Gangs South Bronx Martine Barrat
© Helio Oiticica

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Martine dans le South Bronx

Vidéaste et photographe de légende, Martine Barrat expose à La Place jusqu'au 24 novembre ses clichés des gangs du quartier le plus populaire de New York dans les années 70.

À la fin des années 1960, de nombreux gangs se partagent le South Bronx, un quartier populaire de New York où les rats pullulent et la pauvreté fait rage. C’est au même moment, en 1968, que débarque dans la mégalopole américaine, Martine Barrat, alors jeune actrice et danseuse française. Invitée par Ellen Stewart, légende du théâtre expérimental américain, à se produire dans son « La MaMa Experimental Theatre Club » du Lower East Side, Barrat finit quelque temps plus tard par collaborer avec le Human Arts Ensemble, destiné à faire découvrir les arts de la musique et de la vidéo aux gamins d’Harlem et du Bronx.

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C’est dans un de ces workshops que Barrat rencontre un jour un membre des Roman Kings, un gang de jeunes gens du South Bronx. Souhaitant en savoir plus sur le quotidien de cette bande de gamins âgés de 11 à 18 ans, Barrat propose au jeune homme de « partager une caméra » pour filmer leur vie. Si au début des années 1970 les caméras ne courent pas les rues, Barrat avait réussi à s’en procurer une, offerte par Gilles Deleuze et Félix Guattari, respectivement philosophe et psychanalyste de renom, auteurs entre autres Capitalisme et schizophrénie, et connaissances de Barrat.

« Un soir, mon contact chez les Roman Kings me donne rendez-vous à la station de métro Freeman dans le South Bronx pour que je leur explique mon projet », rembobine aujourd’hui Barrat, invitée jusqu’au 24 novembre par La Place à Paris pour exposer ses photos du South Bronx. « Ils m’attendaient tous au métro. Quand je suis arrivée, ils ont été étonnés de me voir avec cette chose énorme : la première caméra qui existait. Ça les a soufflés un peu. Ils m’ont dit plus tard qu’ils avaient l’intention d’emballer tout ça. Mais ils n’ont rien emballé du tout et on est devenu amis tout de suite, lorsque je leur ai dit : "La caméra est à nous tous". »

Commence alors une collaboration longue de six années entre Barrat, les Roman Kings et les Roman Queens (le pendant féminin des Roman Kings), où le but était de partager une caméra et de tous s’exprimer – autant les gamins que Barrat. « La seule chose qu’on ne pouvait pas faire, se rappelle Barrat, c’était de prévoir, parce que dès qu’on convenait d’un programme, le type qu’on voulait filmer était en prison. Du coup, au bout d’un moment on a arrêté de faire des plans. »

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Pendant quatre années, Barrat multiplie les allers-retours entre le Chelsea Hotel où elle logeait, et le South Bronx, où elle passait ses journées pour filmer avec les Roman Kings and Queens. Mais un soir, en rentrant chez elle, Barrat s’aperçoit qu’on lui a volé sa caméra. « On était tous désespérés avec les jeunes, parce qu’on ne pouvait plus travailler, explique Barrat. Mais un jour, le président des Roman Kings débarque devant chez moi avec cinq ou six autres membres. C’est là qu’ils m’ont offert mon premier appareil photo. Ils avaient décidé qu’il fallait que je fasse de la photo, parce que je ne pouvais plus faire de vidéo. C’est donc grâce aux Roman Kings que je me suis mise à la photo, sinon je n’aurais jamais touché un appareil photo de ma vie. »

Barrat se met alors à la photo, un peu à rebours, « puisque c’est une autre manière de sentir les choses ». Attachée au mouvement attrayant à la vidéo, Barrat commencera par faire des rouleaux de photos pour conserver cette fluidité, avant d’embrasser pleinement cette nouvelle manière de saisir l’instant et de devenir une des légendes de la photographie. Dans les photos du South Bronx de Barrat présentées à La Place, il transparaît cette « joie de vivre et de créer », que New York a perdu, regrette la photographe et vidéaste qui y vit toujours.

Si Barrat ne va plus dans le Bronx – « j’y ai passé assez de temps, il faut découvrir le reste du monde ! » – la grande dame de la photographie continue de sillonner Harlem et prévoit d’y tourner deux films, dont on ne saura rien. « Si tu parles des choses que tu as envie de faire, il y a déjà une énergie qui a disparu. » Du coup, en attendant que ces projets voient le jour, VICE présente ci-dessous quelques clichés de Barrat pour se replonger dans un New York méconnu.

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Deux membres des Roman Kings : Baba et son frère Louis. Ils sont jumeaux, 1976, South Bronx © Martine Barrat

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Des jeunes gens qui dansent pendant une Block Party dans le South Bronx – Élue meilleure photo de l’année pour Life Magazine ©Martine Barrat

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Deux garçons qui se préparent à faire un spectacle de hip hop dans la rue. © Martine Barrat

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La communiante, 1976, South Bronx © Martine Barrat

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Aujourd’hui, il y a presque 3 millions de gens en prison aux États-Unis. On voit qu’il est encore difficile de trouver un travail quand on est noir, 1976, South Bronx, ©Martine Barrat

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La première photo de Martine Barrat dans le South Bronx : les enfants jouent dans la rue, il faisait très chaud et la rue était comme une rivière, 1976, South Bronx ©Martine Barrat

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En rouge, Martine Barrat et des membres des gangs du South Bronx qui partagent la caméra. © Helio Oiticica

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Martine Barrat en rouge dans un appartement d'un membre des Roman Kings. © Helio Oiticica

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Un des membres des Roman Kings en train de filmer. © Helio Oiticica

Focus spécial sur Martine Barrat à La Place jusqu'au 24 novembre.

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