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Sports

A la rencontre du boss des hools anarchistes de Manchester City

"Little Benny" adore le foot et la chasse aux skins.

Deux choses m'ont frappé quand les supporters débiles de Chelsea se sont brillamment distingués en insultant un Noir dans le métro de Paris au mois de février 2015. D'abord, le côté déprimant de voir ce genre de comportement se perpétuer, puis, aussi, le fait que les médias utilisent indistinctement les termes "hooliganisme" et "racisme". Comme si l'un n'allait pas sans l'autre. Or, l'un va sans l'autre, je peux vous l'assurer.

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Evidemment que dans ce cas précis, les chants racistes relèvent du hooliganisme. Mais sachez que j'ai rencontré plusieurs membres de différentes firmes, et je me suis rendu compte que si beaucoup d'entre eux étaient très radicaux politiquement, tous ne penchaient pas forcément vers l'extrême droite. D'autres sont en effet très ancrés à gauche, et ça, on a trop souvent tendance à l'oublier.

Le meilleur exemple de ce genre de mec antifa convaincu s'appelle "Little Benny" Bennion. Il a créé la firme des Young Guvnors, un groupe de hooligans qui défend les couleurs de Manchester City. Il prône l'abolition pure et simple de la monnaie, le retour au troc, et a empêché le National Front, un parti britannique très à droite, plus que Ukip, d'infiltrer le milieu du hooliganisme dans le stade de City dans les années 80.

J'ai pu le rencontrer récemment et discuter avec lui de sa vision du hooliganisme, de l'émergence de l'extrême droite dans le milieu du foot et des bastons entre les différentes firmes du pays.

Andrew "Little Benny" Bennion

VICE: Les médias britanniques ont comparé ce qu'il s'est passé à Paris avec les supporters de Chelsea aux plus belles heures du hooliganisme anglais des années 70 et 80. Vous pensez que c'est justifié ?
Benny: Ils pensent sérieusement que les mecs qui étaient à Paris portent des Doc Martens et des tatouages "love" et "hate" sur leurs phalanges ? C'est pas du tout le cas. Je pense qu'ils font cet amalgame car le National Front était très implanté dans les tribunes de Chelsea lorsqu'il était au sommet de sa popularité. Si vous réfléchissez deux secondes à ce qu'est Chelsea, c'est une commune très riche et conservatrice. Alors que si vous venez voir un match de City aujourd'hui, vous vous retrouvez au milieu de Moss Side, un quartier assez représentatif de ce qu'est la ville. Des gens modestes, donc forcément moins conservateurs et plus libéraux. Le constat, c'est que oui, en Angleterre, les supporters les plus rétrogrades viennent des quartiers riches. Dans le Kent par exemple, on retrouve pas mal de racistes.

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J'ai une bonne métaphore pour vous faire comprendre ça. Quand j'étais gamin, il m'arrivait de dormir dans la rue de temps en temps pour échapper à ma belle-mère qui me maltraitait. Une nuit d'hiver où il faisait très froid, je m'étais pelotonné contre l'entrée d'un marché d'un quartier huppé pour profiter de la chaleur relative qui en émanait. Je me suis fait hurler dessus direct, les gens craignaient que je sois là pour faire des cambriolages. Une autre nuit toute aussi froide, je dormais avec des journaux en guise de couverture sous une benne à ordures dans le quartier de Gorton, un endroit très classe moyenne voire prolo. Une vieille dame est sortie de chez elle au petit matin et m'a offert une tasse de thé. Je pense que le même mécanisme est à l'oeuvre à l'échelle nationale, et que Chelsea est à l'image de ces quartiers riches, fermés et intolérants.

Les Young Guvnors ont été démantelés par la police dans les années 80.

