Avec celles qui vendent des sapins de Noël
Toutes les photos sont de Fabrice Gaëtan

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photoreportage

Avec celles qui vendent des sapins de Noël

Backpackers dans la vingtaine, elles ont posé leur sac à dos un instant pour ensuite repartir voyager, les poches renflouées. Rencontre avec quatre vendeuses de sapins qui dorment dans des roulottes.

L'image stéréotypée du bûcheron québécois est un gars costaud, plutôt rustre, qui porte la barbe fièrement. Elles s'appellent pourtant Aurélie, Marye et Roxanne fois deux. Quatre travailleuses saisonnières qui tiennent des stands de sapins 24 heures sur 24 dans des parkings de quincailleries de la Rive-Sud de Montréal jusqu’à Noël.

Aurélie

« N’oubliez pas de le mettre dans l’eau en arrivant chez vous », recommande Aurélie à un client avant d’entailler le pied du sapin à la scie à chaîne. Des arbres, des couronnes de Noël et des rennes en bois entourent la jeune femme. Un chien la regarde par la fenêtre d’une petite roulotte beige égayée par une guirlande de lumières. C’est la maison d’Aurélie pour 40 jours, alors qu’elle vend les sapins et veille sur la petite forêt temporaire qui se dresse au milieu du « bucolique » stationnement d’un Canadian Tire de Longueuil.

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« Les gens sont surpris de trouver une fille ici pour leur vendre, couper, emballer et attacher un sapin sur le toit de leur voiture », rigole la jeune femme de 25 ans.

Le plancher et les coussins usés du divan-lit laissent deviner qu’Aurélie est loin d’être la première à séjourner dans la petite roulotte. Mais pour elle, c’était une occasion à ne pas rater. Backpacker niveau expert, la jeune femme est « nomade », dit-elle, depuis huit ans. Bahamas, Cuba, Mexique, États-Unis d’un bout à l’autre, Ouest canadien… « Je fais des emplois saisonniers, des rénovations, des ménages. J’ai voyagé en voiture, en campeur, sur le pouce. » Et toujours avec son chien Red, acheté en Californie et rebaptisé Rojo au Mexique.

« C’est vraiment le job idéal pour les voyageuses », dit-elle en réchauffant son café dans une casserole. Tu dois être là 24 heures sur 24, donc tu ne peux pas sortir pour dépenser et tu n’as pas de loyer à payer. Ça te permet de ramasser un bon montant d’argent pour repartir. »

Sur la Rive-Sud, toutes les vendeuses de sapins rencontrées recevront 3000 $ à la fin de leur contrat. Et « contrat » est un grand mot. Rien n’est signé, rien n’est déclaré.

Ironiquement pour Aurélie, son job parfait pour grande voyageuse l’aidera, espère-t-elle, à se poser un moment. « J’essaye d’arrêter de voyager un peu », dit-elle sur le ton qu’aurait pris une fumeuse qui veut écraser. « Vivre en nomade est facile pour moi. C’est simple de se sauver de ses responsabilités. »

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La nomade qui s’est trouvé une coloc et un appart à Montréal, une grande première, veut utiliser les sous qu’elle fera avec la vente de sapins pour réparer sa voiture – qu’on boostera avant de repartir – et peut-être laisser son chien à sa coloc un temps, troquant la route pour les airs et découvrir l’Espagne.

Les Roxanne

On rejoint les deux Roxanne dans leur roulotte du stationnement du BMR de Saint-Basile. « Ça fait une éternité que je n’avais pas eu de chez moi, dit une des deux jeunes filles. Ici, on a une roulotte juste à nous. On capote. »

Comme Aurélie, Roxanne et Roxanne en sont à leur première expérience de vente de sapins. Les jeunes filles de 20 et 23 ans se promènent elles aussi beaucoup entre la Colombie-Britannique, les États-Unis et le Mexique. Depuis qu’elles ont 16 ou 17 ans, elles alternent entre le vagabondage, le travail saisonnier et le wwoofing, qui consiste à travailler sur une ferme en échange d’un toit et d’un repas.

Des dessins collés au petit frigo, des casseroles empilées sur la cuisinière, des vêtements et des bagages un peu partout, leurs deux chiens couchés sur le lit, leurs instruments de musique sur la banquette… « Il fait un peu froid la nuit, mais on a une chaufferette et on a tout ce qu’il nous faut », dit Roxanne.

Un client arrive. « On fait roche-papier-ciseau pour savoir qui y va? » demande-t-elle à son acolyte. C’est ma méthode pour prendre pas mal toutes mes décisions dans la vie! » ajoute-t-elle en emplissant la roulotte de son rire franc et contagieux.

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« Moi, j’aime travailler dehors, dit l’autre Roxanne. Je ne me verrais pas avoir un petit travail normal. Ne pas savoir ce que je fais le lendemain, ça me motive. Ce mode de vie là m’a aidée à combattre mon anxiété. Je me suis rendue à un point où je suis un peu dans la misère, il n’y a rien qui peut me mettre à terre en ce moment. N’importe quelle situation, been there, done that. »

« Moi, ça fait six ans que je vis de même, c’est sûr que ma mère capote un peu, renchérit son amie. J’ai eu des problèmes d’héroïne, mais je m’en suis remise et je me suis reprise. »

Après avoir passé Noël en Gaspésie avec sa famille, la plus jeune prévoit aller en Floride ou en Louisiane. « Moi, j’irai peut-être en Espagne après, c’est mon gros projet, sinon en Louisiane aussi à la fin de notre contrat », dit l’autre Roxanne.

Et même si elles sont deux à travailler, elles se partageront le même 3000 $ que les autres. « Ça fait des années qu’on voulait passer plus de temps ensemble et faire de la musique. Là, on tripe! » dit la Roxanne qui empoigne sa guitare, alors que l’autre accorde son banjo.

« On aimerait bien aller jammer en Louisiane », rêvent-elles en entonnant une de leur composition, entrecoupée de rires et de clins d’œil complices.

Marye

On cogne finalement à la porte de Marye, qui a pignon sur rue devant le Rona de Belœil. Vendeuse de sapins pour une deuxième année – elle aussi en compagnie de son chien –, c’est grâce à elle si les trois autres filles ont pu dénicher cet emploi cette année . « Entre travailleurs saisonniers, on se partage des plogues », dit la jeune femme de 24 ans en nous invitant à entrer.

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Si la vente de sapins est reconnue pour être lucrative ici, ça l’est encore plus à New York, affirme Marye. « Il paraît que c’est une vraie mafia à New York et que c’est super payant. Mais ils n’ont pas de roulotte fournie. C’est très difficile et il faut qu’ils se débrouillent. » Dépendamment de plusieurs facteurs et du nombre d’arbres qu’ils vendent, certains affirment pouvoir faire jusqu’à 25 000 $ pour une saison.

Marye et son chum finiront quant à eux la saison avec 6000 $ en poche à deux, ayant décidé de travailler séparément. Elle à Belœil, lui à Montréal-Nord. Voyageant ensemble depuis quatre ans, ils ont maintenant une petite run de lait d’emplois saisonniers bien rodée. Le Honduras, le Guatemala, le Mexique, les États-Unis, l’Ouest canadien. Après avoir fait leur argent avec la vente de sapins et quelques événements montréalais comme l’Igloofest et Montréal en lumières, le couple prévoit demander un visa de travail et s’exiler en Europe pour un an.

Ensuite, Marye songe à ralentir la cadence. « On aimerait se construire une cabane sur un terrain, où on vivrait avec nos chiens de ce qu’on produirait », rêve la jeune fille.

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