministes de manière assumée. L'objectif, dans les deux cas, c’est de les faire taire.

On cherche à nous affaiblir, mais nous, on en ressort encore plus fortes. On a la rage de s'en sortir, d'en finir avec ces oppressions que personne ne peut éprouver à notre place. C'est ce qui m’a donné la force de porter plainte, même si je me doute que ça n'aboutira probablement pas. Aujourd’hui, je ne dis pas que je ne connais plus la peur. D’ailleurs il n’y a pas de courage sans peur. Le courage, c'est la détermination. Mes camarades et moi, on n’a pas d’autres choix que de rester déterminée. Soyons fières de nous.

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Ismaël El Hajri, 23 ans, militant communiste au Front uni des immigrations et quartiers populaires

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Dans sa jeunesse, mon père a été membre du mouvement Marxiste-Léniniste marocain Ila Al Amame, et mes siestes ont été bercées par des chants en soutien à la lutte du peuple palestinien. Bref, j’entends parler depuis toujours de communisme.

Islamophobie, mal-logement, violences policières, discriminations à l’école et au travail, les oppressions racistes sont omniprésentes. Ces discriminations spécifiques aux immigrés et à leurs enfants ont toujours été reléguées au second plan par la gauche. Et c’est toujours la même rengaine : « Ne pas diviser la classe ouvrière ». Avec le FUIQP, on cherche à construire un rapport de forces pour les imposer aux agendas de luttes de gauche. L’idée ce n’est pas de se construire contre elles, mais de tirer les leçons du passé. Au regard de l’histoire, les travailleurs immigrés ont toujours été de tous les combats. Et toujours, ils ont été lésés. Un exemple frappant : Les 30 Glorieuses. A l’école, on apprend tous que le niveau de vie des plus précaires s’est amélioré durant cette période. On ne nous dit jamais que ça c’est fait au détriment des travailleurs étrangers, en l'occurrence des maghrébins. Ici, c’est bien la conséquence d’une décision politique : les classes ouvrières françaises étaient trop organisées, trop conscientisées. Les classes dominantes ont alors craint de fortes grèves, voir une révolution. Il a donc été décidé d’aller chercher une main d’œuvre moins dangereuse de l’autre côté de la Méditerranée. Il ne s’agit pas de la dérive d’un gouvernement, mais de la construction même de notre système. Le capitalisme a généré la création de races sociales pour hiérarchiser le monde du travail.

« L'histoire du communisme en France, c’est aussi l’espoir d’une vie meilleure et la reconquête d’une dignité volée. C’est le parti de la sécurité sociale, celui qui a fait élire des ouvriers. Cette histoire, j’en suis fier »

En ce moment, on essaye d’articuler les luttes antiracistes aux luttes syndicales, car le racisme n’épargne bien entendu pas le monde du travail. Mais les syndicats ont tendance à combattre le racisme uniquement sous ses formes illégales, c’est-à-dire sous ses formes les plus grossières. Il y a donc un double enjeu : créer des espaces de discussions pour témoigner du racisme au travail. Puis, influer sur les revendications syndicales en matière de luttes antiracistes. Or, c’est lorsque le racisme fait système qu’il est le plus violent. Saïd Bouamama – sociologue et militant du FUIQP – l’explique très bien : je peux toujours ignorer mon voisin raciste. Par contre, s’il a les moyens de me le faire payer sur mon logement, ma santé, mon travail, mes loisirs, c’est une tout autre chose.

L'histoire du communisme en France, c’est aussi l’espoir d’une vie meilleure et la reconquête d’une dignité volée. C’est le parti de la sécurité sociale, celui qui a fait élire des ouvriers. Cette histoire, j’en suis fier. Il y a aussi le communisme municipal : ces villes populaires qui défendent le droit pour tous à la santé, à la culture et au loisir. Petit, j’ai bénéficié de toutes ces activités grâce à la ville d’Allonnes (72), et à ma mère qui m’y inscrivait. On taxe trop souvent les communistes d'utopistes. Ces villes sont la preuve qu’un autre monde est possible.

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