Lors de nos dernières conversations, vous avez souvent expliqué que le hooliganisme avait à voir avec la lutte des classes. Quel est le lien entre les deux ?
Eh bien, j'en reviens à ce que je viens de t'expliquer. Les riches conservateurs qui possèdent les richesses sont aussi les premiers à s'armer contre ce qui pourrait menacer leur supériorité économique, et, s'il le faut, régler le problème par la violence. Tout ça vient d'un truc ancestral et viscéral : quand un humain possédait un cheval, un autre arrivait et se battait avec lui pour le lui piquer. Sauf qu'à l'époque, le rapport de force était équitable. Aujourd'hui, les structures de la société permettent aux détenteurs du pouvoir d'affaiblir autant que possible les classes laborieuses. Regardez comment les mineurs ont été traités en Angleterre dans les années 80/90. Ou les dockers ! Les élites et le gouvernement essayent de circonscrire et d'affaiblir les hooligans parce qu'ils savent que nous sommes conscients que nous n'avons que nos poings pour reprendre un peu de pouvoir. Et ça leur fait peur.

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Dans les années 80, vous étiez un des principaux leaders du mouvement de lutte et d'exclusion des membres du National Front hors des limites de Maine Road, l'ancien stade de City. Racontez-nous cette période agitée…
Dans les années 80, je vivais à Gorton, toutes les vieilles maisons étaient détruites pour laisser place à de nouveaux projets immobiliers. Certains appelaient ces projets "le village Paki" ou utilisaient l'acronyme "WIMPEY" pour "We Import More Pakis Every Year", soit "Nous Ramenons Toujours Plus de Pakistanais Chaque Année"

Parmi les plus vieux, certains parlaient mal des Noirs aussi. J'aimais pas ça, et les mecs de couleur qui venaient voir les matches non plus d'ailleurs. Les émeutes de Moss Side, Toxteth et Brixton (affrontements intercommunautaires dans l'Angleterre des années 80, ndlr) venaient tout juste de se terminer, mais les tensions raciales étaient encore très vives. Le contexte était parfait pour le National Front qui gagnait du terrain chaque jour. Ils avaient aussi bénéficié de la guerre des Falklands et de tout ce discours patriotique absurde développé par Thatcher et des canards comme The Sun.

Quand j'ai commencé à faire mon trou dans le milieu hool de Manchester, le NF avait la mainmise sur la ville et lorgnait sur le stade, qui est un lieu de politisation stratégique pour un parti comme celui-ci. J'avais plein d'amis noirs originaires de Moss Side qui se faisaient emmerder tous les jours par des skinheads soutenus par le NF. On a décidé qu'on allait contre-attaquer et montrer aux sympathisants du National Front ce qu'ils étaient vraiment, à savoir de gros abrutis. Ils ne venaient pas au stade pour le foot, ils foutaient la merde et brisaient le sentiment d'unité qui liait les supporters de City. Alors on a simplement fait preuve de courage en allant les voir et en leur disant « Vous pouvez jeter vos tracts à la con et aller vous faire foutre. On ne veut pas de vous ici. Vous n'êtes pas les bienvenus, et vous allez avoir de gros ennuis si jamais vous osez revenir. »

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The Guvnors dans les rues de Manchester à l'aube des années 80.

Par rapport à vos positions anti-racistes, comment vivez-vous l'association permanente opérée par les médias entre hooliganisme et extrême-droite ?
Ça donne une image faussée et négative des hooligans, qui passent pour des débiles en boots et bombers, alors que la structure même des firmes est peut-être l'une des plus démocratiques qui existent dans notre société actuelle. Les dominants nous critiquent, mais nous avons notre propre système de gestion, ce qui est au passage un signe d'intelligence. Alors bien sûr je pense qu'un fort pourcentage des mecs d'extrême-droite s'intéressent au foot, mais ça ne signifie pas pour autant que la majorité des fans de foot sont des fachos. C'est grégaire de penser ça, et c'est anti-démocratique, car la base de notre société reste d'accepter les points de vue contradictoires et les différences.

Les médias parlent très peu des hools d'extrême-gauche. Pourquoi ?
Le truc, c'est qu'ils aiment bien catégoriser les gens.

Des membres des Guvnors attendent leurs adversaires

Pour résumer, quel message voulez-vous faire passer aux gens qui pensent que tous les hooligans sont d'extrême-droite ?
Ils ne doivent pas croire tout ce qui s'écrit dans les journaux. On peut être accusé de bien des choses, mais pas de ça.

Merci Benny.