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Société

22 morts en 48 heures après des affrontements entre Arabes et Berbères dans le sud de l’Algérie

Le président algérien a envoyé un chef militaire pour rétablir l’ordre dans la région de Ghardaïa, à 600 kilomètres au sud d’Alger.
Pierre Longeray
Paris, FR
Photo via Flickr / Daggett.fr

22 personnes ont été tuées et des dizaines ont été blessées en deux jours, au cours d'affrontements qui opposent des membres des communautés Berbères et Arabes, dans la région de Ghardaïa, aux portes du Sahara en Algérie. Ce bilan a été donné mercredi après-midi par la préfecture de Ghardaïa, citée par l'agence d'information APS.

Ce mardi et ce mercredi, trois villes ont particulièrement été touchées. Ghardaïa (la capitale de région), Guerrara (à 120 kilomètres au nord-est de Ghardaïa) et Berriane (45 kilomètres au nord de Ghardaïa) ont été les théâtres d'incendies de maisons et de locaux, de meurtres et d'affrontements directs entre les deux communautés. On ne connaît pas le détail de l'appartenance communautaire des morts pour le moment.

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Le président de la République algérienne, Abdelaziz Bouteflika, a convoqué ce mercredi une réunion d'urgence inédite pour renforcer le dispositif de sécurité dans la région. Des renforts ont été envoyés d'Alger selon France 24. Un communiqué de la présidence, diffusé après la réunion d'urgence, indique que « Le chef de l'État a chargé le commandant de la 4e région militaire [dont dépend Ghardaïa] de superviser l'action des services de sécurité et des autorités locales concernées pour le rétablissement et la préservation de l'ordre public, » dans la zone.

Depuis deux ans et demi, les Chaambas (des Arabes de confession musulmane sunnite) et les Mozabites (des Berbères de confession musulmane ibadite) s'affrontent régulièrement dans cette vallée du Mzab, après avoir vécu des siècles de cohabitation pacifique. Une dizaine de personnes avaient perdu la vie lors de ces affrontements qui s'étaient déroulés entre 2013 et 2014. En seulement 2 jours, la région a connu plus de morts, causés par ce conflit, qu'au cours des 2 dernières années.

Dans la matinée de mercredi, 19 personnes ont été tuées à Guerrara. Des groupes armés arabes auraient attaqué des quartiers mozabites de la ville, avant que les Mozabites ne ripostent. Selon une source, citée par le journal Jeune Afrique, il y aurait des morts « par armes à feu ». D'après un responsable local cité par Le Figaro, « La plupart des victimes sont mortes après avoir été frappées à la tête par des projectiles. » La veille, 3 personnes avaient été tuées dans des affrontements similaires dans la ville de Berriane.

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« C'est un véritable carnage. Depuis deux jours, nous avons des affrontements directs entre les deux communautés. La police n'est intervenue qu'à la fin des affrontements, ce qui explique probablement le bilan élevé, » confie ce jeudi matin, à VICE News, Inab Boubekri, chargé de communication pour la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme (LADDH). Boubekri note aussi que l'architecture même des villes touchées, « composée de nombreuses ruelles, » ne facilite pas le travail des forces de l'ordre.

Contacté aujourd'hui par VICE News, le ministère de l'Intérieur algérien n'a pas été en mesure de répondre à nos questions sur le travail de la police dans cette zone.

Les Mozabites — sont installés dans la région du Mzab depuis des siècles. Inab Boubekri indique que la communauté mozabite était historiquement majoritaire démographiquement dans la région. Mais aujourd'hui ce sont les Arabes Chaamba qui le sont — les Mozabites craindraient désormais une arabisation de la zone, c'est une des explications qui revient souvent chez des observateurs. Des Mozabites estiment aussi que les forces de police sont favorables aux Arabes Chaamba. Boubekri nous rappelle que les Mozabites ne peuvent pas rentrer dans la police selon leurs rites, donc ils doivent traiter avec une police locale majoritairement arabe.

La vallée du Mzab (Photo via Wikimedia Commons / Douag Brahim)

Si la lutte qui se joue actuellement dans la vallée du Mzab ressemble à première vue à un conflit intercommunautaire ou confessionnel, cette lecture « n'est pas suffisante, » d'après Hasni Abidi, professeur au Global Studies Institute de l'Université de Genève et directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (CERMAM), contacté par VICE News ce jeudi après-midi.

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« Jamais l'origine des heurts qui émaillent la région ne s'explique par des désaccords confessionnels entre les deux communautés. Ils sont déclenchés uniquement par ce qu'on pourrait qualifier de faits divers, » estime Abidi. Par exemple, en décembre 2013 une liste de personnes ayant obtenu un logement social revêtait, selon certains, une connotation « communautaire ». Les habitants issus des deux communautés de la ville se sont alors sentis lésés, chacun croyant que l'autre avait été favorisé — ce qui a débouché sur des affrontements.

Abderrahmane Hadj Nacer, ancien gouverneur de la banque centrale d'Algérie et Mozabite, expliquait au journal Le Monde, en février 2014, que « Les conflits de voisinage ont toujours existé, mais l'État s'est décomposé, sans savoir construire sa légitimité [dans la région]. » Inab Boubekri partage cette lecture des événements, notant que « La défaillance de l'État à gouverner une région où deux communautés, qui n'ont pas la même histoire ni les mêmes pratiques religieuses, vivent côte à côte, a créé un terrain favorable pour l'extrémisation d'une frange des deux communautés. »

C'est justement pour essayer de résoudre cet abandon « économique, social et culturel du pouvoir central, » selon les mots d'Hasni Abidi, que le président algérien a annoncé, ce mercredi, en complément des mesures sécuritaires, la mise en place de programmes pour stimuler le développement économique et social de la région.

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Ce désengagement supposé de l'État central se fait aussi ressentir au niveau de la justice. Inab Boubekri rappelle qu'aucune personne impliquée dans la dizaine de meurtres qui avaient endeuillé la région entre 2013 et 2014, n'a été inquiétée par la justice, quelle que soit sa communauté d'appartenance. « La justice locale et les services de sécurité n'arrivent pas à ouvrir des enquêtes, » explique Boubekri, ce qui crée un sentiment d'impunité dans la région et ouvre la porte à d'autres conflits.

Un autre facteur pourrait aussi expliquer l'impressionnante recrudescence des affrontements de ces derniers jours d'après Hasni Abidi. « Avant il existait des conseils de sages et de notables des deux communautés pour apaiser la situation, mais cela ne semble plus suffisant. Les jeunes ne se reconnaissent plus dans ces sages, la population a évolué, » explique le spécialiste.

Le Premier ministre algérien, Abdelmalek Sellal, devait se rendre ce jeudi dans la région de Ghardaïa, accompagné d'une importante délégation ministérielle, pour « s'enquérir de la situation. »

Suivez Pierre Longeray sur Twitter @PLongeray

Vue de la ville de Ghardaïa (Photo via Flickr / Daggett.fr)