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Déclarer qu’il y a « urgence climatique » est insignifiant si l’on n’agit pas

Une leader des grèves étudiantes pour le climat dit que la motion des Libéraux n’est qu’un « coup publicitaire ».
Déclarer qu’il y a « urgence climatique » est insignifiant si l’on n’agit pas
Photo via The Canadian Press

L'article original a été publié sur VICE Canada.

Le Canada pourrait déclarer qu’il y a urgence climatique, mais les détracteurs disent que la motion ne sert essentiellement à rien quand les mesures adoptées par le pays pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris sont insuffisantes, et que cette déclaration n’oblige pas le gouvernement à les renforcer.

Avec cette motion, présentée le 13 mai par la ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Catherine McKenna, et qui fait l’objet de débats depuis, le gouvernement se propose de déclarer que les changements climatiques sont « une crise réelle et urgente, causée par l’activité humaine ».

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On ajoute que les Canadiens sont déjà affectés par les changements climatiques, notamment par des inondations, des feux de forêt, des vagues de chaleur et d’autres phénomènes extrêmes « qui selon les prévisions vont s’intensifier dans l’avenir » et exigent que le gouvernement canadien réduise davantage ses émissions de gaz à effet de serre, conformément à l’Accord de Paris.

Cette déclaration a pour but de signaler à la population et au reste du monde que le gouvernement prend cet enjeu au sérieux. Si la motion est adoptée, le Canada sera le troisième pays au monde à déclarer qu’il y a urgence climatique, après le Royaume-Uni et l’Irlande.

Au Canada, les adolescents ont organisé des journées de grèves et des manifestations chaque vendredi pour demander au gouvernement de déclarer qu’il y a urgence. Rebecca Hamilton, 16 ans, leader des grèves étudiantes à Vancouver, dit que « reconnaître officiellement que nous sommes dans une crise est important », mais que « ça ne veut rien dire si on ne prend pas des mesures spécifiques et concrètes ».

« L’avenir de ma génération ne peut pas servir de monnaie d’échange ou de moyen de faire un coup publicitaire, dit-elle. C’est le plus grand défi auquel notre civilisation ait jamais fait face. Il est temps de reconnaître qu’on est dans un état d’urgence, mais, ce qui est encore plus important, c’est de faire quelque chose. »

Cameron Fenton, porte-parole de 350.org, une ONG internationale de lutte contre le réchauffement climatique, estime qu’il y a un risque que la formule « urgence climatique » perde son sens avec le temps si aucune action n’accompagne la déclaration. Le gouvernement de Justin Trudeau « dit les bonnes choses sur les changements climatiques, mais ne fait rien », ajoute-t-il.

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« Nous avons volontairement choisi de ne pas joindre d’implications politiques pour nous assurer que ce débat reflète la nature non partisane de l’urgence climatique », a dit Caroline Thériault, la directrice adjointe des communications de la ministre de l’Environnement. « Aucun des politiciens de la Chambre des communes n’a de raison de ne pas voter en faveur de cette motion. »

En décembre 2015, le gouvernement libéral nouvellement élu a rencontré les chefs de 194 autres pays à Paris et s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 30 pour cent sous le niveau de 2005 avant 2030, un objectif sans ambition.

Le Climate Action Tracker, un site web d’analyse indépendant réalisé par trois organismes de recherche et qui surveille 32 pays responsables de 80 pour cent des émissions internationales, montre qu’en novembre 2018, les mesures adoptées par le Canada pour lutter contre les changements climatiques étaient « hautement insuffisantes ».

L’an dernier, Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) a prévenu le monde que nous n’avons que 12 ans pour réduire nos émissions de moitié afin de limiter la hausse du réchauffement planétaire à 1,5 °C et éviter de plus catastrophiques vagues de chaleur, feux de forêt, sécheresses et inondations.

