Goutte d'Or
Photos: Elena Perlino / Éditions Loco 

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La Goutte d'Or est un petit bout de paradis

Durant près de trois ans, la photographe italienne Elena Perlino a partagé le quotidien et l'intimité des habitants du quartier. De cette immersion est né l'ouvrage « Goutte d'Or ».

Il demeure à Paris un quartier pas comme les autres, représentatif d’une France métissée et multiculturelle. La Goutte d’Or, nichée dans le cœur du 18e arrondissement de Paris, intrigue autant qu’elle fait peur. Le coin souffre d’une réputation sulfureuse. La faute notamment à ses vices nocturnes que sont la prostitution et la drogue.

Pourtant en journée, il y règne une ambiance unique qui lui confère un charme qu'aucun autre quartier parisien ne peut revendiquer. L'incessant brouhaha de la foule, les vendeurs à la sauvette qui exposent safous, lait caillé, et autres poissons séchés sur leurs étals de fortune font de ce quartier un lieu à part que même les touristes se risquent à visiter.

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C'est ce qu'a voulu montrer la photographe italienne Elena Perlino. C’est en 2012 qu’Elena débarque à Paris. Elle réside à la Goutte d'Or et découvre très vite un quartier qui « comme photographe et être humain ne peut pas laisser indifférent ». Elle a donc décidé d'entamer un travail photographique sur le quartier, comme pour mieux déconstruire des idées reçues qui lui colle à la peau comme un vieux chewing-gum à une semelle. Durant près de trois ans, l'Italienne a partagé le quotidien et l'intimité des habitants de la Goutte d'Or. De cette immersion est né l'ouvrage « Goutte d'Or », 120 clichés qui donnent une autre image de la Goutte d'Or. Nous avons pu nous entretenir avec elle pour parler de son travail et de sa vie dans la quartier.

VICE : Comment avez-vous découvert le quartier de la Goutte d'Or ?
Elena Perlino : Le choix de vivre à la Goutte d’Or résulte d’un lien amical que j’avais dans ce quartier. Cela a été vraiment une découverte progressive : comme photographe et comme être humain, ce quartier ne peut pas laisser indifférent.

Qu'est-ce qui a déclenché votre envie d'effectuer ce travail photographique ?
La Goutte d’Or est surprenante, dense et débordante, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. C’est mille rencontres condensées en une : je ne savais pas par quoi commencer, mais je savais que je voulais sûrement travailler sur ce quartier de Paris. Imaginez 23 000 personnes concentrées dans un kilomètre carré : il y a énormément d’énergie et de vibrations. Bien évidemment, il existe une certaine complexité qu’on ne peut pas nier naïvement. Mais je vois qu’on préfère souvent souligner l’instabilité et l’insécurité liées au quartier, plutôt que la richesse et le mélange des langues, des cultures, des traditions et qui donnent vie à un « hybride » unique.

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Quel a été la réaction des habitants, des riverains, lorsque vous leur avez présenté le projet ? Y-a-t-il eu des réticences ?
La photographie est faite de rencontres et, comme toujours, il y a de grandes surprises : par exemple, des voisins que tu connais depuis longtemps qui n’ont pas envie d'être photographiés, ou, à l'inverse, de parfaits inconnus rencontrés dans la rue qui commencent à t'adresser la parole et décident que l'idée de participer à cette aventure photographique leur convient parfaitement. En général, les réponses ont été positives : la curiosité et la confiance en l’autre font partie de la nature humaine.

« Le mélange d’éléments différents génère de l’intérêt pour des cultures qu’on ne connaît pas forcément »

Quelle a été votre méthode d'immersion au sein de cet environnement ?
Comme dans n’importe quel environnement, j'ai dû partager beaucoup de moments avec les gens du quartier, apprendre à les connaître. La prise de vue vient souvent après cette étape liminaire. Pour moi, au début, le problème était plutôt de trouver la bonne distance, de façon à pouvoir raconter un endroit qui était en même temps le lieu de mon domicile et l’objet d’une recherche photographique. J’ai d'ailleurs commencé le projet en 2012 et je l’ai terminé en 2018.

Certaines catégories de personnes, ont-elles été plus difficiles d'approche ?
C’est un choix plutôt personnel d’accepter ou pas d’être photographié. Il n’y a pas de catégories de personnes plus ou moins difficiles à photographier. Par exemple, lors de la « fête du sacrifice » dans la communauté musulmane, un moment assez intime, j’ai été accueillie de façon très bienveillante dans une famille qui pourtant ne me connaissait pas.

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Comment se traduit le lien social, le "vivre ensemble", que vous nous montrez dans votre livre ?
Vivre à la Goutte d’Or oblige à briser certaines catégories prédéfinies. On commence à manger du tiep, on entend l’arabe, le mélange d’éléments différents génère de l’intérêt pour des cultures qu’on ne connaît pas forcément, mais qu’on voit à côté de nous tous les jours. C'est inévitable de devenir curieux à la Goutte d'Or.

Vouliez-vous déconstruire certaines idées reçues sur la Goutte D'or?
La beauté existe à la Goutte d’Or, sous plusieurs formes. C’est cela que j’ai voulu montrer avec ce travail photographique. C’est souvent de l’ordre du quotidien, de l’intangible : une situation, des gestes, un échange insolite voire surréaliste. La lumière aussi importante : les mois de mai et septembre sont pour moi très intéressants de ce point de vue. La Goutte d’Or, c’est un endroit où, chaque jour, il y a au moins une surprise visuelle et un nouveau sujet de photographie.

Vous qui habitez à la Goutte d’Or, quel regard portez-vous sur la gentrification, ou la tentative de gentrification, du quartier ? Quels regards portent les riverains sur ce phénomène ?
Je suis d’accord avec la géographe Marie Chabrol quand elle dit que la gentrification à la Goutte d’Or doit forcément tenir en compte du caractère intrinsèquement populaire du quartier et que cela n’est pas réalisable comme ailleurs. Personnellement, je pense que mélanger des catégories de personnes différentes et apparemment éloignées fait du bien à tous, ça ouvre vers de nouvelles formes de vivre ensemble, ça stimule la curiosité réciproque. S’agissant des riverains, c’est sans doute difficile de répondre car il y a une très grande diversité de situations : ceux qui ont une activité le jour dans le quartier mais dorment ailleurs, ceux qui habitent le quartier mais travaillent dans un autre, ceux qui viennent la nuit mais n’y résident pas…

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