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Société

La justice belge pourrait interdire l’Église de scientologie dans le pays

Depuis le début de la semaine, l’Église de scientologie belge est jugée pour avoir mis sur pied une « organisation criminelle » en s’étant rendu coupable de « fraude, de pratique illégale de la médecine, de violation de la vie privée et d’extorsion ».
Pierre Longeray
Paris, FR
Le "Big Blue Building" de l'Église de Scientologie à Los Angeles aux États-Unis (Photo via Wikimedia Commons)

« 2 000 euros ? Ce n'est pas un peu excessif pour des vitamines et des séances de sauna ? » demande le juge Yves Régimont, en charge du procès de la Scientologie en Belgique, à Vincent G., qui était président de l'Église belge au début des années 2000. « À dire vrai, les vitamines ne sont pas comprises dans le prix, » répond laconiquement le scientologue.

Depuis le début de la semaine, l'Église de scientologie belge et certains de ses membres (ou anciens membres) se retrouvent sur le banc des accusés à Bruxelles pour avoir mis sur pied d'après le procureur une « organisation criminelle » en s'étant rendu coupable de « fraude, de pratique illégale de la médecine, de violation de la vie privée et d'extorsion ».

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Si la justice Belge estime que les associations sans but lucratif (asbl) Église Scientologie Belgique et l'asbl Eglise Scientologique Europe sont bien des organisations criminelles, comme le pense l'accusation, l'Église de scientologie pourrait être interdite en Belgique. Le verdict est attendu d'ici la fin de l'année.

L'enquête courrait depuis 1997, date à laquelle les premières plaintes avaient été déposées contre les scientologues belges. Pour les membres de l'Église, ce procès va être l'occasion de « dénoncer les graves abus qui ont émaillé ces 18 années d'acharnement judiciaire », ont-ils fait savoir dans un communiqué avant le début du procès.

Contacté par VICE News, Éric Roux, le porte-parole de l'Église de scientologie en Belgique, explique que ce procès vise à « détruire la croyance des scientologues. » Roux rejette toutes les charges qui pèsent sur l'Église, qui reposent sur une « interprétation hors contexte des écrits scientologiques. »

Le porte-parole souhaite qu'on « ne fasse pas une généralité des actions d'une extrême minorité, » visant ceux qui ont pu porter plainte contre l'Église ou se rendre coupable de malversations. « Forcer la main n'est pas dans la politique de l'Église, » explique Roux, » Les accusations de fraude ou d'extorsions ne sont pas tenables puisque les gens le font librement. L. Ron Hubbard [le créateur de la scientologie] explique justement qu'on ne peut pas forcer quelqu'un à suivre la scientologie, sinon cela ne fonctionne pas. »

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La justice belge juge deux dossiers distincts. Le premier concerne des anciens membres qui ont déposé plainte contre l'Église de scientologie. La deuxième partie du dossier concerne des annonces parues dans des journaux gratuits pour des formations à la scientologie.

L'un des projets de l'Église de scientologie, c'est de permettre à ses fidèles de trouver ce qui est appelé « l'état de Clair », que l'on atteint en se débarrassant de toutes ses névroses liées à l'enfance, mais aussi à ses vies antérieures ou son expérience en tant que foetus. Pour cela, il faut suivre des formations souvent coûteuses. La justice belge se penche entre autres sur le coût, les méthodes et l'efficacité de ces formations.

La scientologie en Europe

Aux États-Unis, où elle a été créée dans les années 1950 par l'auteur de science-fiction L. Ron Hubbard, la Scientologie bénéficie du statut de religion depuis 1993. Elle y est si bien intégrée qu'il pourrait bientôt y avoir un sénateur scientologue au Capitole, le républicain David Jolly. En revanche, avant d'obtenir le statut de religion, l'Église avait dû faire face à un long combat aux États-Unis, entre 1967 et 1993, quand l'IRS (le service des impôts) lui avait retiré le statut d'organisation exemptée d'impôts.

En Belgique, la Scientologie est régulièrement qualifiée de « secte » dans des travaux parlementaires. Pour Catherine Sägesser, chercheuse à l'Observateur des religions et de la laïcité à l'ULB (Bruxelles), la scientologie n'est pas vue de la même manière aux États-Unis et en Belgique pour trois raisons distinctes.

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« Il existe en Belgique, contrairement aux États-Unis, une attitude de méfiance globale face au phénomène religieux — il y a beaucoup plus d'athées en Belgique qu'outre-Atlantique, » explique à VICE News la spécialiste des religions. « Deuxièmement, en Belgique, la religion est associée au catholicisme, qui a été le culte dominant pendant des siècles dans le pays. Aux États-Unis en revanche le pluralisme religieux était présent dès la fondation de l'État américain. Enfin, il y a la question financière : en Belgique on s'attend à ce que le culte soit gratuit, contrairement aux États-Unis où argent et religion sont bien plus liés. »

L'organisation rencontre aussi des difficultés hors de la Belgique, dans d'autres pays d'Europe, bien qu'elle soit reconnue comme religion en Croatie, en Espagne, au Portugal, en Suède ou encore en Slovénie.