En grande partie, les mesures du Canada pour réduire les émissions se résument à une taxe carbone, qui fait payer les ménages et les compagnies pour leurs émissions de dioxyde de carbone. Des économistes disent que le montant de la taxe canadienne, qui passe de 20 $ la tonne en 2019 à 50 $ la tonne en 2022, est insuffisant pour que le pays respecte les engagements de l’Accord de Paris. Il devrait être d’environ 200 $ la tonne.

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Le prolongement du pipeline du projet Trans Mountain, qui permettrait de tripler la quantité de pétrole acheminé de l’Alberta à la côte ouest du pays, à partir d’où il peut être exporté dans le monde, haussera les émissions de gaz à effets de serre. Un économiste de l’Université Simon Fraser a estimé que la vaste majorité des gaz à effet de serre résultant de la construction de ce pipeline, 89 pour cent, soit 86,1 mégatonnes par année, seraient émis à l’étranger. Le gouvernement s’attend à ce que la taxe carbone réduise les émissions de 80 à 90 mégatonnes en trois ans, une réduction que la construction du pipeline annulera donc largement.

D’après Environmental Defence, une ONG canadienne qui contribue à la lutte contre les changements climatiques, les subventions accordées par le Canada à l’industrie des énergies fossiles « sont l’éléphant dans la pièce », totalisant 3,3 milliards de dollars par année, ce qui équivaut à verser aux pollueurs 19 $ par tonne de pollution.

Le 13 mai, jour même où Catherine McKenna proposait la motion, le chef du NPD, Jagmeet Singh, présentait une motion semblable : il proposait que le pays déclare l’urgence climatique, mais aussi qu’il se donne des objectifs plus ambitieux pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C, qu’il annule le prolongement de pipeline Trans Mountain et qu’il cesse immédiatement de verser des subventions à l’industrie des énergies fossiles.

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En réponse au chef du NPD, Catherine McKenna a dit que cette dernière proposition pose problème. « Pensons aux conséquences, a-t-elle dit aux journalistes le 15 mai. Il y a des Inuits et d’autres populations dans des communautés du nord du pays à qui on donne des avantages fiscaux, parce que la vie doit être abordable. Si on supprime immédiatement ces subventions, elle deviendrait très chère. »

Un porte-parole du NPD a fait remarquer que l’on parlait des producteurs, et non pas des communautés.

Le bureau de Catherine McKenna a répondu qu’elle savait qu’il fallait en faire davantage et que d’autres initiatives seraient prises. « Le plan du Canada pour le climat compte plus de 50 mesures pour réduire la pollution des édifices, des transports, de l’industrie, dans plusieurs secteurs de notre économie, dit sa directrice adjointe aux communications. Nous savons que nous devons en faire plus et nous continuerons à hausser nos ambitions à mesure que les mesures de notre plan sont mises en place. On a besoin de plus d’actions d’urgence. »

D’après les données du gouvernement, l’industrie est le plus important émetteur de gaz à effet de serre, responsable de 40 pour cent des émissions totales au Canada. Pour les réduire, le gouvernement dit investir dans les technologies propres, améliorer l’efficacité énergétique, adopter une Norme sur les combustibles propres et faire payer les émissions avec la taxe carbone.

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Et les émissions du secteur des transports comptent pour 25 pour cent des émissions totales. Mardi dernier, le gouvernement fédéral a annoncé qu’il allait soutenir la campagne « Drive to Zero », une initiative proposée pour hausser la production de camions et d’autobus « zéro émission ». Le gouvernement mettra aussi fin progressivement aux activités des centrales au charbon.

Cameron Fenton encourage les Canadiens à exiger un Green New Deal, comme celui qu’a proposé Alexandria Ocasio-Cortez, représentante de New York à la Chambre des représentants des États-Unis.

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« La triste réalité, dit-il, c’est que pour agir contre les changements climatiques, il faut s’opposer à l’industrie pétrolière, laisser les combustibles dans le sol et faire preuve d’un courage politique que notre gouvernement n’a pas été capable ou n’a pas eu la volonté d’avoir. »