En 2012, deux entités de la Scientologie ont été condamnées en France pour « escroquerie en bande organisée » à 200 000 et 400 000 euros d'amende. Cinq scientologues avaient également été condamnés, dont deux à 30 000 euros d'amende et des peines de prison avec sursis. Les prévenus étaient accusés d'avoir profité de la vulnérabilité d'anciens membres pour leur soutirer de l'argent.

En Suisse, ce jeudi, le Grand conseil bâlois (le Parlement du canton de Bâle) a décidé, à l'issue d'un vote très disputé, d'accepter une motion qui vise à restreindre les droits de la scientologie. Le recrutement actif dans la rue pourra être plus sévèrement puni, et la croix qui orne le plus grand centre de scientologie de Suisse, inauguré en grande pompe à Bâle en avril dernier, pourra aussi être retirée. De plus, le Grand conseil demande que le statut de communauté religieuse soit retiré à la scientologie. Le Ministère public doit désormais étudier cette proposition.

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Cette semaine la justice belge ne cherche pas à juger l'aspect sectaire ou religieux de l'organisation, mais uniquement de chercher à savoir si l'Église de Scientologie de Belgique s'est rendue coupable de pratiques frauduleuses et d'extorsion. Toutefois si les asbl de la scientologie en Belgique sont reconnues comme des organisations criminelles, de fait l'Église n'aurait plus d'existence en Belgique, du moins sous sa forme actuelle.

« Il n'y a pas de définition légale du terme secte dans la loi belge, » rappelle justement Catherine Sägesser. Il n'y a pas non plus de définition légale de la religion, mais uniquement des cultes.

« La scientologie n'est pas un culte reconnu en Belgique, mais cela ne change rien à leur liberté de pratiquer, » explique à VICE News, Eric Brasseur, président du CIAOSN (le Centre belge d'information et d'avis sur les organisations sectaires nuisibles). « Le fait d'être une organisation controversée ne suffit pas à leur imposer une interdiction de pratiquer, » précise le président du centre qui dépend du ministère de la Justice belge.

Programmes de purification, dossiers éthiques et points bonus

Onze membres et anciens membres de l'Église de scientologie belge, ainsi que des asbl Église de Scientologie Belgique et Église de Scientologie Europe ont défilé tout au long de cette première semaine d'audience pour répondre notamment aux accusations de fraude.

Lundi, la première audition de la semaine a commencé par une histoire de gros sous. La justice entendait l'ancienne trésorière de l'Église de scientologie belge, Anne-France H. Elle explique que l'Église belge faisait rentrer 5 000 euros par semaine dans ses caisses. « 2 000 [euros] provenaient de la vente de matériaux comme les livres et les vidéos et 3 000 [euros] provenaient de la vente des cours et formations, » a expliqué l'ex-trésorière, qui précise que les scientologues gagnent des « points bonus » et des primes quand ils vendent un certain nombre de livres.

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Le juge Yves Régimont, qui mène les débats avec vigueur et malice, a ensuite appelé à la barre, Vincent G. qui était président et directeur de l'Église belge de la Scientologie en 2000. Le président du tribunal cherche à savoir comment Vincent G. peut avoir versé 40 000 dollars à l'association internationale des scientologues (IAS), tout en travaillant à mi-temps à Lausanne et dire « vivre très bien ».

Après les questions d'argent, le juge est revenu sur le « programme de purification » (une cure de séances de sauna et de vitamines) proposée par l'Église et facturée entre 1 000 et 2 000 euros, d'après Vincent G. Pour le prévenu, ces cures ne consistent en rien une pratique illégale de la médecine. Il a expliqué que les cures lui avaient fait le plus grand bien. « J'avais subi des anesthésies à l'adolescence pour des opérations dentaires et lors de cette cure j'ai vraiment ressenti les produits de l'anesthésie ressortir, » a expliqué Vincent G.

Pour clôturer la première journée d'audience lundi, le président a interrogé Vincent G. sur les dossiers éthiques qui suivent les membres de l'Église — une sorte de casier judiciaire d'après le juge, ce qui pourrait constituer une violation de la vie privée. « Nous fonctionnons différemment, sans utiliser ragots et bruits de couloirs, » répond laconiquement Vincent G, qui dit « recevoir [ses] ordres de L. Ron Hubbard [décédé en 1986] » — donc de « l'au-delà » lui a fait remarquer Yves Régimont, avant de mettre fin à la journée, vraisemblablement agacé par le mutisme du prévenu.

Les jours suivants les débats se sont embourbés, les prévenus ont relaté les mêmes histoires et ressorti les mêmes éléments de langage, selon certains journalistes présents à l'audience.

« Difficile de comprendre pourquoi tout le monde s'intéresse à ce procès, alors qu'il n'y a sans doute pas plus de 400 scientologues en Belgique, » explique Éric Brasseur.

Le réquisitoire très attendu, sera prononcé le 9 novembre.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter : @PLongeray